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Annales du Disque-Monde (les), tome 1 : La Huitième Couleur
Terry Pratchett
Pocket, fantasy, roman (Grande-Bretagne), fantasy farfelue, 266 pages, octobre 1997 / décembre 2010, 6,95€

Il y a la Grande A’tuin, la tortue gigantesque qui traverse l’espace. Sur son dos, quatre éléphants, et sur leur dos, le Disque-Monde (avec des cascades qui débordent un peu). Ankh-Morpork est une ville de ce Disque-monde, pas la plus belle, peut-être la plus riche, notamment en margoulins et criminels. Et c’est dans son port fluvial que débarque un drôle de petit bonhomme à quatre yeux, quelque chose que la ville n’avait jamais vu, quelqu’un de dangereux... Un touriste.
Guidé dans un boui-boui « pittoresque », distribuant des fortunes en pourboires, il est sauvé des appétits réveillés par sa fortune par Rincevent, alias le plus mauvais mage de la ville (si ce n’est du Disque-Monde), qui parle un dialecte commun avec l’étranger. Convaincu par quelques pièces d’or de lui servir de guide, Rincevent ne se doute pas des aventures qui l’attendent.
Sans quoi il aura suivi son instinct et aurait fui très vite et très loin.



Terry Pratchett est aujourd’hui un monument de la fantasy. Son grand’oeuvre, les Annales du Disque-Monde (env. 40 volumes) aura donc vu le jour en 1983 (comme votre serviteur) (aucun lien entre les deux) (du moins je l’espère) (sincèrement) et marqué le genre à jamais.
Mélangée à l’humour typiquement british, la fantasy de Pratchett est loufoque, les aventures de ses « héros » affligeantes, les archétypes sont parodiés avec bonheur et cruauté. Les Dieux sont pires que ceux du panthéon gréco-romain, les Héros (avec une majuscule) ont souvent tout misé sur une force, produisant des guerriers bas du front typiques d’une initiation hasarde à Donjons & Dragons mais truculents à mettre en scène, incapable de mots de plus d’une syllabe sans un effort mentalement épuisant.

Mais revenons à Rincevent et son touriste, Deuxfleurs, un gentil bougre. Gentil avec de gros guillemets, tant il est aveuglé par ses vacances, sa joie de découvrir en vrai les lieux de ses lectures, de fréquenter des personnages dignes des romans qu’il dévore. Sans se dire que lesdits gus sont des tueurs, des voleurs rarement bien intentionnés. Lui s’imagine en village-vacances, serre des mains, fait des photos, et papote en petit-nègre avec son carnet d’expressions toute faites.
Rincevent n’est guère brillant non plus. Sorti de l’école de magie avec autre chose que les honneurs, il a, à la suite d’une bêtise, l’un des huit sortilèges majeurs et interdits qui s’est glissé dans sa tête, et a viré tous les autres à grands coups de pompe. Ou plutôt, les autres se sont enfuis de peur qu’il leur arrive quelque chose. Bref, il ne connait qu’un sort qu’il ne doit surtout pas prononcer. Sauf à vouloir provoquer la fin du monde. Ce qui explique sa présence dans le boui-boui initial à picoler dès le matin de la mauvaise bière. Ce n’est pas que la mansuétude pour ce pauvre pigeon qui guide le malheureux mage, ni l’appât du gain (quoique) mais la menace du Patricien, dirigeant de la ville, qui se décharge sur lui de ses obligations diplomatiques. Las, quand un contre-ordre arrive du pays de Deuxfleurs, avec ordre de couper net les ambitions touristiques, la garde vient s’ajouter aux voleurs, coupe-jarrets, et guildes professionnelles en tout genre qui en ont déjà après eux.

Car Deuxfleurs vient d’une nation où l’échelle de valeur est sensiblement différente, car bien qu’il soit un petit fonctionnaire, il a amassé un pécule suffisant pour racheter Ankh-Morpork, mais le distribue comme des bonbons. Mais surtout, il a un Bagage, une malle magique, fabriquée en poirier savant, à qui il pousse des petites jambes, plein, pour avancer tout seul, et qui semble sans fond, remplis des vêtements bien repassés, de biscuits... et une fidélité aussi garantie que sa capacité à mordre, voire... dévorer.. ceux qui voudraient le voler. Il est un personnage à part entière, une Némésis muette qui nous suivra tout du long, et sortira souvent nos deux zhéros de l’embarras (en en causant un peu plus).

« La Huitième couleur » (au passage, elle s’appelle l’octarine) se découpe en quatre parties, la première narrant donc l’arrivée de Deuxfleurs à Ankh-Morpork. Elle commence par deux Héros (des vrais) qui voient la ville flamber. Nos zhéros les rejoignent, et s’ensuit un flashback explicatif sur comment, avec les meilleurs intentions et quelques mots en langue commune, on peut en arriver à cramer volontairement une ville.
Ce ne sont là que les 80 premières pages. Elles sont un solide échantillon de la prose qui va suivre : sir Pratchett est capable de vous expliquer avec force sérieux, vocabulaire, psychologie, voire démonstration scientifique les rouages de l’Humanité (voire de la Divinité), et par les mêmes qualités faire rouler son histoire sur les pentes de l’humour nourris à deux mamelles : les pires travers des hommes et une Chance très capricieuse.
Comme disait je ne sais plus qui : Plus il y a de chances que les choses empirent, plus elles auront tendance à le faire, avec les pires conséquences. On pourrait ajouter que plus Rincevent peut en prendre sur la tronche, plus cela arrivera.

Leur tourisme les guidera (enfin...manière de dire) ensuite vers un ancien temple maudit du Huit, le chiffre interdit de prononcer aux mages, dont ils seront sauvés par la présence inopinée (coup de pouce divin, car ça joue une partie là-haut) de Hrun, le Héros barbare (un qui a du mal avec les phrases longues même s’il n’y a que des mots courts dedans) tout en subtilité, puis le rêve de Deuxfleurs de voir des dragons se réalisera, lorsqu’ils seront enlevés par l’héritière d’un seigneur liche qui veut damer le pion à ses frères aînés et pousser papa au cimetière définitif. Enfin, ils seront éjectés au bord du monde (littéralement), sauvé de la chute par un filet (vous vous doutiez bien qu’il y a quelque chose pour empêcher que tout passe par-dessus bord, non ?) et se retrouver victimes sacrificielles en prélude à une expédition spatiale pour aller observer la Grande Tortue.
A chaque rencontre, plus farfelue que possible, on apprécie que l’auteur ne donne pas dans l’étrange et le loufoque juste pour le plaisir : tout cela a une certaine logique, parfois compliquée, rationnelle tantôt politique, civilisationnelle ou religieuse, en aucun cas moins vraie que celles de notre propre univers à différentes époques de notre ère.

L’auteur se plait simplement à détourner les évidences, tapant sans retenue sur les archétypes de la fantasy, souvent aggravés par le jeu de rôles (t’as mis 18 en force et 4 en intelligence ? Bravo, tu es Hrun !), à grossir le trait, ici du tourisme, ce qui est le procédé habituelle de la satire, et à aller à l’encontre de ce que le lecteur attend. Par exemple, Rincevent croit en une force autre magique, l’électricité, capable de miracles similaires, aussi est-il déçu quand la boîte à photo de Deuxfleurs s’avère en fait contenir un petit démon avec un chevalet qui peint très très vite ! (et qui râle quand il lui manque une couleur).

Grand classique de la littérature, riche en trouvailles linguistiques et magnifiquement traduit par Patrick Couton (primé pour cela tant il a dû s’arracher les cheveux par touffes), plus de 35 ans après « La Huitième couleur » n’a pas pris une ride. Tout au plus les couvertures originales de Josk Kirby ont-elles cédé la place chez nous au tout aussi talentueux français Marc Simonetti, qui a su garder l’esprit de ce grand vent de folie parfaitement organisé lors du grand ravalement de la série chez Pocket dès la réédition de 2010.

Nous ne laisserons pas Rincevent pendu au bord du monde longtemps : dans « Le Huitième Sortilège », sachez que la fin du monde approche, sous la forme d’une grosse étoile rouge en vecteur d’interception !


Titre : La Huitième couleur (The colour of magic, 1983)
Série : Les annales du Disque-Monde, tome 1
Auteur : Terry Pratchett
Traduction de () : Patrick Couton
Couverture : Josh Kirby (édition 1997), Marc Simonetti (édition 2010)
Éditeur : Pocket (édition originale : L’Atalante, 1993)
Collection : Science-fiction / Fantasy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 5646
Pages : 265 / 288
Format (en cm) : 18 x 11 x 1
Dépôt légal : 1997
ISBN : 226611140X / 9782266211819
Prix : 6,95 €


Chronique d’après l’édition Pocket de 2002 (quelques coquillettes et mots manquants parfois)


Nicolas Soffray
23 mai 2020


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Edition Pocket (2010-...), couv. Marc Simonetti



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Edition L’Atalante (1986-...), couv. Josh Kirby



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Edition Pocket (1997-2009), couv. Josh Kirby



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