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Freeman
Roy Braverman
Hugo et Cie, collection Hugo Thrillers, thriller, 520 pages, janvier 2019, 19,95€

Roy Braverman : personne d’autre que le fameux Ian Manook, auteur de la trilogie « Yeruldegger » et de « Mato Grosso ». Après l’Asie Centrale, après le Brésil, c’est à l’Amérique du Nord que s’est attaqué l’auteur sous ce pseudonyme, tout d’abord avec « Hunter », puis avec « Crow ». C’est à présent au tour de « Freeman » d’apparaître sur les tables des libraires, avec un bandeau écarlate qui ne manquera pas d’amuser les connaisseurs : « Le livre que Ian Manook aurait aimé écrire ». Non seulement il a aimé, mais en plus il l’a fait !



« L’ouragan est là maintenant. Noir. Si haut de plusieurs milliers de mètres, juste au-dessus de lui, qu’il ressemble à une citadelle médiévale et maléfique. Alors viennent les premiers vents de tempête, comme la charge effrénée d’un troupeau sauvage, obstiné et paniqué. Il peut vraiment le voir se ruer sur la ville. Physiquement. Comme une masse, vivante, animée d’une cruauté animale. »

Avec « Hunter », Roy Braverman avait fait un thriller à base d’éléments classiques qui atteignait son but : donner l’impression d’être « made in USA ». Avec « Crow », en s’orientant vers les grands espaces naturels, l’auteur avait fait plus ample et plus ambitieux – le genre de roman qu’on n’oublie pas de sitôt. Le challenge pour un troisième volume était donc de taille. C’est en changeant son fusil d’épaule et en optant pour un environnement toujours américain, mais totalement différent, que Roy Braverman relève son défi.

Les bayous, les redoutables mocassins d’eau dont la morsure est fatale, les alligators qui vous emportent et vous dévorent, les tornades, la pègre, les dégénérés et les criminels : bienvenue dans la Louisiane de Roy Braverman. En quelques pages à peine, le lecteur prend le contraste de plein fouet : après la pureté des grands espaces, on entre dans l’atmosphère étouffante, dense, tiède, profuse, capiteuse, riche de goûts, d’images, de couleurs et de senteurs, de la Nouvelle Orléans. D’un bout à l’autre du récit, qui, plus long que les précédents, dépasse les cinq cents pages, on s’immergera dans une narration à l’image de l’histoire de la ville : nourrie, animé, coloré. L’histoire des lieux, du blues, des musiciens, les détails de la flore, les plats, les boissons, l’architecture, les odeurs, jusqu’à l’évocation des aspects révolus d’établissements symboliques de la ville par les souvenirs d’enfance des protagonistes, on a l’impression d’y être. Roy Braverman s’est documenté, donne l’impression d’avoir longuement arpenté les lieux, jusque dans les moindres de leurs impasses, pour faire de « Freeman  » un récit généreux. Presque trop, car il arrive que l’on sente la technique – mais néanmoins sans que l’auteur ne verse dans l’ostentation ni dans l’excès.

Un cadre détaillé, donc, qui sert une histoire elle aussi profuse, et riche en personnages mémorables. Si la connaissance des deux tomes précédents peut apporter un éclairage plus rapide sur certains de ces protagonistes, on notera que tout comme « Crow  », « Freeman  » peut être lu de manière indépendante. On retrouve donc Freeman, un ex-flic noir, qui a retrouvé Louise, sa fille, laquelle file un mauvais coton. Son père, Omer, qui comme lui décide de ne pas décamper à l’approche des intempéries. Sobchak, impayable criminel obèse virtuose des cocktails. Howard, un flic un peu fou et un peu suicidaire qui roule en Mustang écarlate et, dans l’espoir de retrouver son petit frère disparu un an auparavant, s’obstine à ses moments perdus à fouiller la région jusque dans ses bouges les plus sordides. Son collègue Zachary Beauregard, bien décidé à tout faire pour vivre jusqu’à son dernier souffle son histoire d’amour avec son épouse condamnée à très court terme par la maladie. L’explosif Martineau, leur chef, qui a plus d’un tour dans son sac, notamment face aux pourris du FBI. Et bien entendu, celui dont tous les lecteurs de « Crow » attendaient le retour, l’inimitable Mardirossian, alias Mardiros, le « collecteur de dettes » arménien, âgé, chétif, mais incroyablement déterminé et quasiment indestructible.

Indestructible, mieux vaut l’être dans cette région où les tornades arrachent les maisons et font voler bateaux et voitures. Une scène de casse en plein typhon pour commencer – deux millions de dollars soutirés au parrain local, qui s’apprêtait à faire affaire avec des Colombiens – puis bien d’autres intrigues qui s’emmêlent. Un jeune Afro-américain tué de manière atroce. Les agissements pervers de la bourgeoisie locale. La mainmise de la pègre sur une partie de la police. Des vieilles histoires qui remontent d’un passé pas si lointain comme les cadavres remontent des fonds marécageux du bayou. Des flics qui s’espionnent eux- mêmes. Des coups de flingues, des coups fourrés et de belles démonstrations d’humanité.

Car les personnages sont humains, très humains. Et les femmes ne sont jamais oubliées – en mal comme en bien. L’histoire entre Zacharie Beauregard et son épouse mourante est belle sans jamais verser dans le pathos. Le personnage tourmenté et complexe de Louise, qui montre à la fois ses blessures, ses failles et ses ressources, convainc sans peine. La personnalité de Kate Morgen, qui s’occupe d’enfants à la dérive, est admirable également. Les enfants eux-mêmes ne sont pas oubliés – il y a dans cette balade en Mustang offerte par Beauregard à un gamin émerveillé quelque chose d’intemporel qui fait mouche.

Si Braverman est généreux avec les détails, il l’est également avec les péripéties. Et les passages obligés du genre – détestations et affrontements testostéronés entre flics de circonscriptions différentes, flics véreux et FBI infect –, s’ils font parfois un peu déjà-vu, donnent lieu à quelques dialogues d’anthologie, qui claquent comme des coups de feu. On fera la même remarque au sujet des aliments et des cocktails détaillés à la limite de l’excès – mais, après avoir dégusté avec les protagonistes un « Born on the Bayou » (saucisse d’alligator avec du riz sale, oignons frits et piments jalopanõs), on ne risque pas d’oublier l’inénarrable cocktail « Adios Motherfucker ». Et l’on ne peut que partager la jubilation de l’auteur qui, à plusieurs reprises, prépare soigneusement ses ingrédients pour ouvrir la voie à une dernière réplique venant clôturer le chapitre à la fois en point d’orgue et en coup de tonnerre.

Alors, ce « Freeman  », qui tient ses promesses, la fin d’une trilogie ? Pas sûr. Le lecteur n’aura pas manqué de noter qu’un des protagonistes, comme incidemment, rappelle que le corps de Hunter, personnage clef des deux premiers tomes, n’a jamais été retrouvé. Parmi bien d’autres possibilités, voilà une porte ouverte, ou tout au moins entrebâillée, à un retour de ces personnages peu ordinaires. Des personnages, inutile de le dire, qu’on ne serait pas fâché de retrouver.


Titre : Freeman
Auteur : Roy Braverman
Couverture : Greg Guyard/ Stockbyte/ Getty Images
Éditeur : Hugo et Cie
Collection : Hugo Thrillers
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 520
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : janvier 2020
ISBN : 9782755644784
Prix : 19,95 €


Les thrillers Hugo et Cie sur la Yozone :

- « Crow » de Roy Braverman
- « Hunter » de Roy Braverman
- « Le Journal de Claire Cassidy » d’Elly Griffiths
- « Les Sages de Sion » par Hervé Gagnon
- « La Terre promise » par Hervé Gagnon
- « Les Passagers » de John Marrs
- « Âmes soeurs » de John Marrs
- « Le Tricycle rouge » de Vincent Hauuy


Hilaire Alrune
15 février 2020


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