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Sherlock Holmes et les monstruosités du Miskatonic
James Lovegrove
Bragelonne, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), fantastique, 357 pages, janvier 2019, 25€

Le savait-on ? Ce que l’on connait des aventures de Sherlock Holmes et du docteur Watson n’est qu’une infime partie de ce qu’ils ont vécu. Holmes et Watson, au cours de leur carrière, ont avant tout été confrontés à des abominations lovecraftiennes. Un postulat qui, pour les amateurs du genre, apparaît bien séduisant.



Il aurait été astucieux, en effet, de considérer qu’entre leurs célèbres enquêtes dominées par la raison, Holmes et Watson auraient pu avoir vécu des aventures surnaturelles qu’ils auraient soigneusement laissées dans l’ombre et dont la relation n’aurait fait surface que longtemps après. Hélas, l’auteur fait un choix malheureux : l’intégralité des aventures que l’on connaît ne serait autre, selon lui, que la réécriture par Watson, et publiées de leur vivant, d’aventures expurgées de leur authentique part fantastique. Choix doublement maladroit, d’une part parce qu’il sape tout ce qui constitue l’assise de la célébrité du détective (et précisément la raison pour laquelle est repris ce personnage), d’autre part parce qu’en plaquant artificiellement du surnaturel partout où il n’y en a jamais eu besoin – ce qu’il fait à la masse et à l’emporte-pièce – Lovegrove se complaît à déverser une avalanche de références au corpus holmésien avec un manque de subtilité peu commune – défaut systématique, métronomique, dont souffrait déjà « La Sagesse des morts » de Rodolfo Martinez.

Il en va hélas de même pour les références lovecraftiennes, servies à la pelle, jusqu’à la nausée, sans aucun respect de l’esprit des textes lovecraftiens : ainsi – exemple parmi hélas beaucoup d’autres – trouve-t-on dans les Manuscrits Pnakotiques, souvent mentionnés par Lovecraft mais demeurant toujours mystérieux, la recette d’une très contemporaine drogue du viol, élément qui frôle le ridicule et donne l’impression que l’auteur confond l’indicible et les faits divers. Sans jamais fatiguer, de manière systématique, Lovegrove s’emploie ainsi à transformer l’héritage du maître de Providence en suite sans fin de quincaillerie grossière, sans véritable imagination, et sans aucun humour.

On ne voudrait pas donner l’impression de ne voir dans ce volume que du négatif, mais la prose est hélas bien loin de sauver l’ouvrage. On ne peut pas tout mettre sur le dos du traducteur : même si la mise en français est plus d’une fois discutable (« des étagères pleines de vides »), l’écriture apparaît terne, plate, superficielle, et d’une pauvreté lexicale étonnante. Les descriptions semblent écrites par un enfant d’une douzaine d’années (« un mélange de busard, de chauve-souris, de guêpe entre autres choses »), les scènes d’action sont médiocres, la tension immuablement absente, les ambiances font défaut et les dialogues, en mettant plus d’une fois dans la bouche de protagonistes bien connus des propos quasi adolescents, sont bien souvent plus consternants que crédibles.

Cruelle déception, donc, pour ce « Sherlock Holmes et les démons du Miskatonic » que nous ne résumerons pas pour laisser au lecteur l’occasion de décider par lui-même si ces péripéties en valaient ou non la peine. Même si l’accumulation obstinée de références est bien loin de donner l’impression que l’auteur a une connaissance profonde de l’œuvre de ses prédecesseurs, et fait même parfois l’effet inverse, on reconnaîtra à James Lovegrove quelques idées qui pourront plaire aux amateurs de « fan service » auxquels s’adresse de toute évidence son roman. Il serait facile, et sans doute injuste, de décréter à l’emporte-pièce que l’élément le plus fantastique de ce récit est qu’il fait vraisemblablement se retourner Lovecraft et Conan Doyle dans leurs tombes. Mais ce très beau volume, avec son élégante couverture et sa tranche dorée, ne plaira certainement qu’à ceux qui, ne connaissant les univers holmésiens et lovecraftiens qu’à travers les films à effets spéciaux, les bandes dessinées ou les jeux vidéo, n’en auront jamais vu ou retenu que les aspects les plus superficiels. Les autres trouveront sans peine mille pastiches et mille variantes holmesiennes de meilleure qualité, et goûteront beaucoup plus, dans le mélange investigation et épouvantes lovecraftiennes, qui plus est servi par une finesse et humour british qui semblent faire défaut à James Lovegrove, l’excellent « Bureau des atrocités » de Charles Stross.


Titre : Sherlock Holmes et les monstruosités du Miskatonic (Sherlock Holmes and the Miskatonic Monstrosities, 2017)
Série : Les Dossiers Cthulhu (The Cthulhu Casebook ), tome II
Auteur : James Lovegrove
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Arnaud Demaegd
Couverture : Fabrice Boria / Arand Demaegd
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 354
Format (en cm) : 15,5 x 24
Dépôt légal : janvier 2019
ISBN : 9791028102838
Prix : 25 €



Hilaire Alrune
3 mars 2019


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