Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Révolution
Sébastien Gendron
Gallimard, Folio Policier, n° 907, roman (France), polar, 404 pages, mars 2020, 8,50€


« L’explosion est magistrale. Quand Georges rouvre les yeux, il a devant lui un type qui n’existe plus à partir des épaules. Puis, stable un instant, le corps bascule, s’étale sur le bureau d’où il glisse aussitôt pour s’effondrer au sol. »

Il se nomme Georges Berchanko. Dépanneur informatique pas très dégourdi, il est pris par le patron mafieux d’une boîte de nuit, où il est venu faire une banale intervention de maintenance, pour un sous-fifre exécuteur de très basses œuvres. Bilan : deux cadavres sur les bras, dont un à son actif. Le voilà en cavale avec un flingue et une petite montagne de fric, ce qui n’était pas du tout à son programme. C’est l’aventure de sa vie. Elle ne fait que commencer.

« Hier, le semi-luxe était destiné aux seuls nantis, aujourd’hui on trouvait des panneaux publicitaires en quatre par trois affichant des bagnoles à cinquante mille euros jusque dans les cités les plus délaissées du pays. Une manne pour toutes les sociétés pourvoyeuses de monnaie factice, quand on savait que la majorité des contractants finissaient par ne pas pourvoir payer leurs mensualités de crédit, et que les taxes de retard de paiement frôlaient l’usure. »

Elle se nomme Pandora Guaperal. Elle a un bac, s’est lancée dans le commercial, s’est retrouvée recouvreuse de dettes, à harceler téléphoniquement les pauvres diables qui se sont fait piéger par un système parfaitement rôdé proposant de l’argent à ceux qui n’en ont quasiment pas, dans le seul but de s’enrichir en les ruinant jusqu’à l’os. Seul plaisir dans la vie, elle est championne régionale de tir au pistolet. Très mince satisfaction pour quelqu’un qui arrive au bord de la rupture. Pour quelques euros, elle accepte d’aller démolir un calvaire qui doit être remplacé par une mosquée, un calvaire auquel aucun habitant du cru ne veut toucher. La voilà prise en chasse par la population, jusque dans un train à bord duquel elle parvient enfin à s’enfuir.

« Dans le local, le four à micro-ondes est en marche. Sur le plateau tournant, une demi-douzaine de bombes aérosols. L’espace confiné se zèbre de petits arcs électriques. »

Berchanko et Guaperal, tous deux en fuite, se rencontrent, réalisent qu’ils sont victimes d’une même boîte d’intérim qui saigne ses employés. Ils décident de la détruire, mais sont pris de vitesse par une autre employée encore. Le temps de la révolte est venu. La révolte ? Et pourquoi pas la révolution ? Une idée délirante germe dans leurs esprits : en travers du viaduc de Saint-Maxence, en plein 1er août, générant des embouteillages comme on en a rarement vu, tous deux proposent un marché à l’hexagone : soit les français font la révolution, soit Pandora se fait sauter le caisson.

Tel est le point de départ d’une comédie hors normes où l’on verra les tenanciers des hôtels et des campings recruter un flingueur incompétent et malchanceux pour débarrasser l’autoroute d’une gêneuse qui empêche les clients d’arriver à bon port, une journaliste ambitieuse et abonnée aux entrefilets de dernière page multiplier les astuces pour tirer la couverture à elle, un animateur de radio surnommant Pandora Ladygun se lancer dans un vaste numéro très rock’n roll inspiré par le DJ fou qu’incarna Cleavon Little dans « Point Limite Zéro » (« Vanishing Point », Richard C. Sarafian, 1971). Et bien d’autres personnages encore, accumulés par l’auteur avec une jubilation évidente à forcer le trait, à user de la formule propre au polar (est-ce réellement un polar ? sans doute pas, mais c’est plus et mieux), à mêler le réaliste au grotesque.

Ce don de Sébastien Gendron pour croquer les personnages est plus qu’évident. Évident aussi son talent pour les inscrire en quelques paragraphes comme révélateurs des maux emblématiques dont souffre notre monde, et plus particulièrement de la manière dont l’on exploite et pressure jusqu’à la dernière goutte, dans tous les domaines, des travailleurs qui il y a quinze ans à peine gagnaient encore correctement leur vie – d’honnêtes professionnels qui, à présent dépourvus de tout horizon, tirent perpétuellement le diable par la queue. Précarisation accélérée, surexploitation méthodique, à l’aide de mécanismes parfaitement orchestrés, d’une classe moyenne au profit des plus riches, libéralisation sauvage transformant tout un chacun en prédateur motivé par la nécessité immédiate, « Révolution », sous ses aspects humoristiques, apparaît aussi comme l’instantané d’un monde qui sombre, un monde de capitalisme mortifère, de reniement et de destruction des acquis, de désagrégation sociale et de déshumanisation des individus.

Le blocage de la transhumance estivale par deux personnages exprimant un ras-le-bol partagé par beaucoup, le doux rêve d’un changement, le souvenir lointain de révolutions ayant abouti à un monde meilleur mais qui chaque jour se désagrège un peu plus : tenir la distance sur quatre cents pages avec une telle idée de départ n’était pas acquis. En multipliant les scénettes, en démontant ici et là la mécanique mille fois répétée de paupérisation des individus, en révélant les bassesses, les médiocrités, mais aussi les astuces des uns et des autres, en stigmatisant les crétins et en faisant malgré tout preuve d’empathie pour bon nombre de ses personnages, Sébastien Gendron relève le pari. Noir et drôle, grinçant et enlevé, ce « Révolution » fait rire un peu jaune. C’est d’époque, c’est bien vu, et c’est à lire, pour prendre un peu de recul, au plus fort des embouteillages surchauffés d’un départ en vacances.


Titre : Révolution
Auteur : Sébastien Gendron
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Folio (édition originale : Albin Michel, 2017)
Collection : Folio Policier
Site Internet : page roman
Numéro : 907
Pages : 404
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : mars 2020
ISBN : 9782072887451
Prix : 8,50 €



Hilaire Alrune
7 mai 2020


JPEG - 20.8 ko



Chargement...
WebAnalytics