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Lionne rouge (La)
Marion Cabrol
Hugo, collection Hugo Poche, n° 208, policier/thriller, 489 pages, mai 2020, 8,50€


« Tout était gris. On vivait ici comme dans une ombre. Sans nuances, sans couleurs. Au petit matin, la lumière n’était jamais douce et chaude. C’était le crépuscule. Indéfiniment. Le plus difficile, c’était la pluie. Elle ne semblait jamais cesser de tomber.  »

Il se nomme Éric Belt, il est inspecteur de police. Il vient de la capitale où, suite à une faute, il est désormais indésirable. Muté à Metz, il découvre une région sombre et pluvieuse qui lui apparaît particulièrement sinistre. Pourtant, il brûle de se réhabiliter, de résoudre brillamment des affaires. La première qui lui échoit, celle d’un individu retrouvé dévoré par les ours au zoo d’Amnéville, semble aisée à résoudre. Un suicide, rien de plus, même s’il s’agit d’un suicide assez peu commun. Mais cette affaire rapidement résolue ne lui vaut pas la considération qu’il attendait. De surcroît, des éléments viennent ici et là fissurer ses certitudes. Les employés du zoo lui révèlent des choses, lui en cachent d’autres. Simples rumeurs ? Simples suppositions ? Le vol de l’ordinateur du défunt vient – peut-être – redistribuer les cartes.

Pas facile d’investiguer dans un endroit dont on ignore tout, dont on découvre peu à peu le fonctionnement, et dont la plus grande partie – les enclos à animaux – reste inaccessible à la police elle-même. Un directeur qui se préoccupe avant tout de ses affaires et de la survie de son zoo, des employés motivés, investis, passionnés, voire acharnés à la tâche, mais qui tous ont leurs désirs, leurs besoins, leurs secrets, d’étranges dynamiques de groupe : tout n’est pas aussi clair qu’il y paraît. Loin s’en faut, même, car le lecteur devine peu à peu que ce prétendu suicide dissimule – ou plus exactement finira par révéler – bien d’autres entorses à la loi.

« Les têtes, je les ai ensuite installées au sous-sol. Personne n’y allait. Entre les odeurs d’huile, de poussière et de moisi, difficile de distinguer les effluves des chairs qui pourrissaient. Ça se ratatinait, comme un fruit trop mûr en décomposition. C’était fascinant.  »

Marion Cabrol fait le choix narratif de lancer d’emblée le lecteur sur une piste qui est certainement la bonne en lui donnant des éléments dont ne dispose pas l’inspecteur Belt. En off, à intervalles réguliers, par séries de quelques pages, presque des chapitres intermédiaires, les effrayants monologues d’une jeune femme viennent en effet faire frissonner le lecteur. Une perversion morbide, innée, mais aussi une enfance brisée par des évènements que l’on découvre peu à peu. La véritable coupable, sans doute. Et des femmes, dans l’équipe du zoo, il y en a plus d’une. Reste à déterminer laquelle, et à deviner ses motifs – si toutefois elle en a.

Si l’on excepte les chapitres introductifs, quelque peu impressionnants avec la découverte du corps, et les dérangeants monologues de la jeune femme, Marion Cabrol déroule son roman sans chercher les effets particuliers. Il aurait été facile, animaux aidant, d’en rajouter dans le mystérieux et dans le spectaculaire, mais l’auteur avance de manière plus fine et plus réaliste. Par petites touches, avec des ambiances bien rendues, on devine le caractère effrayant du zoo la nuit, on aborde les difficultés des tâches des uns et des autres, on frémit dans les cuisines où l’on prépare la nourriture pour les fauves, mais l’on comprend surtout les difficultés dans lesquelles se débattent les employés. La dimension sociale de cette « Lionne rouge » est évidente : chacun se révélera avoir ses histoires de famille, ses besoins d’argent, ses traites à rembourser, ses rêves d’une vie un peu meilleure. Chacun révélera ses défauts et ses bassesses, les tentations auxquelles il aura été confronté, et auxquelles plus d’un aura fini par céder.

Ce sont donc des animaux, mais aussi et surtout des personnages englués dans leur propre sort que Marion Cabrol met en scène dans un univers clos qu’elle connaît bien pour y avoir elle-même travaillé. En montrant les zones d’ombres des uns et des autres, mais aussi les tourments éprouvés par ceux qui, ayant cédé aux tentations de l’illicite, réalisent que le jeu n’en valait sans doute pas la chandelle, elle esquisse une série de drames individuels, d’existences inaccomplies ou partiellement gâchées, et dresse le portrait d’une vengeance froide et méthodiquement préparée. Si l’on peut faire à l’auteur quelques reproches de détail – – comme ces entretiens entre l’investigateur et le directeur du zoo qui nous ont toujours semblé trop brefs pour être crédibles, ainsi qu’un certain nombre de coquilles résiduelles – ce premier roman apparaît à la fois abouti et maîtrisé. Une belle plongée dans un microcosme unique en son genre, dans un univers par essence fascinant mais dont on ne perçoit le plus souvent que la surface, et dont l’auteur nous révèle les eaux troubles et les profondeurs ténébreuses.


Titre : La Lionne rouge
Auteur : Marion Cabrol
Couverture : Shutterstock
Éditeur : Hugo
Collection : Hugo Poche
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 208
Pages : 489
Format (en cm) : 11 x 17,8
Dépôt légal : mai 2020
ISBN : 9782755648096
Prix : 8,50€



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Hilaire Alrune
27 juin 2020


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