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Trilogie Trademark, tome 2 : Vie™
Jean Baret
Le Bélial’, roman (France), anticipation sociale, 304 pages, septembre 2019, 19,90€

Le citoyen X23T800S13E616, plus communément appelé Sylvester Staline, a un rythme de vie bien rôdé. Tous les matins, il se lève, c’est-à-dire sort de son bain nourricier Ted™, il met ses lentilles de contact Augeyez™, lève ses mains pour taper son code d’accès et met ses prothèses auriculaires. Il est fin prêt pour son existence virtuelle, la vraie, débarrassée des contingences matérielles. Il commence alors sa journée de travail, dont la durée rythme son temps de repos. Il tourne des cubes qui changent de couleurs, tâche qu’il entrecoupe de temps de loisirs pour visiter ses contacts, voir les dernières nouveautés.
Problème : les comptes de Sylvester Staline sont déséquilibrés, il passe beaucoup trop de temps en loisirs où il est déficitaire, alors que son temps de sexe est beaucoup trop excédentaire. Pour le temps d’amitié, ça va, mais qu’est-ce que c’est que cette manie de se suicider tous les soirs, d’autant que ça risque d’attirer l’attention sur lui ?



Sylvester Staline vit dans une espèce de jour sans fin, constitué de routines. Il a beau s’enfoncer un pistolet tous les soirs dans la gorge et presser la détente, son Ted™ le remet tous les matins en selle. Ces gestes désespérés montrent tout son malaise, son absence de réponses face à une vie sans but. D’ailleurs à quoi sert son boulot ? Il lui manque quelque chose, peut-être rencontrer ses semblables sans artifices, mais évoquer une telle possibilité revient à une hérésie. Ses contacts Simone de Bavoir, Claudia Chou-fleur, Steven Cigale... aux noms ne manquant pas de piquant, vivent dans leurs bulles dénuées de toute réalité physique, en-dehors de celle qu’ils lui donnent. La vraie vie n’est plus celle dictée par le corps physique, mais par la liberté offerte par la virtualité, devenue tangible, plus réelle que le reste. À bas la médiocrité, vive les plaisirs offerts. Plus de limites, plus de tabous si ce n’est un contingent d’heures à plus ou moins respecter.

Avec sa manie d’achever chaque journée par un suicide, Sylvester Staline se fait remarquer et est obligé de suivre une thérapie pour éviter l’alerte dans le champs de sa vision. Comme il est quasi dénué de toute volonté, il laisse l’algorithme choisir pour lui et le voilà embarqué dans une thérapie nihiliste. Choix loin d’être innocent, car la présentation de Jean Baret le présente comme un avocat au barreau de Paris, culturiste et nihiliste.

Avec « Vie™ », l’auteur nous embarque dans une nouvelle anticipation sociale, où les humains sont devenus dépendants du réseau leur offrant tout et rythmant leur vie dénuée de tout sens, mais ce détail ils s’en tamponnent, seuls comptent le plaisir, l’impression d’être quelqu’un. Se rencontrer ne se fait plus physiquement, mais virtuellement. Tout est classifié, l’anonymat n’existe plus, il suffit de scanner un individu pour tout connaître de sa vie. Le code-barre est roi et définit chacun, sous la surveillance des algorithmes. Ils servent en même temps de garde-fou, donnant une légitimé à chaque action, comme elle s’exerce sous leur contrôle. Comment dans ce cas pourrait-il y avoir un grain de sable capable d’enrayer cette belle mécanique constituée de 1 et de 0 ?

Le début s’avère répétitif, monotone mais met dans l’ambiance, la routine de l’existence de Sly n’est rapidement plus un mystère pour le lecteur. Chaque jour ressemble au précédent et la plus petite déviation est attendue. À l’image du personnage qui ne sait pas trop ce qu’il attend tant ses jours sont balisés, chaque changement, chaque évolution est souhaitée pour échapper à un quotidien finalement sans intérêt. Contrairement à « Matrix » où les gens ignorent pour la grande majorité qu’ils vivent dans la matrice, là ils l’assument et n’aspirent qu’à ça. La facilité et l’inanité priment. Bien sûr, les échanges via réseau de Sylvester sont une déformation de notre quotidien et deviennent la norme, la technique permet de s’y immerger totalement, alors à quoi bon les contingences d’un corps fragile ?

Critique acerbe de notre société où le numérique devient toujours plus important, où la notion d’amis ne signifie plus forcément grand-chose, « Vie™ » assène ses vérités par l’absurde et avec une bonne dose d’humour. Rien ne semble y avoir de l’importance, se tuer ne signifie en rien la fin ; sous le contrôle des algorithmes bienveillants rien de mauvais ne peut surgir. Comment dans ce cas, Sylvester Staline peut-il trouver une raison à sa vie ? En faisant tout péter peut-être ?

À consommer sans modération, car Jean Baret présente sans complaisance et de fort belle manière notre avenir.


Titre : Vie™
Série : Trilogie Trademark, tome 2
Auteur : Jean Baret
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 304
Format (en cm) : 13,9 x 20,4
Dépôt légal : septembre 2019
ISBN : 9782843449567
Prix : 19,90 €


Également sur la Yozone :
- « Trilogie Trademark, tome 1 : Bonheur™ »
- la nouvelle “Trademark” dans « Bifrost 91 »



Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
16 octobre 2019


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