La conclusion de « l’Ensorceleuse » donnait un nouveau tour à « L’Anti-Magicien » : Kelen et Rakis étaient seuls. La coupure du lien avec le chacureuil isole encore davantage le jeune homme, l’obligeant à faire preuve de plus d’assurance, de confiance en lui, porté par ce devoir de secourir ses amis. Le monde semble encore se liguer contre lui, puisque ses sauveteurs l’éloignent de cet objectif. Sa capacité à leur échapper en jouant sur des réflexes humains démontre aussi sa nouvelle maturité.
Seul, Kelen n’a plus personne derrière qui se cacher, plus personne pour le guider. Amalgamant les enseignements de Furia et de rakis, ce qui en soi n’est pas forcément une bonne idée, il se forge une armure pour mieux affronter les porteurs de l’ombre au noir, auxquels il fait peu confiance, même s’il aimerait trouver dans ces jeunes gens des amis, des parias comme lui. Au contraire, leurs divisions, leurs affrontements perpétuels lui sautent aux yeux, tout comme leur relation compliquée avec leur chef, l’abbé à l’ombre au noir très puissante.
Derrière les beaux discours de ce dernier, Kelen perçoit les mêmes accents que chez son père, et cette stratégie d’annihiler l’adversaire dès la première menace. La puissance de l’ombre au noir nous étant pleinement dévoilée, on comprend le danger d’un conflit ouvert avec les Jan’Tep.
La menace monte donc d’un nouveau cran dans ce 4e volume. La guerre entre les provinces couvaient, il s’agit là d’éradiquer une population complète, dont nombre d’innocents, simplement « contaminés » par une infection. Un bouc émissaire bien en peine de se défendre, un exutoire à la violence qui a besoin d’éclater. On est pas loin des éléments de la Seconde Guerre mondiale.
Sebastien de Castell équilibre son roman entre l’inquiétude de Kelen pour Rakis, sa tristesse, la faiblesse issue de sa solitude, de son inexpérience, et son refus de baisser les bras, de voir les choses envenimées par sa faute retomber sur des innocents. Il confirme son rôle de défenseur des faibles, des sans-grades, lui le paria trahi par son peuple et sa propre famille. Affronter son père, lui tenir tête et peut-être se jouer de lui est l’épreuve suprême. Le grand mage le bouscule néanmoins en suggérant que le chaos qu’il provoque sert aussi ses intérêts (et que tout cela pourrait faire partie d’un Plan !). Préférera-t-on miser sur Ke’heops ou sur l’auteur pour nous avoir ficelé quelque chose de bien plus subtil que cela ? Néanmoins, instillée par la talentueuse et ambitieuse sœur de Kelen, l’idée fait son chemin en nous.
Encore beaucoup d’aventures, d’émotions, de rires et de larmes dans ce 4e tome, qu’on voudrait lire lentement, en attendant avril 2020 et la sortie du suivant, et avant-dernier. L’auteur renouvelle comme à chaque fois son intrigue, son décor, tout en conservant la structure profonde de son récit, culminant jusqu’à un conflit final que son héros devra faire basculer, dans la pure tradition Argosi, être ce caillou qui fait dévier du rail. La plume de Sebastien de Castell, sa capacité à nous immerger profondément dans la psychologie de ce jeune adulte torturé par son incapacité à sauver tout le monde, à comprendre à temps comment les uns et les autres manigancent la perte du plus grands nombre, à ne trouver qu’une pirouette pour retarder, encore, l’inévitable, et à croiser les doigts pour que cela marche. Cette fois encore, mais seul, il réussira, en retournant contre les ambitieux les œillères de leur soif de pouvoir.
On quitte Kelen plus affûté pour affronter le monde, et on espère qu’il y parviendra dans les deux derniers tomes.
Titre : L’Abbaye d’ébène (Soulbinder, 2018)
Série : L’Anti-Magicien, tome 4/6
Auteur : Sebastien de Castell
Traduction de l’anglais (Canada) : Laetitia Devaux
Couverture : Noémie Chevalier
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Collection : Grand format littérature
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 477
Format (en cm) :
Dépôt légal : août 2019
ISBN : 9782075124089
Prix : 17 €
L’anti-magicien
L’ombre au noir
L’ensorceleuse
L’abbaye d’ébène
tome 5
tome 6