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Urban eXperiment
Lazar Kunstmann
Uqbar, document, 237 pages, quatrième trimestre 2018, 17€

En 2004, la police découvre une salle de cinéma clandestine dans des espaces souterrains situés à la verticale du Palais de Chaillot. Fin 2006, l’Administrateur du Panthéon est imprudemment informé par les membres des Untergunther de la restauration de la monumentale horloge de la bâtisse effectuée clandestinement par leurs soins. Dans les médias, cet évènement apparaîtra comme le point d’orgue d’activités occultes menées par un groupe structuré et organisé. Qu’en est-il exactement de ce groupe ? Quelle est son histoire ? Quelle est sa raison d’être ? Lazar Kunstmann, porte-parole des Untergunther, retrace ici cette histoire et répond à quelques-unes des questions posées.



On en apprendra beaucoup sur l’historique d’un phénomène que l’on ne connaît que souvent de manière superficielle, à travers les photographies, souvent somptueuses, des friches et des dérélictions, comme celles d’Aurélien Villette, ou à travers des fictions mettant en scène des cataphiles comme « L’équilibre du funambule » de Céline Knidler ou une excursion nocturne au Panthéon comme celle décrite par Bruno Fuligni. De fait, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’Urbex ou UX ne signifiait pas à l’origine Urban Explorers ou Urban Exploration, mais Urban Experiment, l’idée n’étant pas de faire une simple ballade ou de trouver un endroit pour s’alcooliser ou improviser des fêtes souterraines, mais de mettre à profit ce que l’auteur appelle les Angles Morts, les Délaissés Urbains, pour y organiser des manifestations culturelles en marge des circuits officiels, voire même y procéder à des restaurations nécessaires. Pas de jeux sur les mots ni querelle d’antériorité pour autant, car, comme l’explique Lazar Kunstmann, les tout premiers temps de l’UX ont forcément été exploratoires.

Telle est donc la philosophie de deux groupes d’UX parisiens parmi d’autres, dont les racines remontent aux années quatre-vingts. Une branche nommée la Mexicaine de Perforation axée vers les évènements culturels pirates – expositions, pièces de théâtre, projections cinématographiques – une autre nommée Untergunther, orientée vers la restauration occulte du patrimoine. Le lecteur intéressé apprendra le pourquoi de ces noms et de quelques autres, et saura également quelles sont les autres populations, plutôt orientées Urban Explorers, qui hantent les mêmes Délaissés Urbains : les Raviolis composés de deux espèces principales, les Toubalous ou Toiturophiles adeptes des hauteurs, et les Bodzaux ou cataphiles, adeptes des souterrains, au sein desquels émerge une sous-espèce nommée Gratteurs. Avec une certaine ironie, avec sans doute un léger manque de charité, l’auteur considère les Raviolis comme si mollement clandestins que « Ravioli et employé administratif ne sont bien souvent que des étapes de la vie d’une même personne ». Un brocardage sans doute excessif, et une classification qui ne s’encombre pas de nuances : de fait, les frontières ne sont pas toujours aussi nettes, et bien des individus sont adeptes à la fois de l’Urban Experiment et de l’Urban Exploration, ainsi Urbex 42 dont nous avions précédemment parlé.

Ironie, donc, mais si, de manière souvent très drôle, journalistes incompétents, administrateurs, militaires, membres de l’Inspection Générale des Carrières, personnels de sécurité, agents d’entretien et autres milieux associatifs en prennent pour leur grade, si la remise de pendules à l’heure semble être une spécialité du groupe, aussi bien au sens propre qu’au sens figuré, l’auteur ne fait pas que se moquer, reconnaissant les limites intrinsèques des uns et des autres, par exemple lorsqu’il écrit “si une chose est bien sûre, c’est que jamais les Administrations concernées, ou supposées l’être, ne dépenseront un centime à la conservation de ce qu’elles ne peuvent, ou ne veulent, montrer. Les moyens manquant déjà pour ce qui peut l’être, cela peut se comprendre”. Pas de jugement à l’emporte-pièce, donc, mais plutôt une étude clinique et amusée des uns et des autres, avec pour but de se glisser à leur insu dans les espaces communs, cette partie non visible du patrimoine (non visible pour le commun des mortels, mais également pour l’administration qui en a la charge, donc patrimoine délaissé, ou presque perdu), voire de manipuler certains d’entre eux pour les utiliser comme écrans, ou encore comme « agents d’intoxication involontaires » destinés à répandre, sans vraiment s’en rendre compte, des fausses pistes, des rumeurs opportunes ou faussement rassurantes en direction des pouvoirs publics.

La tonalité ironique choisie par l’auteur, pour des péripéties parfois rocambolesques, semble donc souvent empruntée au feuilleton littéraire ou au roman policier. Nous serions tentés de la qualifier d’arsènelupinesque si, curieusement, les policiers n’étaient pas les moins égratignés dans l’histoire, et même considérés comme les plus estimables toutes catégories confondues, sans doute parce que mieux informés ou mieux à même de relativiser les activités des UX. Cette tonalité, en tout cas, fonctionne à plein, avec même une pointe d’auto-ironie pour le groupe des Untergunther lorsque des chapitres mettent en scène les éléments les moins facilement contrôlables de la bande, Peter et le forcément infâme Olrik, souvent excessifs, parfois jusqu’au bouffon ou au potache, jamais à court d’inventivité lorsqu’il s’agit de pousser une bonne idée dans des retranchements tels qu’elle en devient une idée peut-être pas tout à fait si bonne. Et le lecteur gardera en mémoire plus d’une astuce comme celle du faux puisard, plus d’un passage hilarant, comme une projection en compagnie de l’écrivain Alain Robbe-Grillet, une infiltration chez les militaires, ou la création d’une invraisemblable Mission Œcuménique pour la Rédemption de l’Âme de Philibert Aspair.

On s’amuse donc d’un bout à l’autre de ce récit qui s’en va à rebours de la chronologie, depuis la réparation de l’horloge monumentale jusqu’aux origines du groupe. Un choix narratif qui lui aussi fonctionne à plein, du Panthéon vers les profondeurs du sous-sol parisien, et par strates successives dans l’histoire et les activités des Untergunther. Avec, comme constante d’arrière-fond, cette jubilation évidente des coups qui réussissent, des choses faites dans les marges, au nez et à la barbe des uns et des autres, et en pleine et entière autonomie.

Reste qu’on peut se demander si tout est scrupuleusement vrai dans ce récit dont la première publication, sous le titre « La Culture en clandestins », chez Hazan, est datée… du premier avril 2009 ! Si l’on devine en filigrane les difficultés du projet de restauration de l’horloge du Panthéon (tenir une telle entreprise sur la durée, très exactement un an, quand on a par ailleurs un emploi à plein temps, travailler dans les hauteurs d’une bâtisse que l’on devine glaciale en hiver, résoudre les problèmes techniques les uns après les autres), l’ensemble de l’histoire et des pérégrinations des Untergunther apparaît souvent trop facile ; jamais de mauvaise rencontre, jamais d’obstacle sérieux, ou des obstacles toujours aisément contournés. À l’évidence, dans le but de rendre la lecture plus fluide, le choix a été fait de ne garder que les meilleurs moments, ou les moments les plus saillants. « Urban eXperiment  » est à prendre, sans doute, comme sont à prendre bien des récits de voyage dans lesquels tout est à la fois vrai et un peu romancé, les désagréments gommés ou occultés, les contrastes accentués, les personnages un peu plus haut en couleurs, les anecdotes plus marquantes.

Seule ombre au tableau, la ligne directrice retenue en termes de communication sur les projets réalisés : les Untergunther ne communiquent que sur les projets éventés, déjà parvenus à la connaissance du public. D’où cet « Urban eXperiment » qui revient sur l’affaire du Panthéon et des Festivals cinématographiques pirates, sous le Palais de Chaillot ou même dans des salles classiques, « empruntées » en dehors des horaires d’ouverture, mais ne révèle pas les autres entreprises menées à bien en termes de restauration – un projet par an – qui pourraient bien demeurer encore longtemps occultes. Le lecteur, en refermant ce volume agrémenté d’un cahier photographique et d’une postface apportée en complément par rapport à la première édition, aura déjà longuement rêvé d’équipées et de réalisations nocturnes ; il en rêvera d’autres, en attendant et en espérant de nouvelles révélations.

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Titre : Urban eXperiment
Auteur : Lazar Kunstmann
Conception graphique : Elza Le Duff
Éditeur : Uqbar (édition originale : Hazan 2009)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 237
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : quatrième trimestre 2018
ISBN : 9782918368007
Prix : 17 €



Hilaire Alrune
17 décembre 2018


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