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Livre des choses cachées (Le)
Francesco Dimitri
Hugo et Cie, collection Hugo Thrillers, thriller, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), 379 pages, avril 2019, 19,95€


« Nous enchaînons sur la jungle de livres. Ce n’est pas simple d’y pénétrer. (…) Nous atteignons ce que je ne peux décrire que comme une clairière dans la jungle ; les colonnes encerclent un coussin posé sur le sol, une machine à écrire Olivetti et une rame de papier vierge. Nous détaillons le tableau. Une machine à écrire. J’éprouve quelque chose de l’ordre du merveilleux pour l’étrangeté de cette maison. »

Tout se passe dans le Salento, le sud de l’Italie, un endroit que le narrateur décrit à son amie londonienne, qui n’y est jamais venue, comme un terminus et un bout du monde : “(…) l’Italie est une longue péninsule et au bout de cette péninsule les Pouilles sont une longue péninsule, et le Salento est une péninsule au bout de cette péninsule.” Et d’ajouter : “Le monde se prolonge bel et bien au-delà de ses eaux cristallines, même s’il n’en donne pas l’impression.”

Ce monde hostile, dont le vent d’hiver rend fou, et où l’été est si sec, prétend le narrateur, que l’on fait des sacrifices aux saints pour implorer un peu de pluie, c’est celui de son enfance, de la petite ville de Casalfranco, qui, comme mille et une petites villes de ce monde, est un endroit dont il est surtout important de s’évader : pas grand-chose à y voir, pas grand-chose à y faire, aucun avenir à y envisager. N’y restent que les losers, les pauvres en tous genres, les notables figés et confits, une poignée de carabinieri.

Important d’en partir, donc, et important également de n’y jamais revenir. Pourtant, un petit groupe d’amis a un jour créé le Pacte. Rien de diabolique dans la majuscule qui n’est là que pour l’emphase : une fois l’an, toujours à la même date, ils se retrouveront quoiqu’il arrive à Casalfranco, pour y passer une journée ensemble. Fabio, le photographe de mode. Tony, le chirurgien. Mauro, l’avocat et de la finance. Et enfin Art, l’artiste. Tous se sont extraits de cette bourgade-prison et mènent une riche carrière.

Tous, du moins en principe. Car si bon an mal an le Pacte est respecté, tout n’a pas fonctionné comme prévu. Car Art, le plus brillant d’entre tous, celui qui avait le premier décroché une bourse prestigieuse à l’étranger, est contre toute attente revenu s’installer à Casalfranco. Mais Art a toujours été particulier. Et un ancien mystère plane toujours autour de sa personne : alors qu’ils étaient adolescents, dans une oliveraie en bordure de laquelle ils observaient le ciel au télescope, Art a subitement disparu. Quinze journées vaines de recherches. Puis Art a réapparu. Et nul n’a jamais su ce qui s’était passé.

Difficile, donc, ce jour où nos amis doivent se retrouver, devant l’absence d’Art, devant son domicile vide, comme abandonné, de ne pas penser à cet épisode de l’enfance. Ses trois amis, cette fois-ci, en auront le cœur net. Ils resteront le temps qu’il faudra. Ils le retrouveront quoiqu’il arrive. Mais, dans cet endroit où le seul contrepouvoir à l’indifférence de la police locale est la mafia locale, la fameuse Corona, est-ce bien prudent ?

« Les rares cheveux qui lui restent sont teints en brun et ramenés en arrière pour faire croire qu’ils sont moins rares. Elle ressemble à un accessoire en fin de vie pour films d’horreur à petit budget. »

Narré tour à tour par les trois protagonistes essentiels – Fabio, Toni et Mauro, avec une place prédominante pour le premier – ce « Livre des choses cachées » tourne donc essentiellement autour de deux mystères : celui de la disparition passée et de la disparition récente. Une intrigue d’autant plus efficace qu’elle concerne un personnage qui a toujours été brillant mais particulier, amical mais insaisissable. Avec astuce, Francesco Dimitri mêle une intrigue de thriller et de roman policier avec un arrière-fond surnaturel, non seulement en ce qui concerne les croyances locales, non seulement avec le personnage pittoresque de la voyante locale qui, prétendant que sa vigne produit le sang du christ, est parvenue malgré ses visions non confirmées (elle avait cru deviner la mort d’Art lors de sa première disparition), à en faire un fonds de commerce mystique, mais aussi avec l’évolution du fameux Art, qui, peu à peu, a basculé vers l’irrationnel, comme le montrent les premières pages de son « Livre des choses cachées » que les trois amis parviennent à retrouver.

«  Il porte un costume noir et une chemise blanche, et il joue sur une tablette, trônant au milieu d’une cour de cercueils de démonstration, stèles et accessoires funéraires. Il a grandi au milieu des accessoires de la mort, ce qui explique peut-être qu’il s’intègre si bien dans ce tableau. »

Si ce roman fonctionne, c’est avant tout parce que Francesco Dimitri décrit de façon convaincante les lieux, les personnages confits dans leur fonction et dans un temps immobile, mais aussi la manière dont il est possible d’influer sur le cours des choses, les mille et une manières d’agir en fonction de sa profession. “Dans le monde des adultes, les muscles sont superflus. Tout comme le cerveau, du reste. La seule et unique chose qui compte, la force ultime, la source de pouvoir dans ce pays, c’est d’apprendre à se débrouiller pour que la bureaucratie œuvre pour vous”, explique ainsi Mauro l’avocat, l’un des trois amis, dans sa partie narrative. Le roman fourmille d’éléments de ce type, de petits détails qui donnent consistance à chaque narrateur, par exemple lorsque Fabio, le photographe, émaille sa narration de réflexions sur la lumière. De la sorte se dessinent les personnalités et les passés des protagonistes, avec le lot de souvenirs d’enfance, de réussites apparentes qui n’en sont pas tout à fait, de ces petites choses que l’on se dit et se cache, des petites trahisons que l’on se fait et se pardonne, et de beaux gestes d’amitié.

Cette humanité qui est au cœur du roman contraste avec la mainmise mafieuse sur la région, une mafia avec laquelle les trois amis devront, à leurs risques et périls, frayer pour avancer dans leur enquête. Difficile d’en dire plus sur l’intrigue si l’on souhaite conserver intact le plaisir des futurs lecteurs. Il est sûr en tout cas que l’intrigue captive et que ce « Livre des choses cachées », présenté comme une fusion entre suspens et fantastique, tient fortement cette promesse : l’élément fantastique, ou même merveilleux, est toujours discrètement tapi quelque part à l’arrière-plan et ne s’effacera jamais, revenant ici et là à la surface, et présent, littéralement, jusqu’au tout dernier mot. Il s’en trouvera peut-être pour rappeler que sur une telle thématique – un petit groupe d’amis qui sont parvenus à s’arracher à leur bourgade sans avenir, et qui y reviennent pour retrouver démons ou merveilles d’enfance – , d’autres romans ont déjà été écrits. On l’oublie en lisant ce « Livre des choses cachées  », dont la mécanique happe le lecteur jusqu’à la dernière ligne.


Titre : Le Livre des choses cachées
Auteur : Francesco Dimitri
Couverture : Rémi Pepin / Ani Ka et Ninochka / Getty images
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Charles Récoursé
Éditeur : Hugo et Cie
Collection : Hugo Thrillers
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 379
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : avril 2019
ISBN : 9782755641219
Prix : 19,95 €


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Hilaire Alrune
17 avril 2019


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