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Arkane, tome 2/2 : La Résurrection
Pierre Bordage
Bragelonne, roman (France), fantasy, septembre 2018, 474 pages, 25€

Oziel poursuit sa descente vers les Fonds, alternant bonnes surprises et naturelles déconvenues dans ses rencontres.
Accompagné d’Orik, Renn poursuit son chemin vers Arkane, échappant à un légat de la légion, des pirates, des malheureux espérant la récompense promise, un culte maléfique...
Noy, marié à Adamante de l’Orbal, rencontre les akchas, le peuple souterrain dont il est appelé à devenir le roi dans un bain de sang annoncé.
Et l’Armée des Conquérants avance, inexorablement, vers Arkane.



Et c’est tout.
C’est navrant, mais c’est tout. Oziel, une fois trahie, une fois aidée, atteint les Fonds, retrouve son frère banni et soulève les bagnards, une troupe supplémentaire pour défendre la ville.
Renn et Orik échappent aux pirates, aux marchands d’esclaves... Lorsque la famille de Renn les livre au légat, la maîtresse de ce dernier, Urieth, en fait une Soeur de la Congrégation, les délivre et accélère leur voyage. Renn, confronté à des adorateurs d’Hilyaon, use une troisième fois de son pouvoir et déchaine une pluie de pierres mortelle.
Roy s’enivre des charmes de son épouse et de cette destinée de roi légendaire. Ivre de vengeance contre les siens, il accepte de sacrifier les Arkaniens aux plans des pétrocles.

A mi-volume, le périple se change en siège. Oziel fait reconnaitre son autorité, obtient la collaboration de la légion, grâce au pragmatisme d’Ectobar, un commandant intègre qui comprend la menace des Conquérants. L’intervention de Renn est déterminante, mais avant que les deux jeunes gens liés par le destin ne se rencontrent, il suit ses visions et entreprend de grimper jusqu’à la Place des Fondateurs, au sommet d’Arkane.
Le siège commence, avec un inévitable repli sur les Labeurs, puis les Marches. Las, l’ennemi est trop puissant, tout semble perdu. Les défenseurs ignorent pour la plupart qu’en plus de la corruption qui gangrène les postes de pouvoir et sert les envahisseurs, les six grandes familles restantes ont été massacrées par les akchas de Noy.

Et là, à 10 pages de la fin, alors que tout semble perdu, qu’Oziel a dépensé ses dernières forces, soufflé son dernier feu de drac, miracle quasi tolkienien !, ce ne sont pas les aigles mais les Fondateurs, réveillés in extremis par Renn, qui viennent balayer les envahisseurs. Un Renn aidé à son insu par Noy, pris d’un ultime remords, qui abat des pétrocles sans défense, n’ayant pas du tout envisagé ce revirement. C’est ballot.

A la fin de ma lecture de « La Désolation », je gardais espoir que Pierre Bordage redresse la barre d’un récit ultra-balisé et simpliste (et malgré tout couronné du prix Imaginales 2018, allez comprendre). Je ne peux qu’être déçu.

Le sillon se creuse davantage, au contraire. Comme dans le premier tome, le voyage des deux jeunes héros est très séquencé, comme les cases d’un jeu de plateau, marqué par de nouvelles rencontres sans préavis et peu de conséquences sur l’intrigue (puisqu’elles n’entraveront leur progression que le temps d’un chapitre). La réapparition du torcheron Sabain est la seule exception notable à cette énumération mécanique de rebondissements interchangeables. Par exemple, il n’y a que 3 possibilités aux rencontres d’Oziel : la personne l’aide sincèrement / l’aide mais va la vendre à la légion / la dénonce immédiatement. Et c’est cyclique, pas deux fois de suite la même, permettant à la jeune héritière de reprendre confiance en ses concitoyens quand sa quête la déprime. Renn bénéficie du même système, aidé par Jizz puis Ulieth, trahi ou traqué par tous les autres.

Oublieux des spécificités de la fantasy, différentes de la SF, Pierre Bordage outrepasse régulièrement notre seuil de crédibilité.
La cité d’Arkane est aberrante, on l’avait déjà admis dans « La Désolation » . Si les labyrinthes du Laz, qui séparent chaque niveau, sont une bonne idée, très visuelle, elle est en pratique irréaliste : une ascension d’une demi-lieue (entre les Labeurs et les Marches, il me semble que plus on monte plus ils sont hauts) suppose, pour une montée « régulière » avec une pente acceptable, au moins une dizaine de kilomètres. Pensez que tous les flux de la cité, notamment l’approvisionnement, transite par les Laz. On se demande comment la nourriture n’arrive pas gâtée dans les Hauts... Durant le siège, certains soldats sont « catapultés » d’un niveau à l’autre dans des cages molletonnées de chiffons. En admettant une arme capable de propulser un projectile à 1 km d’altitude, j’imagine à peine l’état des gars dedans, organes et vaisseaux en bouillie. Ce sont des durs, des surhommes pour encaisser ça. Sans parler de l’atterrissage... Et je rappelle qu’Oziel a descendu une falaise avec des crochets d’escalade, et une autre en deltaplane expérimental...

C’est l’accumulation de tels petits détails qui rend l’intrigue définitivement « incroyable ». Les bagnards des Fonds ne tiennent pas un an mais Matteo du Drac y a survécu 7 ans. Et quand sa sœur débarque, grande ado mécrosée (voir la chronique du tome I), alors qu’il l’a quittée gamine, il la reconnait du premier coup d’œil... Renn et Orik ont pris du retard ? Pas grave, Ulieth peut les téléporter, même si cela tuera la Mère de la Congrégation - Congrégation tellement absente qu’elle semble parachutée dans l’histoire pour justifier un contre-pouvoir féminin post-mouvement #MeToo...

Au chapitre 21, lorsque Noy se met (bêtement) en danger, on espère que l’intrigue sortira de ses rails... mais non. Rien ne vient entraver ce voyage mortel qui s’avère finalement digne d’un parc d’attraction : riche en émotions programmées et aussi factices qu’inoffensives. Pour preuve, les jeunes héros n’évoluent quasi pas, un comble pour ce qui se prêtait à merveille au récit initiatique ! Oziel a depuis longtemps accepté sa mécrose et est pénétrée de son destin. Renn, après deux ans d’apprentissage infructueux, se révèle un enchanteur de pierre émérite en cinq tentatives crescendo. Noy ne reprend ses esprits que violemment confronté à la fausseté de ses illusions.

La grande magie d’Arkane, c’est que quasiment rien ne mettra en danger les trois jeunes gens indispensables à la bonne conclusion de cette histoire. Après une, deux, trois épreuves mortelles franchies, le lecteur tremble-t-il pour ses héros ? A-t-il seulement besoin de feuilleter les dernières pages pour se rassurer sur leur devenir ? Non. Personnellement, c’est la curiosité qui m’a fait avancer, difficilement. La curiosité de voir comment l’auteur qui avait su m’enchanter, plus jeune (moi, et lui aussi) avec « Wang » ou « L’Enjomineur », allait tirer quelque chose de mémorable, de fort de tout ça. Mais « Arkane » est aussi feuilletonnesque que son « Rohel » de jeunesse, riche des mêmes erreurs, voire plus encore. Son univers n’a d’homogène que l’illusion, chaque nouvelle étape du voyage est l’occasion d’abattre une carte à usage unique.

Ajoutons quelques coquilles, certes très peu, mais du plus mauvais effet : un soc de charrue changé en socle, des confusions entre deux Maisons dans la bataille des Hauts, un Ectobar devenu « Escobar » à plusieurs reprises... C’est toujours mieux que le commandant des Marches, dont les trois mentions ne valent pas qu’on lui donne un patronyme, seulement « alter ego » d’Ectobar.

On ne peut renier à Pierre Bordage un grand talent de conteur. Mais la forme seule n’est pas grand-chose sans un peu de fond. Et les 900 pages de ce diptyque en manque cruellement, artificiellement remplies d’un décor et de personnages de pantomime pour faire illusion. On aurait pu sans mal en retrancher la moitié. Ou les consacrer à densifier des personnages trop rapidement cantonnés à leur rôle.

Trop pauvre en magie, trop chiche en intrigues politiques, trop mécanique, trop long, je ne vois pas quel public de fantasy « Arkane » pourra combler. Pierre Bordage ne sait pas nous attacher à ses héros comme Robin Hobb l’avait fait avec son Fitz, nous faire trembler pour leur devenir comme George R.R. Martin se le permet en tuant ses leaders charismatiques. Définitivement, la première incursion de Pierre Bordage dans la fantasy est oublieuse de ses prédécesseurs connus depuis plus d’une décennie du très grand public, au-delà des amateurs du genre qui n’en auront pas pour leur argent.

Plus grands les espoirs, plus grande la déception.


Titre : La Résurrection
Série : Arkane, tome 2/2
Auteur : Pierre Bordage
Couverture : Didier Graffet
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 474
Format (en cm) : 25 x 16,5 x 3 (hardcover)
Dépôt légal : septembre 2018
ISBN : 9791028110826
Prix : 25 €


Arkane :
La Désolation
La Résurrection


Nicolas Soffray
3 novembre 2018


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