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Sept morts d’Evelyn Hardcastle (Les)
Stuart Turton
Sonatine, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), fantastique / policier, 537 pages, mai 2019, 22€


Il s’éveille à la conscience dans une forêt obscure, voit une femme poursuivie s’enfuir, entend un coup de feu. « Anna ! » s’exclame-t-il. Elle est morte, il en est sûr. Mais l’assassin le traque à son tour. Terrifié, figé par la peur, il sent celui-ci, dans son dos, glisser dans sa poche une boussole, lui chuchoter la direction à prendre. Obtempérant, il atteint un manoir partiellement délabré où sont invités de nombreux hôtes. Il ne sait pas qui était la victime, il ne sait plus qui il est.

Tel est le point de départ d’une effarante histoire qui conduira le narrateur, à qui l’on explique dans un premier temps qu’il est le docteur Sebastian Bell, à reprendre conscience, après une bien étrange journée, non pas dans le corps de Sebastian Bell, mais dans celui d’un autre hôte du manoir, et ceci non pas le lendemain, mais très exactement au moment où, sortant de la forêt, le docteur Bell arrivait désorienté au manoir : c’est dire qu’il se voit arriver lui-même et que la journée reprend à zéro.

« Je sais simplement que vous êtes dans huit personnes différentes et que le valet de pied les tue, nous devons sauver celles qui restent.  »

Vivre de nombreuses fois la même journée, à chaque fois dans le corps d’un hôte différent : il n’en faudra pas moins au narrateur, qui n’est en réalité ni Bell ni aucun de ses autres hôtes, mais ne parvient pas à se souvenir de sa véritable identité, pour mener à bien la tâche qui lui est fixée par un mystérieux individu au costume et au masque de médecin de peste : élucider le crime de lady Evelyn Hardcastle qui aura lieu le soir même aux environs de vingt-trois heures. Le narrateur a droit à huit hôtes, à huit journées. Mais les choses se révèlent rapidement plus compliquées que prévu : un valet de pied cherche à tuer ses hôtes successifs ; il semble que d’autres que lui cherchent à élucider l’énigme, et à l’éliminer de la course ; il lui arrive de revenir en arrière dans un même hôte, pour peu que le personnage qu’il habite perde conscience.

On le réalise assez vite : « Les Sept morts d’Evelyn Hardcastle  » est un formidable jeu de faux-semblants, une étonnante enquête policière à l’aveugle qui ressemble à un jeu de master mind porté à la puissance quatre, d’autant plus que le crime n’a pas encore eu lieu, que les véritables règles ne sont peut-être pas celles qui ont été données au narrateur – dont le vrai nom semble être Aiden Bishop – et que, lorsque ce dernier cherche à empêcher un meurtre plutôt qu’à l’élucider, l’immuabilité de la journée pourrait bien être mise à mal.

« J’ai la tête qui tourne, et sans rien pour me distraire je sens chacun de mes hôtes qui pousse contre l’intérieur de mon crâne. Leurs souvenirs remplissent mon esprit, leur poids est presque intolérable. Je veux tout ce qu’ils veulent, je ressens leurs douleurs et suis rendu craintif par leurs peurs. Je ne suis plus un homme, je suis un chœur. »

Atmosphère victorienne, crime imminent, mais aussi bien d’autres crimes dans cette assemblée où chaque protagoniste, hôte du héros ou non, recèle sa propre part d’ombre, et où Aiden Bishop n’en finit pas d’essayer de trouver des alliés, d’identifier ses ennemis, de tenter de se laisser des indices à lui-même, de confronter les mêmes évènements observés depuis des points de vue différents, de les revivre avec une personnalité différente – car il arrive plus d’une fois que ses hôtes soient sur le point de l’emporter sur sa personnalité véritable.

Il est difficile de ne pas songer au fameux « Replay  » de Ken Grimwood – dont ces étonnantes « Sept morts d’Evelyn Hardcastle », aspect existentiel en moins, seraient un équivalent plus complexe et policier – ou aux «  Quinze premières vies de Harry August » de Claire North, également marquées par un retour en arrière dans le temps, voire au « Touch  » de la même Claire North, marqué par les passages successifs d’un hôte à un autre. Pourtant, malgré le postulat étrange, c’est surtout à des auteurs classiques – Conan Doyle ou Agatha Christie – que l’on pense avant tout dans ce roman d’observation, de détection, de déduction, d’inférence. Énigmes multiples mais liées, meurtre imminent et crimes anciens, délits en tous genres : on est dans la grande tradition des rebondissements et des coups de théâtre. L’ambiance n’est jamais absente, toujours tendue, avec les menaces omniprésentes. S’il utilise, pour nourrir et densifier son intrigue, des notions telles que l’affect, la confiance, l’intuition, qui varient en fonction des hôtes d’Aiden et de leur rencontre, Stuart Turton parvient aussi à faire en sorte que le roman aille au-delà de ses promesses, avec une ambiguïté particulièrement soignée : bien difficile, dans ce récit où il est sera fortement question de rédemption (on songera aussi au « Reincarnation Blues » de Michael Poore), de savoir qui sont les véritables maîtres de ce jeu qui, au vu des enjeux, n’en est pas tout à fait un, et de deviner si la justice qui apparaît en toile de fond est celle des dieux ou des hommes. Si ce « Sept morts d’Evelyn Hardcastle » va au-delà de ses promesses de simple récit policier, la part policière apparaît néanmoins particulièrement retorse, agencée comme un mécanisme d’horlogerie de haute volée – lecture attentive requise – et compose au final un polar original et jubilatoire.

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Titre : Les Sept morts d’Evelyn Hardcastle (The Seven Deaths of Evelyn Hardcastle, 2018)
Auteur : Stuart Turton
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Fabrice Pointeau
Éditeur : Sonatine
Pages : 539
Format (en cm) : 14 x 20
Dépôt légal : mai 2019
ISBN : 9782355847264
Prix : 22 €



Les éditions Sonatine sur la Yozone :

- « Carnets clandestins » de Nicolás Giacobone


Hilaire Alrune
21 mai 2019


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