Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Au-delà de l’horizon
Franck Thilliez
Pocket, n°17773, nouvelles, policier/thriller/science-fiction/fantastique, 412 pages, janvier 2020, 9,99 €


On se souvient, dans le monde réel, de l’expérience Biosphère. Dans « Au-delà de l’horizon », Franck Thilliez met en scène une expérimentation analogue. Plusieurs scientifiques ont été sélectionnés pour passer plusieurs mois dans un espace confiné, presque entièrement coupés du monde extérieur. Une base de surface limitée où il leur faudra cohabiter et, outre leurs travaux scientifiques, peu consommer, tout économiser, tout recycler. Un test grandeur nature avant que l’humanité se lance à l’assaut de la planète Mars. Le challenge est de taille, les participants d’autant plus motivés qu’en cas de succès ils pourraient bien faire partie de la première mission sur Mars. Mais rien ne se passe comme prévu. La base fictive n’est pas située aux Etats-Unis, comme ils le croyaient initialement, mais ailleurs – ils ne savent pas où. Les problèmes, les évènements inattendus se multiplient. Cette simulation où tout dérape n’est-elle pas destinée à tester autre chose qu’une mission spatiale ? Et s’agit-il vraiment d’un test ? L’expérience n’est-t-elle pas en train de se transformer en jeu sadique ? Que se passe-t-il dans leur monde extérieur ? Pourquoi les membres de leurs familles, dans leurs messages, semblent-ils de plus en plus en plus distants ? Les questions s’accumulent, la paranoïa s’installe. Au total, « Au-delà de l’horizon » compose une novella d’une petite centaine des pages qui réserve plus d’une surprise et qui atteint son but.

Récit d’ambiance encore avec « Hostiles » : dans cette nouvelle, initialement publié dans les « Petits Polars » du Monde, une auto quitte la route, tombe dans l’abîme et termine sa course dans les arbres. A bord, coincés dans le véhicule, le conducteur et une jeune auto-stoppeuse. Un endroit désert. Personne, apparemment, pour les secourir. Mais peut-être vaudrait-il mieux qu’il n’y ait réellement personne. Même s’il rappelle, par son ambiance, un certain « Cujo  », et qu’on se dit qu’un auteur comme Stephen King aurait été tenté de l’étirer sur plusieurs centaines de pages, un tel huis clos a trouvé son juste format. Une pointe de cauchemar façon « Délivrance  » (John Boorman, 1972), avec en filigrane, pour chacune des péripéties, et jusqu’à la toute dernière ligne, une interrogation sur ce que peut signifier la chance – ou l’impression d’en avoir.

Moins mémorable, « Double je » avait été publié chez Fleuve éditions sous forme d’affiche, œuvre de commande en « communication événementielle » à l’occasion d’une exposition au Palais de Tokyo en 2016. On en trouvera une brève chronique en suivant ce lien. Si « Double jeu » mêlait déjà art et spécularité, il en va de même avec « Charybde et Scylla  » (publié en 2018 et au format numérique chez l’éditeur 12-21) et « Ouroboros  » (première publication en 2006 dans le volume « L’Empreinte sanglante  », Fleuve éditions), sur les thèmes de l’imaginaire et de la création de mondes mentaux. Dans l’un, des individus ont un bien étrange métier : sur des longues périodes de leur existence, servir, dans un univers d’auteur qui est aussi une réalité virtuelle, de « mannequin » à un personnage imaginé d’écrivain, un peu comme un acteur fait office d’ersatz à un personnage de film. Dans l’autre, un auteur de bande dessinée, partiellement amnésique, partiellement confus, erre aux marges d’un village qui pourrait n’être qu’un décor, tandis qu’au fil de son enquête générée par d’étranges messages qu’il s’envoie peut-être à lui-même, la frontière entre sa vie et son œuvre commence à se brouiller. Le premier relève plus de la science-fiction et de la dystopie noire, le second plus du fantastique, mais tous deux, sur des postulats intéressants, atteignent leur but.

Spécularité et noirceur encore avec « Sopor  », ou un personnage se retrouve lui-même dans des circonstances tragiques, et où le lecteur trouvera des indices disséminés à son intention. Dans « Un dernier tour », initialement publié en 2013 sous le titre « Tour de France - Un dernier tour » au format numérique, le narrateur, un inspecteur amnésique, se retrouve sans le vouloir à sa propre poursuite, à la recherche de son passé : cela finira mal. Les amateurs de Franck Thilliez avaient déjà lu « Gabrielle  », avec ici aussi plus d’un retour en arrière, dans le recueil collectif « Treize à table » (Pocket, 2014), mais aussi dans un petit volume de la collection Double Noir, en compagnie d’un texte d’Abraham Lincoln : nous avions fait à son sujet une brève notule que l’on trouvera en suivant ce lien

Pas entièrement convainquant, « Le Grand voyage » (initialement publié en 2012 en tant que « Petit Polar » du Monde), ressemble plus à une entame ou à un fragment de roman apocalyptique, voire à un premier d’essai pour « Pandémia », qu’à une véritable nouvelle. Ce « Grand voyage », c’est une croisière à la fois de rêve et « low-low-cost » qui tourne lentement au cauchemar. Un texte efficace et à déconseiller aux claustrophobes et aux hypocondriaques, mais qui laisse une sensation d’inabouti.On en trouvera néanmoins des échos dans l’actualité avec les mésaventures des passagers du Diamond Princess, maintenus en quarantaine dans un navire de croisière au large du Japon pour raisons d’épidémie à bord causée par le coronavirus Covid 19. On poursuivra, toujours sur une trame de fond médicale, avec « Lasthénie  » : certains lecteurs verront peut-être venir la fin quelques pages avant la chute, mais il était difficile de faire plus noir que ce récit, qui de surcroît enrichit le genre d’une femme fatale dont la folie va bien au-delà de ce que l’on pouvait imaginer. Également avec les progrès de la médecine pour toile de fond, «  La croisée des chemins » mise surtout sur l’émotion, et atteint son but. Et s’il y a une « Croisée des chemins », il y a aussi un point d’inversion et de retour, décrit par l’auteur dans « Origines  » : science et médecine mêlées pour un temps qui s’écoule à rebours, et l’humanité qui s’écoule à rebours du temps. Le thème est difficile sur le plan technique, et plus d’un auteur a développé des trésors d’imagination pour s’y attaquer, comme l’avait fait Brian Aldiss avec « Cryptozoïque  ». Si l’entame d’« Origines  » peine à convaincre, cette histoire d’une humanité parvenue à son point de retour, comme une balle lancée verticalement revient en arrière sur sa course, montre incidemment que le rêve d’un rajeunissement pourrait bien être un cauchemar, et surtout finit par sonner juste en revenant à son personnage de départ : ne reste plus que l’émotion, qui, une fois encore, atteint son but.

Dystopie noire, univers imaginaires, thriller, policier, suspense, mystère, fantastique, les nouvelles de Franck Thilliez balaient un large éventail où dominent surprises, noirceur et émotion. Les amateurs de Franck Thilliez apprécieront de retrouver rassemblées en un volume la plupart de ses nouvelles, jusqu’à présent disséminées sur de multiples supports. L’occasion de se faire une idée des capacités de novelliste de l’auteur, et de trouver dans le lot des nouvelles à son goût.


Titre : Au-delà de l’horizon
Auteur : Franck Thilliez
Couverture : Thoth Adan / Istockphoto / Nicolas Galy
Éditeur : Pocket
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 17773
Pages : 412
Format (en cm) : 10,8 x 17,7
Dépôt légal : janvier 2020
ISBN : 9782266306447
Prix : 9,99 €

Franck Thilliez sur la Yozone :

- « Pandémia »
- « Angor »
- « Atomka »
- « Puzzle »
- « Vertige »
- « La mémoire fantôme »
- « L’anneau de Moebius »
- un entretien avec Franck Thilliez


Hilaire Alrune
3 février 2020


JPEG - 27.2 ko



Chargement...
WebAnalytics