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Nos Derniers Festins
Chantal Pelletier
Gallimard, Série Noire, roman (France), Polar d’anticipation, 197 pages, avril 2019, 18,50€

2044, une prohibition alimentaire pèse sur la France, fruit des lobbys vegans, antispécistes et autres, engendrant de fait nombre de trafics pour contourner les permis de table et les régimes aussi sains que draconiens. Un siècle après la guerre, le marché noir bat son plein, beurre, foie gras et autres produits fins circulant sous le manteau.
Contrôleur alimentaire, Ferdinand Pierraud a dû quitter la capitale pour un stage en Provence. Intolérant aux fruits, il est un adepte des aliments en tubes, chimiquement contrôlés, ce qu’ignore sa tutrice Anna Janvier, une passionaria de la bouffe, Méditerranéenne au physique de chancelière allemande, qui n’hésite pas à user et abuser de son rôle pour s’en mettre plein la lippe sans grâce ni gêne aucune.
Après le constat d’accident d’un trafiquant bulgare de foies gras, où Janvier lui apprend les pratiques locales avec la petite délinquance, une inspection dans un restau clandestin va mettre la barre plus haut : un cadavre à poil, pendu par les pieds dans la chambre froide, s’avère être un cuistot renommé du coin, qu’on a plongé tête la première dans sa blanquette...
Pendant ce temps, Lou, quinqua cabossée par la vie, tente de garder la tête hors de l’eau dans son restaurant dûment agréé, entre les inspecteurs des menus, les casse-pieds, un second absent, une compagne décédée qui la hante, un alcoolisme tenu à distance, des locataires nonagénaires abandonnés par leur nounou et, de manière générale, une vie complètement à la dérive du monde qui l’entoure.



La 4e de couverture du roman de Chantal Pelletier est alléchante, tant pour les amateurs de polar que d’anticipation, et les gourmands tout court. Hélas, hormis ces derniers, les autres resteront sur leur faim.

L’autrice signe un mauvais polar, noyé sous une sauce d’anticipation climatique, à l’intrigue bradée par une pirouette centenaire en deux lignes. Elle se perd dans son anticipation, au prétexte de deux protagonistes à œillères, qu’elle nous fait découvrir par petits bouts en recollant les pièces de son mieux. Mais les couches successives, au lieu de donner une saveur plus complexe au plat, le changent en une bouillie indigeste.
Il ne suffit pas de bons ingrédients pour faire un bon plat, et malgré son expérience dans le domaine du roman à connotation culinaire et sa maîtrise apparente du genre, Chantal Pelletier gaspille ses très bonnes idées les unes après les autres en n’en approfondissant à peu près aucune.

Ses deux personnages, abîmés par la vie, se voient affublés d’un passif quasi inutile, tantôt déroulé à longues pages (Lou, entre prison, armée, vie sentimentale chaotique) ou quelques lignes (Ferdinand, une addiction juvénile aux écrans inexploitée, un compagnon pas divorcé, une allergie qui ne sert qu’à un rebondissement sans intérêt). Au prétexte de leurs journées effrénées, on balaie l’intrigue rapidement, on écarte du roman tout ce qui ne relève pas de l’information immédiate, sur laquelle on s’étendra ou pas selon un critère d’importance inversement proportionnel à l’envie du lecteur d’en savoir plus.

Chantal Pelletier nous dépeint un futur pas rose et bancal, où la Provence est écrasée par plus de 40° de soleil, au grand dam de Ferdinand qui est intolérant (encore une fois pour rien, ou le seul contraste avec la locale Janvier). La plupart des protagonistes semble cependant acclimatée, et on ne mentionne la climatisation qu’une rare fois. L’intrigue nous fait découvrir des potagers qui s’en sortent aussi très bien, et sans Monsanto. Tout comme les nonagénaires, plutôt fringants car la médecine a fait des progrès. Et eux aussi bâfrent, mais ils ont le droit car ils ont dépassé la date de péremption.

Ôtés l’intrigue indigente, les états d’âme de Ferdinand et Lou, et d’ineptes scènes et précisions sexuelles (une homosexualité omniprésente, et la présence d’une trans, histoire de placer quelques lignes d’écriture inclusive - l’une et l’autre encore une fois totalement superflues), il reste la bouffe. Si on sourit aux petits traf... arrangements de Janvier avec les types gaulés la camionnette pleine de foie gras, tout comme Ferdinand on soupire à la voir engloutir, ogresse goulue, les saisies de pique-nique du club des amateurs de beurre (une autre scène qui ne tient pas debout, des richards pique-niquant en forêt avec nappe, porcelaine et argenterie, alors que l’orage gronde et va tout lessiver deux minutes après la descente des flics...). Le contraste entre les deux contrôleurs alimentaires est martelé, sans finesse aucune, plus lourd qu’une crème au beurre...

Il y a, reconnaissons-le, de très beaux passages, envoutants (notamment le « deuil par la cuisine » de Lou et Oreste) ; des messages très actuels sur les migrants, la lutte des classes, le fond de l’intrigue, livré sur un plateau, mêle retour à la terre et conglomérat financier... Mais voilà, quelques pages et de bonnes intentions ne suffisent pas à sauver l’ensemble, mal exécuté. Barbouiller à grands coups de pinceaux à laquer une dictature alimentaire, des contrôles sévères faisant trembler les honnêtes gens, des ayatollahs de tous bords (végans, locavores, antispécistes...) et des altermondialistes trop gentils pour être tout blancs ne suffit pas à monter une dystopie crédible.

Des passages tantôt légers laissent envisager un agréable cocktail entre (ingrédients cinématographiques) « Les Ripoux » (pour le duo aux méthodes opposées) et « Le Cousin » (pour les arrangements avec la loi), shaké avec la décadence de « La Grande Bouffe ». La scène de la manifestation est du pur burlesque, avec une surenchère de slogans plus extrémistes les uns que les autres autour d’un camion d’ananas et d’un Laurent, grand-père de Lou qui se la joue « Vieux Fourneaux », l’autrice reprenant à son compte le reproche fait dans le premier tome de la BD à cette génération qui a tout eu et qui se permet de donner des leçons à ses descendants sur comment réparer le monde qu’ils leur ont laissé. Las, tout cela est plombé par une Lou tellement dans sa bulle qu’elle prive le lecteur d’une vision digne de ce nom des enjeux et des décors de cette histoire. Sa fille apparaît à la 130e page (soit aux 2/3 du livre), et avec elle quelques éclaircissements dans une histoire où on avance totalement en aveugle. L’épisode cévenol final, pirouette scénaristique bien indigente, vient débarrasser la table.

A vouloir traiter trop de sujets, Chantal Pelletier en brade la majorité pour nous assommer sous les autres, et pas forcément les mieux choisis. La gouaille de la Série noire se marie très mal avec les préoccupations écolo et les mutations trop ou pas assez décrites de cette société pas si lointaine.
Gloubi-boulga de polar (escamoté), d’anticipation écolo-climatique (grossière et survolée) et gastronomique (bien en deça de nos attentes), « Nos derniers festins » s’avère piètrement cuisiné, mal digeste et pas assez consistant.
Une (mauvaise) farce, en lieu et place du plaisir rebelaisien annoncé.


Titre : Nos derniers festins
Auteur : Chantal Pelletier
Couverture :
Éditeur : Gallimard
Collection : Série Noire
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 197
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 1
Dépôt légal : avril 2019
ISBN : 9782072833489
Prix : 18,50 €



Nicolas Soffray
15 juillet 2019


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