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Normal
Warren Ellis
Au diable vauvert, roman traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), délire anticipationniste, 188 pages, janvier 2018, 18€

Adam Dearden arrive à Normal Head dans un état... cotonneux, encore sous le choc de sa crise.
Normal Head est un lieu isolé du monde, entouré de forêts mais aussi de murs, un univers paisible et sous contrôle.
Normal Head est l’endroit où on envoie les gens comme lui, les « veilleurs stratégiques », les prospectivistes, lorsqu’ils ont « regardé dans l’abîme » et perdu les pédales.
Au milieu de tous ces cerveaux en atteinte d’un visa de bonne santé mentale, Adam a à peine le temps de prendre ses marques qu’un autre pensionnaire, arrivé juste avant lui, « disparaît », ou plutôt se liquéfie en une nuée d’insectes.
Tout est bouclé. La paranoïa monte de quelques dizaines de crans. Adam est le principal suspect et le seul patient non affilié à l’un des deux clans de Normal, donc le seul assez libre pour enquêter. Comprendre. Et ne pas replonger dans la folie. Même et surtout quand elle est omniprésente.



« Normal » est paradoxal. En moins de 200 pages, on a affaire à un panorama du prospectivisme et un thriller paranoïaque mené tambour battant. Le tout dans une langue incisive et mordante. On n’est pas surpris d’y voir Laurent Queyssi à la traduction. Pour traduire un texte tordu, fou et génial à la fois, il faut quelqu’un... du même calibre. Je vous renvoie à son recueil « Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps » qui 6 ans après ma lecture me marque encore.

L’entame est aussi terrifiante qu’hilarante, avec une pensionnaire menaçant les gardiens avec une arme de fortune typique des espaces carcéraux, tout cela pour... une connexion internet, car « Je n’ai pas vu de photo de chat depuis 6 semaines. Je n’en peux plus. » Voilà, on est à la deuxième page et le ton est plus que donné.
Le ton seulement, car à l’image de l’état mental de son narrateur, Warren Ellis va distiller au compte-gouttes les éléments de son univers. Les passages devant le personnel médical donneront quelques clés immédiates, mais il faudra, of course, attendre les dernières pages pour apprendre pourquoi Adam est à Normal. Parce que lui-même refuse d’y penser, parce que la ficelle narrative de faire référence à un événement sans le détailler marche très bien.

Cela nous laissera le temps de nous balader au milieu des fous. Adam s’acclimate doucement, materné par deux anciens à couteaux tirés, et voir un autre arrivant errer au loin le rassure (et nous aussi) sur son état, tout relatif. Mais quand cette ombre misanthrope ne laisse derrière elle qu’insectes et cafards, le Lexomil© est purgé direct et l’angoisse reprend ses droits. Car si un enlèvement a pu être opéré dans cet endroit hautement sécurisé où les génies de l’anticipation techno-sociale sont tous agglutinés, cela n’augure rien de bon. Qui est derrière tout cela ? Quelqu’un de l’intérieur ? Qui est visé ? Pourquoi cela arrive-t-il après l’arrivée d’Adam ? Quand la folie s’empare des grands cerveaux déjà bien grillés, l’un se prenant pour un gourou, l’autre faisant un retour chamanique à la forêt... Et pourtant, à travers Adam, Warren Ellis s’efforce de ne pas biaiser notre vision des choses (comme le fait si bien Gail Carriger, par exemple), mais l’afflux d’informations est tel que toutes les hypothèses sont envisageables...

« Normal » est aussi une très belle histoire sur l’humain, la dépression, la résilience. Au milieu de la folie de l’endroit, c’est aussi un havre de paix pour aider ces gens hyper-connectés, hyper-sensibles, hyper-attentifs à remonter la pente d’une existence parvenue à un point de rupture névrotique. Normal Head leur offre le temps de se réinsérer dans le monde, même s’il apparait ouvertement que la plupart ne ressortira jamais, l’abri de ce cocon déconnecté leur étant devenu indispensable, et cela même si leurs compétences demeurent employées par des grands groupes à l’extérieur. L’attitude d’Adam face à sa crise montre la nécessité d’un accompagnement dans la reconstruction. Hélas pour lui, les événements vont lui renvoyer un sale écho en pleine face, le poussant à des traitements plus... extrêmes.

Un très beau numéro d’équilibre parfaitement exécuté, entre la douceur du refuge et la folle frénésie qui s’en empare. Cela ne fait pas 200 pages mais bon sang que c’est bon ! Bon, cela vous laissera totalement parano, car le futur que cela décrit est presque déjà là... mais c’est le but.


Titre : Normal (Normal, 2016)
Auteur : Warren Ellis
Traduction de l’anglais (GB) : Laurent Queyssi
Couverture : non créditée
Éditeur : Au diable vauvert
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 188
Format (en cm) : 19,5 x 13 x 2
Dépôt légal : janvier 2018
ISBN : 9791030701739
Prix : 18 €



Nicolas Soffray
23 décembre 2018


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