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Diable dans la peau (Le)
Paul Howarth
Gallimard, Folio Policier, n°904, roman traduit de l’anglais, western noir, 490 pages, février 2020, 8,50€

En 1885, dans le Queensland en Australie, la famille McBride vit misérablement. À peine si la ferme rapporte de quoi subsister, la sècheresse sévit et les bêtes du troupeau sont faméliques. La pluie qui tombe apporte un regain d’espoir, mais il est de courte durée. En rentrant un soir, les deux garçons Billy et Tommy trouvent le reste de la famille massacrée. Seule leur jeune sœur vit encore, ce qui les pousse à se rendre chez leur riche voisin Sullivan pour la sauver. Ce dernier les accueille les bras grands ouverts et se montre prêt à les aider dans leur quête du coupable. Un fusil abandonné sur place désigne de manière certaine Joseph, un de leurs anciens employés, un aborigène de la tribu des Kurrongs. Edmund Noone, le chef de la redoutée Police aborigène est appelé.



Paul Howarth est un romancier anglo-australien et son premier roman « Le diable dans la peau » a été couronné par le Barnes and Noble Discover Award 2018.
Dès le début, il plonge les lecteurs dans la chaleur australienne, le soleil de plomb frappe les esprits, empêche de respirer à sa guise, d’autant que la situation des McBride est catastrophique : les bêtes ne cessent de mourir, elles n’ont que la peau sur les os, les dettes s’accumulent et la mère de famille ne peut même plus rien acheter dans la ville à côté, leur crédit est épuisé. Le contraste est saisissant avec leur voisin John Sullivan, le squatter, celui dont les ancêtres sont arrivés sur des terres encore vierges et se les sont appropriées. Depuis, les autorités obligent à un partage plus équitable, mais les squatters prennent des hommes de paille pour s’occuper d’une partie de leurs terres, ces subordonnés devant leur payer une redevance. Le bétail de Sullivan prospère, car il possède une retenue d’eau pourvoyant à ses besoins, McBride n’ayant que le surplus, soit quasi rien en temps de disette. Les dés sont clairement pipés, les McBride subissent cet état de fait, ne pouvant payer au propriétaire ce qu’ils doivent. La façon dont il accueille les deux garçons n’en est que plus étonnante et il se lance à leurs côtés dans une vendetta contre Joseph, se transformant rapidement en chasse aux Kurrongs. Il faut dire que Sullivan ne les aime pas et les exterminer sous prétexte de massacre d’une famille blanche l’arrange bien. Et quand Noone est lancé, il ne lâche rien, administrant la justice sans faillir.

Tous les codes du western sont réunis, cette version australienne se révèle sans pitié : dans le rôle des justiciers, les blancs aidés par la Police aborigène, et dans le rôle des victimes, les aborigènes. La morale est aux abonnées absentes, la loi du plus fort prédomine, étant la seule valable. Le fric à Sullivan efface toutes les difficultés. Billy, l’aîné des McBride, apprécie le squatter, voyant en lui la réussite, il l’imite en tout, remettant en cause son paternel devenu symbole de faiblesse et d’échec. Tommy a beau être plus jeune, 15 ans, soit un an et demi de moins que Billy, il est bien moins naïf, se posant rapidement des questions sur leur riche voisin et son intérêt à les aider. Les choses sont-elles aussi simples qu’elles le paraissent ? Alors que Joseph apparaît clairement comme le coupable, pourquoi tous les Kurrongs doivent-ils payer ?

Billy n’est pas aveuglé par la réussite de Sullivan et n’a de cesse de remettre en question leurs agissements, le bien fondé de cette chasse aux Kurrongs. Sa conscience le tenaille, mais du haut de son jeune âge, il peine à infléchir les événements. Ce personnage sert de révélateur à l’horreur de la situation que les autres trouvent normale. Darwin est souvent cité comme justification, comme si sa théorie de l’évolution expliquait que le plus faible doive s’effacer devant le plus fort. Ce roman dénonce ce passé colonisateur, destructeur pour les populations locales dépossédées de leurs terres, de leurs racines, de leur dignité... Le lecteur ne peut se départir d’un sentiment de malaise, sentant que la justice d’alors se résumait à la couleur de peau et bien sûr à la richesse de ceux qui y font appel.

« Le diable dans la peau » frappe les esprits. Ce western australien s’avère un réquisitoire contre un passé inhumain qu’il ne faut surtout pas oublier, car beaucoup l’ont payé de leur sang. La conquête de nouvelles terres n’était pas seulement synonyme d’aventures, mais aussi de souffrances, celles d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont soudain vu déferler des hordes d’envahisseurs soit-disant dans leur bon droit.
Paul Howarth signe là un grand roman à l’histoire prenante et grinçante, immorale à l’excès, ce qui ne le rend que plus fort.


Titre : Le diable dans la peau (Only Killers and Thieves, 2017)
Auteur : Paul Howarth
Traduction de l’anglais : Héloïse Esquié
Couverture : Photo © Dean Sewell / Oculi / Agence VU (détail).
Éditeur : Gallimard (1ère édition française : Denoël, 2018)
Collection : Folio Policier
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 490
Format (en cm) : 18 x 11
Dépôt légal : février 2020
ISBN : 9782072884191
Prix : 8,50 €


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
9 mai 2020


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