Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Sorciers et des Hommes (Des)
Thomas Geha
Critic, Fantasy, roman (France), dark fantasy, 317 pages, avril 2018, 19€

Hent Guer et Pic Caram sont un drôle de duo. Lui est un ancien général, guerrier émérite, un peu trop porté sur les femmes et la boisson, l’autre est un sorcier aux rubans, magicien très puissant. Liés par une passion sans limite pour le pognon, la richesse, l’or et les cailloux qui brillent, ils parcourent la grande île de Colme sans trop se poser de questions sur les motivations de leurs employeurs, tant que le salaire à la clé est sonnant et trébuchant. Hélas, s’ils sèment des cadavres dans leur sillage, il leur survit quelques adversaires revanchards qui pourraient bien demander des comptes un jour...



« Des Sorciers et des Hommes » s’ouvre sur “Rubans de Soie Rouge”, nouvelle destinée à une anthologie qui ne vit (hélas !) jamais le jour. Thomas Geha compose son roman de plusieurs nouvelles successives, comme autant d’aventures du duo, avant une novella conclusive dans laquelle leur(s) passé(s) (et leurs casseroles) les rattrapent.
Rubans de Soie Rouge” s’ouvre sur une magnifique gueule de bois de Hent Guer, qui découvre que la fille avec laquelle il a passé la nuit lui a volé son mage et nouvel ami. L’alcoolique révèle rapidement de solides compétences de persuasion (par la violence), une certaine subtilité, non dénuée de cruauté, dans l’exercice des poisons et de la vengeance, et une froide détermination à sauver son comparse, qui au-delà d’une amitié naissante est la solide promesse de ramasser de l’or à la pelle dans les temps à venir.
Les rôles sont posés : deux personnages très puissants, l’un par la force, l’autre par la magie, des faiblesses qu’ils compensent mutuellement, et un net penchant pour leur profit personnel. On est très loin des héros parés d’or et de blanc qui luttent pour un monde plus juste : ce sont deux mercenaires avides de richesses et suffisamment efficaces pour espérer profiter de leurs gains et de leur retraite. On se doute néanmoins que le monde est un rien plus complexe, que les alliances économiques et les manigances politiques qu’ils chamboulent à la demande de leurs clients vont régulièrement conduire à leur envoyer des assassins aux trousses. Ils ne sont pas forcément déplaisants, bien au contraire, mais leur individualisme et leur mépris des autres, des faibles surpassent sans peine leurs quelques qualités et leurs lointaines limites éthiques. Après eux le déluge, et mieux vaut être vivant, riche et coupable que mort pauvre et honorable.

C’est par leur regard qu’on découvre la grande ile de Colme, ses archipels, et les forces en présence. Peu concernés, ils veillent juste à conduire leur pas là où le pouvoir en place est en bisbille avec ses voisins, pour réduire le risque de se voir poursuivis d’un royaume à l’autre. La négociation de la libre circulation d’une puissante guerrière chargée de capturer Hent Guer est d’ailleurs au cœur de la dernière partie.

Si ces méchants peuvent finalement devenir un peu attachants, dans le sens « égoïstes débrouillards », Thomas Geha varie les points de vue, pour narrer l’histoire de leur victime, comme la mafieuse Bikkir, ou adopter celui d’un personnage secondaire, avec le Fouillevie Droa Druber, et remettre les choses dans leur contexte : son univers est un monde aussi beau que dangereux, dont on peut enfreindre certaines lois à condition d’en respecter les règles. Certains rapports de force garantissent la stabilité, sinon le bonheur de tous. L’éternel combat de l’ordre, aussi imparfait soit-il, contre le chaos. C’est ce qui conduira à la fin de nos deux « héros », poursuivi par la loi et la vengeance, deux faces d’une même justice.

C’est, comme d’habitude avec Thomas Geha, une très belle fresque, rythmée et passionnante, dans les affres de l’Homme. Sur le fond, on a affaire à un beau duo d’ordres dans un monde pas tendre, mais dans ces choix narratifs, l’auteur prend d’agréables détours (on ne rattache l’histoire de Drao Druber au reste qu’en toute fin de chapitre), des angles volontairement différents pour se détacher de simples épisodes sériels. A mesure de notre lecture, on abandonne le terme de « recueil de nouvelles », car « Des Sorciers et des Hommes » est bel et bien un roman, séquencé, où tous les textes sont intriqués et suivent un ordre défini. Un début et une fin.

Si tout cela a des atours de dark fantasy badass, l’auteur se joue sans mal des clichés du genre, dans un délicat équilibre entre archétypes vintage et vrais choix représentatifs. Pas de barbare musculeux, de mage chétif (Pic est plutôt rondouillard) ou de femmes trop souvent dénudées. Ainsi, la super-guerrière Joanni, un rien mystique, d’apparence froide et hautaine n’est pas dénuée d’humour ni de pragmatisme. A l’opposé du spectre, Drao, malgré quelques aptitudes martiales, est surtout l’occasion d’exprimer des fragilités souvent écartées des personnages masculins. Du patriarcat héréditaire des Grandsangs au matriarcat militaro-religieux de Scalèpe, sans s’appesantir outre mesure, Thomas Geha brosse un large panorama des possibilités d’associations entre races, genres et position sociale.

D’habile façon, l’auteur se permet même d’ouvrir encore davantage son univers dans sa dernière partie, invitant de nouvelles forces, plus obscures et puissantes, dans la partie, une strate supérieure pour nous rappeler que tout n’est pas si simple, que le terrain de jeu est plus large que ce que nos deux gus ont arpenté. Manière de dire qu’à défaut d’y revenir, tout cela est loin d’être clos.

C’est sombre, cruel, jouissif, comme une série actuelle qui joue sur les zones les plus gris foncé des héros qu’elle nous offre à suivre ; c’est rythmé, avec un tension qui va crescendo à chaque chapitre ; souvent dramatique, terriblement humain.

Personne n’est bon dans cette histoire, mais cette histoire est sacrément bonne.


Titre : Des Sorciers et des Hommes
Auteur : Thomas Geha
Couverture : Xavier Collette
Éditeur : Critic
Collection : Fantasy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 317
Format (en cm) :
Dépôt légal : avril 2018
ISBN : 9782375790472
Prix : 19 €



Nicolas Soffray
17 février 2020


JPEG - 84.8 ko



Chargement...
WebAnalytics