Ce dernier volume des « Chroniques de Zi » est d’une grande densité, car on atteint le pinacle de la tension : les héros, en déroute, quêtent une aide qui, si elle leur est refusée, signera leur mort, tandis que les forces du mal semblent plus fortes que jamais, et seul un faux pas pourrait les mettre en danger.
Tearanui et Turi recherchent le corps d’Oviri, enlevé par sa mère changée en dauphin, pour des raisons très différentes : la suivante espère ressusciter son amour et roi des Trois Vagues, la part sombre de Turi veut détruire cette relique qui amoindrit sa victoire et celle de son père, après la perte des dragons. Leur errance sur les eaux va les pousser à l’introspection, l’esprit parfois en boucle, accroché à cette tâche pour ne pas sombrer. Les deux nains communistes qui accompagnent Tearanui peinent à dédramatiser les choses, d’autant avec le oui-non, très contagieux, les maux s’entassent sur cet ultime commando en terre conquise. Turi, pas toujours mettre de ses pouvoirs, manipulé par son père Usi-i, est instable : à sa soif de guerre, de mort du tome précédent, des phases de lucidité lui font regretter ses actes et espérer un pardon de ses anciens amis. Que son géniteur l’envoie tuer une licorne, et accroitre sa malédiction, ne devrait pas arranger les choses, et pourtant... ce sera l’occasion de s’éloigner de son influence.
C’est là l’espoir des forces du Bien, aussi piteuses soient-elles : l’excès de confiance du Mal. Arlana s’envole jusqu’aux réfugiés, décidée à leur porter un coup fatal, mais le destin, tissée par ses actes passés, en aura décidé autrement. Il en sera de même pour Usi-i, qui par bravade laissera entrevoir une faille dans sa toute-puissance.
Cela suffira-t-il ? Non. Car l’Est n’est pas la terre d’accueil promise. La société nomade qui y vit est très rude, ses traditions sévères. Jean-François Chabas puise cette fois du côté du Tibet, de la Mongolie, d’un Extrême-Orient qui nous est souvent mal connu et fantasmé de différentes manières, et dont Guillaume Morellec nous impose magnifiquement les codes visuels dès la couverture. Trois enfants sont choisis pour être Nihe, guerriers spirituels, et défendre leur territoire de steppes, de collines et de montagnes, perdant leurs pouvoirs à 15 ans. Chuluun, proche de cet âge, voit arriver l’échéance avec autant d’impatience que d’appréhension. Il s’interroge beaucoup sur cette tradition des Nihe, leur entrainement au combat par la Dresseuse, une femme maitresse d’arts martiaux entièrement vouée à son devoir, dépourvue de sentiment. Sur cet âge butoir, qui met fin à des années d’efforts pour tout faire recommencer à un autre jeune enfant retiré de sa famille. Sur leur isolement, car ils n’ont pas le droit d’être tous les trois ensemble. Enfin, sur son propre rôle : Od, le benjamin, est bien plus puissant qu’il ne le sera jamais d’ici ses quinze ans.
Chuluun doute, trop au goût de Diki, qui abuse de ses pouvoirs de façon sadique, tuant les prédateurs de la steppe, loups, monstres ailés, pour le plaisir d’exercer sa domination. Chuluun a hâte qu’elle soit dépouillée de tout cela, et il ne comprend pas qu’elle puisse agir contre les préceptes qu’on leur a enseigné. Que la tradition ne permette pas d’y mettre fin. Lui respecte la vie de tous, et appréhende ce moment, vu en rêve, où il va devoir affronter un grand guerrier blond, venu demander asile pour son peuple. Et devoir le tuer, sans trembler.
Si la part consacré à Chuluun est finalement assez mince dans ces 330 pages, on comprend tout à fait les dilemmes du jeune moine-soldat, ni le plus fort, ni le plus sage. Ses échanges avec Od, l’enfant qui le surpasse en tout, sont éclairants des hésitations propres à l’adolescence, cette porte vers l’âge adulte, et pour les lecteurs du même âge, ils seront une clé évidente pour comprendre le fonctionnement des Nihe.
Nous sommes dans le dernier volume, et vous venez de le lire, les actions s’enchaînent, les rebondissements ne faiblissent pas, si certaines ennemis sont vaincus, d’autres apparaissent. Cela pourra-t-il finir ? Jean-François Chabas nous pousse vers deux climax majeurs, l’un contre Usi-i, l’autre opposant tous nos héros survivants à un Chuluun déterminé à faire son devoir, et sourd aux lamentations de Nara. Avec l’arrivée inopinée d’un Turi dont on ignore tout de l’état d’esprit. C’est cet instant où tout peut basculer, où la pièce du destin tourbillonne... C’est là généralement que je m’inquiète dans ma lecture, réalisant qu’il ne reste qu’une poignée de pages pour conclure la saga. Mais si vous avez déjà lu David Gemmell, vous savez que cela peut suffire pour un dernier feu d’artifice.
Le choix de l’auteur pourra en surprendre plus d’un et probablement en dépiter beaucoup sur le moment (je vais essayer de n’en rien dire, mais au cas où, cessez de lire !), il est néanmoins aussi nécessaire que logique, puisqu’il fait appel à ce qui sous-tend cette histoire et donne son titre à la série : tout ceci n’est qu’un jeu, malsain, lancé par les fées, avec quelques tricheries, et qui s’est emballé lorsque des éléments plus forts qu’elles, comme les Fées Noires ou Usi-i, s’en sont mêlés. Et d’autres puissances magiques supérieures existent, et se mettent en branle, inconscientes de ce dernier coup en train de se jouer.
Cette pirouette scénaristique est contrebalancée par le dernier acte d’Od, qui profite de la situation pour instiller en chacun de souvenir du bien, du beau, quel qu’il soit, et peut-être permettre au Mal de se rendormir, à défaut de disparaître. Ce n’est pas une remise à zéro, car l’Histoire consiste à répéter les mêmes erreurs inlassablement, c’est une graine d’espoir, celui que chacun renferme une part, même infime, de bonté, malgré ses défauts, qu’on soit fée ou sorcière. Une conclusion très philosophique amenée avec douceur et simplicité, qui rebat les cartes du récit de fantasy.
On aura vibré au fil de ces cinq volumes, Jean-François Chabas empruntant des chemins oubliés du conte, de l’épique, pour ciseler cette aventure souvent grave sous ses apparences de légèreté. De deux ados partis sur une mule sauver une princesse qui ne leur avait rien demandé, nous terminons sur des héros, des vrais, plus matures, mais faillibles et épuisés, mais toujours les jouets de forces et de secrets qui les dépassent. Et pourtant, ils ne renoncent pas, ils continuent d’avancer, coûte que coûte, portés par leurs valeurs et leurs idéaux, bons ou mauvais. C’est ce qui les rend si attachants et si vrais.
Une magnifique saga, qu’on lira avec des yeux différents qu’on soit ado ou plus grand.
Titre : Chuluun
Série : Les Chroniques de Zi, tome 5/5
Auteur : Jean-François Chabas
Couverture : Guillaume Morellec
Éditeur : Nathan
Collection : Roman grand format
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 330
Format (en cm) : 20 x 13 x 1,5
Dépôt légal : juillet 2019
ISBN : 9782092583067
Prix : 15,95 €
« Phelan »
« Nara »
« Turi »
« Oviri »
« Chuluun »
