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Gunpowder Moon
David Pedreira
Bragelonne, science-fiction, traduit de l’anglais (États-Unis), 357 pages, mai 2019, 20€


« Quand Dechert était parti pour la lune en 68, la plus grande partie de l’Europe et de l’Amérique du Nord s’appelait encore le Nouveau tiers-monde. (…) Pendant plusieurs années, la terre entière était devenue une désolation. Frappée de sensationnelles inondations sur un continent, de sécheresse sur un autre. De pandémies. D’incendies. De trucs bibliques et encore pires : au moins, les gens ne s’entredévoraient pas dans les passages les plus sombres de l’Ancien Testament. »

Nous sommes au-delà des années 2060 et la Terre, après avoir flirté avec l’apocalypse, commence à aller un peu mieux. Après avoir atteint le fameux Max, le maximum thermique, et subi des dégâts et des pertes considérables, l’humanité relève la tête. Les États-Unis ont énormément souffert et regrettent l’époque de leur superbe. Un traité a été passé entre les États-Unis et la Chine pour exploiter sans concurrence les réserves minières de la lune. Celle-ci recèle en effet des quantités phénoménales d’Hélium 3 nécessaires à la production d’énergie par fusion nucléaire. Une énergie pour tous les pays qui en ont besoin, et une humanité qui commence enfin à se serrer les coudes.

« Et voilà comment l’espace avait retrouvé son importance. L’exploitation minière sur la lune avait généré une brève force unificatrice pour un monde qui avançait à tâtons, en rappelant que l’humanité pouvait encore contrôler son destin. »

C’est dans ce contexte que Caden Dechert, ancien soldat, ancien pilote de chasse, dirige l’exploitation de Sérénité 1, à distance de la base Peary. À ses côtés, une poignée de scientifiques et de techniciens comme Vernon Waters, également pilote, Jonathan Quarles, en charge de l’informatique et des véhicules, et Lane, la seule femme de l’équipe. Leur métier : exploiter les ressources minières du sous-sol. Mais cette roche qui apparaît comme une aubaine pour l’humanité représente aussi un danger constant, une véritable malédiction : la poussière lunaire, le fameux « gunpowder moon », dont Dechert a l’impression de sentir l’odeur à travers sa combinaison lunaire, s’infiltre partout, dans les machines, dans les véhicules, dans les circuits électriques, et met sans cesse à mal la sécurité.

Au cours de l’année qui suivit l’affectation de Dechert sur la lune, la cause commune avait été jetée bas par un marché à la hausse. Les nations primaient de nouveau sur l’humanité.

La sécurité : là est le maître mot qui révèle la véritable évolution des choses. Sur Terre, après une brève accalmie, la course au profit a été relancée. C’est dire que les moyens demandés par les équipes d’exploitation ne sont pas accordés : peu importe leur sécurité, seules comptent désormais les courbes de productivité. Le contexte terrien est revenu à la concurrence acharnée. Selon les Américains, qui voudraient bien retrouver de leur superbe, les Chinois ne jouent pas franc jeu sur la lune. Sur Terre, les tensions entre Chinois et Américains ne font que croître, alors que sur la lune Dechert et son homologue chinois restent en bons termes, et assistent à cette escalade avec un certain effarement.

C’est dans ce contexte tendu que survient le premier accident lors d’une sortie véhiculaire à la surface, qui se solde par la mort de Fletcher, un technicien de Sérénité 1. Puis la panne d’un système d’exploitation autonome, dont une batterie a été arrachée. Puis d’autre mystères encore. Une commission d’enquête arrivée avec une troupe de soldats prouve que la mort de Fletcher n’a rien eu d’accidentel et pointe du doigt les Chinois. Caden Dechert et son homologue asiatique n’y croient guère. Mais ils comprennent bien que leurs deux pays souhaitent l’affrontement et que la seule chance d’éviter un conflit lunaire est de faire la pleine lumière sur les évènements.

Ce thriller de David Pedreira a pour avantage de reposer sur une base scientifique solide : l’hélium 3 est en effet disponible en quantité considérable sur la lune, avec des réserves suffisantes pour couvrir les besoins de l’humanité des années durant plusieurs siècles. Plus encore, les estimations de ses coûts d’exploitation, malgré les difficultés logistiques évidentes, apparaissent très en dessous de toute autre forme d’énergie actuellement utilisée, comme son équivalent pétrole. Il y a donc avec l’hélium 3 un authentique challenge : la nation qui mettra la main sur cette ressource dominera l’humanité, et pourra prendre son essor pour des régions plus éloignées de l’espace.

De cette base scientifique et de ses corollaires découlent donc la vraisemblance des aspects géopolitiques, ou plus exactement spatiopolitiques, de « Gunpowder Moon ». Sur cette trame, David Pedreira parvient à construire un thriller efficace et crédible. Si l’on peut reprocher certaines facilités scénaristiques (par exemple, le fait qu’il ne soit pas possible d’espionner une base lunaire secrète chinoise avec des satellites, des vaisseaux en orbite ou des drones, et qu’il faille y envoyer une navette apparaît douteux, tout comme le fait que la pilote des « marines » maîtrise le pilotage dans une gravité dont elle n’a pas l’expérience, qui plus est avec un vaisseau amélioré à la dernière minute), on reconnaîtra à David Pedreira le soin apporté au réalisme des scènes et une certaine sobriété : si les rebondissements sont suffisamment nombreux pour maintenir l’attention, l’auteur évite de verser dans l’accumulation de clichés comme le faisait Andy Weir (auteur de « Seul sur Mars), dans son thriller lunaire « Artémis », ou dans l’accumulation d’invraisemblances à laquelle se laissait aller Peter Cawdron dans « Rétrograde ». De fait, ce sens de la mesure, dans un roman au cours duquel un des personnages mentionne Robert Heinlein et sa définition de la lune comme une « maîtresse cruelle » le rend plus comparable avec des classiques, comme les romans lunaires d’Arthur C. Clarke, « Les Gouffres de la Lune » ou encore « Lumière cendrée ».

Si l’on peut émettre quelques regrets (seul le personnage de Dechert est réellement fouillé, et une carte de la surface lunaire, même sommaire, manque cruellement au lecteur), on reconnaîtra que David Pedreira reste cohérent et suit sa ligne directrice jusqu’au bout, évitant à la fois une « happy end » totalement invraisemblable et des excès pyrotechniques comme on en lit et voit trop souvent. Même si en ce domaine « Gunpowder Moon », avec un sauvetage in extremis aux limites du technologiquement possible et de la résistance humaine, n’échappe pas totalement aux règles du genre, il se garde toujours d’en faire trop et de venir rompre la nécessaire suspension d’incrédulité. Une couverture réussie, un titre qui détonne, un thriller qui tient la distance, une fin en mi-teinte avec un mélange de lucidité, d’amertume et de distanciation sur la nature humaine : pour un premier roman, ce « Gunpowder Moon » tient ses promesses.


Titre : Gunpowder Moon (Gunpowder Moon, 2018)
Auteur : David Pedreira
Couverture : Fabrice Borio / David Paire / Arcangel Images
Traduction de l’anglais (États-Unis), : Jacques Fuentealba
Éditeur : Bragelonne
Pages : 357
Format (en cm) : 15 x 22,7
Dépôt légal : mai 2019
ISBN : 9791028111847
Prix : 20 €



Hilaire Alrune
31 mai 2019


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