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Piper McNimbus, tome 1 : La Fille qui pouvait voler
Victoria Forester
Lumen, roman (USA), fantastique / super-héros, 375 pages, mars 2020, 16€

Piper McNimbus est une gamine de la campagne américaine bien profonde. SA mère, profondément croyante, la garde à la ferme pour cacher à tous, les commères les premières, que sa fille est capable de voler. Piper grandit seule, jusqu’à une fête nationale où, malgré ses promesses, elle vole en public, tout cela pour rattraper une balle de base-ball et clouer le bec aux autres enfants.
Cela ne traîne pas : la presse nationale déboule à la ferme, aussitôt suivi par un hélico du docteur Leatitia Inferna, qui propose aux parents d’emmener Piper dans son centre pour « jeunes différents ». Après un long trajet, Piper s’enfonce dans un immense complexe souterrain où sont collectées et étudiées toutes les espèces mutantes, différentes, apparues sur la planète. Tout au fond, elle rejoint un groupe d’enfants spéciaux, comme elle, qui l’accueille avec la même cruauté que ceux de son village : on parie sur combien de temps elle tiendra avant de craquer, d’appeler sa maman en larmes, ou d’utiliser son pouvoir, ce qui est formellement interdit. Son pire adversaire : Conrad, 11 ans, le plus grand et le plus ancien pensionnaire, un petit génie (du mal) hyper-intelligent. Une gamine innocente et curieuse comme Piper sera-t-elle de taille ?
Et justement, quand elle commence à poser pleine de questions, les choses prennent une autre tournure...



Victoria Forester est scénariste, et cette histoire était initialement destinée au cinéma. On s’en rendra compte sans mal, tant tout est très visuel : le petit village de l’Amérique profonde et intemporelle de Piper, le complexe souterrain (et physiquement improbable) d’Inferna...
L’éditeur évoque en 4e de couverture « Les désastreuses aventures des orphelins Beaudelaire » et « X-Men », j’y ajouterai « Miss Peregrine et les enfants particuliers » et « Umbrella Academy ». C’est dire si les thèmes de ce roman sont à la mode et souvent abordés : la différence, la peur et l’incompréhension qu’elle engendre, le besoin d’un refuge, d’un entre-soi pour se sentir « normal ». Tout cela se retrouvait déjà il y a un demi-siècle chez les jeunes mutants rassemblés autour du professeur Xavier pour faire de leur différence une force dont ils seraient fiers.
Au contraire, chez le docteur Inferna (au passage, quel patronyme immensément révélateur...) on interdit l’usage des pouvoirs, et la première gamine à quitter le centre souterrain après l’arrivée de Piper semble avoir été lessivée : la petite fille débordant de joie, capable d’arc-en-ciels de couleurs, est devenue terne et amorphe, et a oublié son pouvoir.

C’est à peu près à mi-volume que la perspective change. Conrad, méchant et moqueur (de son langage de campagnarde, entre autres, même si c’est mal exploité), ouvre les yeux de Piper : on les endort, dans un semblant d’école avec un prof qui zozotte et un surveillante sadique, pour leur faire oublier leur pouvoir et les rendre « normaux ». Par la manière forte s’il le faut, avec un lavage de cerveau. Lui, le petit génie, résiste depuis plus longtemps que les autres, même si cela veut dire passer pour un méchant. Et avec le pouvoir de Piper, il a désormais les moyen de s’évader.
Sauf que la petite fermière est pas d’accord pour abandonner les autres derrière eux. C’est tout le monde ou personne. Si Piper le pouvait, elle sauverait aussi les animaux et les plantes des niveaux supérieurs.
Les gamins chamailleurs se réveillent alors, s’entrainent ensemble pour exécuter le plan de Conrad.

Là, la mécanique du cinéma prend la suite, quasi sans surprises : le plan échoue car Conrad les a trahis, négociant sa liberté avec Inferna. Bien sûr, les adultes ne tiennent pas parole. Piper est passée à la lessiveuse, et ressort amnésique, terne, et les deux jambes soutenues par des béquilles : non seulement elle ne sait plus voler, mais comme punition elle se peut même plus marcher. Cette injustice ressoude et motive le groupe pour une seconde tentative, et en un rien de temps, par la magie de la gentillesse et de leurs rêves, ils sont reboostés à fond. Piper affronte Inferna, qui avait refouler son pouvoir de voler, mais échoue à lui faire voir la beauté de leur différence.
Finalement, les enfants fondent un contre-centre, et emploient leurs pouvoirs pour faire le Bien sur la planète. Piper retourne vivre chez ses parents, avec Conrad, renié par ses parents politiciens.
A suivre, avec un mystérieux homme invisible qui promet de les protéger...

Foncièrement, « La Fille qui pouvait voler » n’est pas mauvais, et il a remporté de nombreux prix jeunesse aux USA. Il s’inscrit une longue série d’œuvres pour la jeunesse sur la différence, ses conséquences, ses responsabilités, les peurs qu’elle crée chez les autres. Les « X-Men » étaient déjà une métaphore du racisme et de l’homophobie, ici Inferna cherche aussi à « guérir » ces enfants de leur pouvoir, y voyant une tare et non une force, en les droguant mais aussi en les immergeant dans un quotidien lénifiant.
Mais autant les décors sont taillés pour le cinéma, autant les moyens humains sont à l’économie. Les enfants sont peu nombreux, et si peu creusés qu’à l’exception de Conrad et peu-être Violette, ils sont à peu près cantonnés à cela : un nom, un pouvoir et un petit gimmick rigolo (les jumeaux qui font leurs phrases à deux, celle qui prend la mouche à chaque phrase, etc), bref des archétypes très identifiables. Les adultes sont 4 : Inferna, l’agent Agent (la bonne blague), le prof et le pion, les autres n’ont ni visage ni nom. Le père de Conrad n’est qu’une voix au téléphone.

La mécanique du récit est très classique, et joue sur des ressorts éculés de la fiction : nous forcer à accepter ce que le personnage central voit comme la normalité, avant de renverser la perspective, transformant les bons en méchants et vice-versa. Les péripéties sont attendues : un exemple de punition, la fédération du groupe autour de l’héroïne, une tentative d’évasion qui échoue par trahison, le sacrifice d’un personnage secondaire (ici un grillon), la punition appliquée à l’héroïne, sa guérison par l’action du groupe (effet boomerang), la grande bataille sans retour en arrière possible, et le duel final contre la Grande Méchante, l’échec de la tentative de la raisonner, et en épilogue la transformation du système pour le rendre vertueux. C’est le squelette de 99% des blockbusters américains. Ce n’est pas forcément désagréable à regarder.
A lire, un peu plus. Les retournements se font sans grande subtilité, on nous plaque l’histoire de Conrad pour enfoncer le clou, avant de nous faire éclater à la figure des détails pourtant révélateurs (le centre s’appelle l’INSENSÉ, soit p. 213 “institut de la normalité, de la stabilité et du non sensationnel ou étrange” ! Sûr que les parents de Piper n’auraient pas signé si on leur avait développé le sigle...), des réponses à des questions évidentes que Piper, pourtant curieuse, n’a jamais posées... Sa tendance au bavardage et à l’accumulation de question philosophiques et pratiques est aussi aléatoire que son parlé campagnard. Régulièrement, on a la sensation que l’autrice remet sur le devant de la scène un élément dont elle a besoin pour son intrigue, peu importe qu’elle (ou ses personnages) l’ait oubliée durant 100 pages.

Il y a de bonnes choses dans « La Fille qui pouvait voler », et d’autres moins. Les premières ont été très souvent abordées, les autres plombent un récit qui aurait gagné à plus d’équilibre entre ses parties et ses rebondissements, probablement 100 pages de moins et un peu plus de confiance dans l’intelligence de son lectorat.
Ce n’est pas une lecture désagréable, à condition de se laisser porter (comme moi, un jour ensoleillé sur une chaise longue). Les plus jeunes apprécieront le décor, l’immersion, le voyage, la révélation petit à petit de l’envers des choses, l’ode à la liberté, l’expression du pouvoir. Mais tout cela est très américain, dans la vision des choses comme la construction, et lassera sans doute les plus âgés.

Le roman date de 2008, et ses deux suites, « Le garçon qui savait tout » et la « Fille qui était tombée du ciel » sont parus en 2015 et 2020.

Si vous aimez les histoires de super-héros, je ne peux que vous conseiller, dans un univers plus contemporain et une héroïne qui pose des questions et affronte les réponses, la trilogie « Power Club » d’Alain Gagnol chez Syros, dès 13-14 ans.


Titre : La Fille qui pouvait voler (The Girl who could fly, 2008)
Série : Piper McNimbus, tome 1/3
Autrice : Victoria Forester
Traduction de l’anglais (USA) : Raphaëlle Pache
Couverture : Marine Gosselin
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 375
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 3
Dépôt légal : janvier 2020
ISBN : 9782371022683
Prix : 16 €



Nicolas Soffray
24 avril 2020


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