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Kraken
Emiliano Pagani et Bruno Cannucciari
Soleil

M. Dougarry est un ancien présentateur d’émissions sur les monstres marins. Depuis, le succès appartient au passé, il a sombré dans la boisson et survit en apparaissant dans des publicités. Un jour, Damien, un garçon, vient le voir dans sa tenue de pluie, un harpon à la main, il lui demande de l’aide pour attraper un Kraken, se disant que Dougarry était l’interlocuteur idéal.
Bien sûr, ce dernier n’accorde pas foi à cette demande et n’a aucune envie d’aller dans une petite ville portuaire paumée. Pourtant la mère du petit parvient à le convaincre d’effectuer ce qui ressemble pour Dougarry à un pèlerinage.
Sur place, il découvre des gens effrayés, craignant pour leur avenir et en rejetant toute la faute sur Damien, le bouc-émissaire idéal. Ils voient aussi sa venue d’un mauvais œil.



L’histoire a beau se dérouler dans un petit port français, cet album n’en est pas moins l’œuvre de deux auteurs italiens, Emiliano Pagani et Bruno Cannucciari, qui ont remporté avec “Kraken” le Prix du meilleur album italien lors du festival Romics à Rome en 2018.

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Tout du long, il règne une atmosphère inquiétante, les premières pages donnant immédiatement le ton : il pleut, une silhouette au visage caché qui évoque celle d’un tueur fou déambulant dans les rues de Paris, avant la surprise de découvrir un gamin sous le chapeau. Damien croit dur comme fer à son histoire de Kraken, il dit l’avoir vu et assure avoir un plan pour l’attraper. Dugarry, comme les lecteurs, sont loin d’imaginer la situation dans le port. Le poisson s’est raréfié, les bateaux reviennent les cales vides, la tension ne cesse de monter et une malédiction est évoquée. Damien, le simplet, le seul à avoir survécu au naufrage d’un chalutier dans lequel son frère et son père ont péri, apparaît comme la source de tous les maux, celui qui doit payer pour sa faute.

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Le dessin de Bruno Cannucciari montre des visages aux traits tirés, sur lesquels se lit la souffrance, la détresse face au changement. Les métiers de la mer éprouvent les corps, les brisent, mais c’est leur vie, celle qu’ils ont choisie et ont peur d’en être détournés. Dans une telle situation, comme souvent, l’intolérance gagne les esprits, un coupable est désigné, sur qui rejeter la faute et déverser sa haine. Avec son visage poupin, Damien attire toute l’ire locale, mais il ne dévie pas de la mission qu’il s’est fixé : tuer le Kraken pour sauver tout le monde.
Dugarry ne fait rien pour gagner la sympathie des gens, il obéit à ses impulsions et ne se cache pas derrière son statut d’étranger. Il évolue au fil des jours, gagnant petit à petit une respectabilité qu’il avait perdue. Seul un électron libre comme lui peut changer les mentalités et révéler au grand jour ce qui se cache dans l’ombre.

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Le climat n’est pas à la joie, Emiliano Pagani n’épargne personne. Le lecteur avance médusé par les événements, les flots rejettent des cadavres torturés, ce qui augmente d’autant la tension. C’est éprouvant et fascinant à la fois. En ces temps difficiles, les anciennes croyances remontent à la surface et trouvent un terrain fertile dans l’esprit des habitants qui souffrent. La critique sociale s’avère acerbe, sans complaisance et la conclusion laisse sans voix. Le scénariste est allé jusqu’au bout de son idée, de sa démonstration imparable et mémorable.
La colorisation restreinte aux tons gris et verts ajoute à la pesanteur ambiante, elle met en valeur les visages, les fêlures de chacun et les décors. Le graphisme se révèle envoûtant.

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En une centaine de pages, “Kraken” marque les esprits. L’histoire ne fait pas de concessions et dénonce comment la rancœur des gens en situation difficile peut se déverser sur quelqu’un qui est différent, sur l’étranger, le coupable idéal. “Kraken” est dur, l’atmosphère pesante aussi bien à cause du scénario qu’à cause du dessin attrayant rehaussé par cette colorisation gris-vert.
La peur de l’inconnu, c’est-à-dire d’un avenir incertain, constitue un redoutable moteur et les deux auteurs italiens ont su en tirer le meilleur parti pour marquer les lecteurs de leur empreinte.

Un album remarquable à tout point de vue.


Kraken
- Scénario : Emiliano Pagani
- Dessin et couleurs : Bruno Cannucciari
- Éditeur : Soleil
- Collection : Hors collection
- Dépôt légal : 12 septembre 2018
- Format : 20,2 x 28,3 cm
- Pagination : 104 pages couleurs
- Numéro ISBN : 9782302071421
- Prix public : 17,95 €


À lire sur la Yozone :
Bruno Cannucciari à la recherche du Kraken


Illustrations © Bruno Cannucciari et éditions Soleil (2018)



François Schnebelen
3 novembre 2018




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