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Faux-Semblance
Olivier Paquet
L’atalante, la dentelle du cygne, nouvelles (France), SF, 126 pages, octobre 2017, 10,50€

Une Porte que seuls les Humains peuvent passer, au grand dam de l’envahisseur arkosien. Mais le gouverneur semble prêt à se soumettre, car c’est la seule façon de mettre fin à la guerre... et de l’emporter.
Dans une guerre lointaine, un officier de l’union spatiale, préposé aux dépouilles de soldats tombés au combat, accepte d’aider une veuve à retrouver le corps de son époux. Et en lui laissant faire son deuil, il fera le sien.
Et si le monde était gouverné par les enfants ? Si leurs désirs étaient des ordres ? Étaient la loi ?
Enfin, après un raz-de-marée au Japon, une ado découvre toute la palette du cœur humain.



La préface très érudite de Xavier Mauméjean achèvera de vous convaincre, si vous ne le saviez pas déjà, qu’Olivier Paquet fait sans conteste partie des grandes voix de la science-fiction française contemporaine. S’il vous faut encore des preuves, les quatre textes qui composent « Faux-semblance », qui datent principalement des débuts de l’auteur (2000-2003), balaieront vos derniers doutes.

Synesthésie” vous projette dans un décor de space-opera. Une colonie humaine, une Porte spatiale... et un mégavaisseau ennemi au-dessus. La défaite est déjà reconnue, mais la Porte refuse le passage au vainqueur. Le gouverneur Lan Rekl, un homme doux, triste depuis la mort de son épouse, perçoit le monde par odeurs. Pour sauver sa colonie, il va devoir comprendre l’ambassadrice arkovienne, mais aussi lui faire comprendre l’Humanité. Car ce n’est qu’à la fusion des âmes qu’Admirée, l’IA de la Porte, laisse le passage. Ouverture à l’Autre, sacrifice, abandon des schémas classiques de victoire ou de défaite. Pour Rekl, c’est achever son deuil, s’ouvrir à quelqu’un d’autre. C’est comprendre cette autre civilisation, qui ne vit que pour la guerre (ça m’a vaguement rappelé les Dakoïds de la BD « Kookaburra »), et lui imposer l’inéluctabilité de l’expansion humaine, de la différence. C’est vibrer à la même fréquence, marcher ensemble sur la même voie. Admirée leur présente un miroir émotionnel dans lequel ils doivent accepter de se regarder en face.
Très immersif, au décor très vancien, à la fois tellement humain dans ses émotions et si « spatial » dans ses sensations, “Synesthésie” a remporté le Grand Prix de l’Imaginaire en 2000.
Voilà, la barre est posée, et sur le cran du haut.

Rudyard Kipling 2210” transpose dans le XXIIIe siècle l’auteur du Livre de la Jungle et le drame de sa vie : la mort de son fils à la guerre. Le Rudyard d’Olivier Paquet se consacre aux défunts tombés au champ d’honneur, et dans ses morts, on ressent le sacerdoce, la pénitence. La guerre de 2200 fait encore la part belle aux fantassins, puisque vitrifier la surface depuis l’espace signifie faire une croix sur les ressources naturelles. L’esthétique du « Starship Troopers » de Robert Heinlein (pas le film de Verhoeven) ou de la « Guerre Éternelle » de Joe Haldeman revient en mémoire. La veuve veut retrouver son mari. S’assurer qu’il est bien mort, pour faire son deuil. Lui qui a toujours refusé, cède. Accompagné de l’angélique Raphaël, pas encore dévoré par cette horreur, il use de son influence, dont on apprend peu à peu l’origine, pour ouvrir les barrières vers une zone interdite. C’est par la force de la veuve, qui va jusqu’au bout de son deuil, qu’il parviendra enfin à s’absoudre du drame qu’il porte comme son crime, et cessera de se cacher, pour affronter la vie.
Qu’il s’appuie sur des éléments historiques rend ce pamphlet anti-militariste plus émouvant encore. Mais au-delà de la guerre, c’est aux parents que le texte s’en prend, et à cette détestable faiblesse humaine de projeter sur nos enfants nos rêves et nos désirs, quitte à détruire deux vies.

En parlant d’enfants. Olivier Paquet n’en a pas, et “Cauchemars d’enfants” y est peut-être pour quelque chose. Il y imagine une dystopie où ce sont les enfants qui gouvernent et régentent les adultes. La police est même chargée de traquer les parents pas assez attentionnés. C’est ainsi que le narrateur, flic adulte, et son capitaine de 14 ans aux dents longues vont enquêter suite à une plainte pour un jouet manquant. Si le flic est blasé en découvrant une gamine pourrie gâtée et des parents à bout de souffle, épuisés de ne plus pouvoir vivre que pour elle, il n’en applique pas moins strictement la loi. Car ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît, et les récriminations de la mère cachent quelque chose de bien plus grave que de l’argent du budget jouets. Sous des dehors qu’on imaginerait mixés entre « 1984 » et « Charlie et la chocolaterie », le texte truffé de références jeunesse pourrait prêter à sourire. Mais il n’en est rien, et en renversant en apparence les rôles, Olivier Paquet donne une solide leçon à tout parent ou adulte envisageant de le devenir. Point de réflexions économiques, environnementale, non, simplement le constat que créer un être, c’est l’assumer (au moins 18 ans). Que faire un enfant, l’élever, c’est n’est pas juste lui apporter du confort matériel. Que cela exige des sacrifices.
Si la petite pirouette finale recadre vite une conclusion qui semblait trop rose, elle dit aussi que dans cette histoire, il n’y a que des perdants.
Si vous êtes parents, vous culpabiliserez forcément. C’est normal. Cela vous rendra peut-être meilleurs.

Trois textes plus tout récents, mais tellement puissants. “Une fille aux pieds nus” est comme la cerise sur le gâteau.
Le tsunami vient de se retirer, Hikaru erre au milieu des ruines. D’abord seule, elle va croiser un homme qui cherche son fils, puis ensemble ils vont rejoindre le lycée, plus à l’intérieur des terres, où s’organisent les secours. Incapable de rester assise, la jeune fille vagabonde, en quête de gens à aider, et pense à son père et à leur relation, dont elle ne saisit que maintenant la puissance.
Difficile de ne pas avoir un flot d’images en tête à cette lecture. On l’imagine sans mal prendre vie sous la direction artistique d’Isao Takahata, tant la beauté des petites choses, après la catastrophe, côtoie les drames : la folie des parents sans nouvelles de leur enfant, des petits mensonges prononcés pour rassurer un ancien. Dans cette situation les émotions basculent brutalement, le chagrin submerge et se retire aussi vite lorsqu’on trouve quelqu’un confronté à une plus grande peine encore. Au milieu de tout cela, Hikaru papillonne, encaisse la peine des autres jusqu’à en déborder, s’y noyer, et réaliser qu’elle n’est pas seule, qu’elle ne l’a jamais été.
C’est dans le malheur que les Hommes se montrent sous leur meilleur jour, c’est quand on réalise qu’on aurait pu tout perdre qu’on réalise tout ce qu’on possède. Tout ce à quoi on n’a jamais fait attention comme il faut.

On pourrait réfléchir encore sur tout ce que raconte la couverture d’Aurélien Police, de ce brin de vie qui renaît sur des ruines de béton, mais je crois que tout est dit. En 125 pages, Olivier Paquet nous assène avec une délicate violence de magnifiques leçons d’humanité, dont les mots roulent avec une ineffable beauté au fil des lignes. C’est un ouvrage qu’on dévore, mais dont chaque texte imprégnera, se diffusera longtemps.
S’il est bien une raison d’être à la littérature, c’est de ne pas laisser indifférent. Olivier Paquet y excelle.

« Faux-semblance » a reçu le prix Bob Morane 2018.


Titre : Faux-semblance
Auteur : Olivier Paquet
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : L’Atalante
Collection : La dentelle du cygne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 126
Format (en cm) :
Dépôt légal : octobre 2017
ISBN : 9782841728398
Prix : 10,50 €



Nicolas Soffray
1er mars 2019


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