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Déesse des Marguerites et des Boutons d’or (La)
Martin Millar
Gallimard, FolioSF, roman traduit de l’anglais (Ecosse), mythologie, 280 pages, mars 2018, 7,80€

421 avant JC. Athènes et Sparte se font la guerre depuis 10 ans, les deux camps sont épuisés mais aucun ne veut perdre la face. Des négociations s’ouvrent à Athènes durant le festival sacré des Dionysies. Mais les partisans de la guerre, enrichis par le commerce des armes, invoquent Laet, divinité mineure de la discorde, pour faire échouer les pourparlers. Athéna, divinité protectrice des deux cités, ne peut intervenir seule. Elle envoie donc une amazone, Brémusa, pour seconder un esprit de la rivière, qui saura apaiser les tensions. Las, la nymphe est retournée à son lit, et Athéna ne trouve que Métris, la fille un peu naïve et délurée. Faute de mieux, elle lui confie la mission de sauver la paix. La demi-déesse est surtout aux anges de pouvoir aller aux Dionysies.
A Athènes, quelqu’un d’autre peut contribuer à ramener la paix : le dramaturge Aristophane compte bien remporter le premier prix avec sa comédie intitulée « La Paix », dans laquelle il raille les va-t-en-guerre. Malheureusement, ces derniers lui mettent de gros bâtons dans les roues, en le privant de financement.



Martin Millar est un auteur touche-à-tout et un bon mélangeur de genres. Dans « Kalix la loup-garou solitaire », il plongeait les loups-garous dans les affres de la société moderne et des luttes familiales. Dans « Les Petites fées de New-York », il écornait la magie. Avec sa « Déesse des marguerites et des boutons d’or », il nous plonge en pleine Antiquité classique, entremêlant le vrai, l’Historique, et le faux, le romancé, le magique. Quoique, avec les Grecs, la présence des dieux parmi les hommes relève du naturel.

Son histoire est néanmoins une très belle trame pour nous plonger dans les affres de l’âme humaine. Son Aristophane est rongé par un besoin de reconnaissance et de gloire : l’idée même de ne pas recevoir le premier prix, comme ce fut le cas l’année précédente, lui donne des ulcères. A peine prétentieux, il ne se remet jamais en question, et trouve toujours quelqu’un à blâmer (même s’il est vrai qu’il n’est guère aidé). Son égocentrisme l’oppose même à son régisseur, presque son ami, dont il découvre les opinions lorsque la colère l’oblige à se dessiller pour regarder autre chose que son nombril. Convaincu par Nicias, le sage citoyen qui défend la paix, que sa pièce peut faire basculer l’opinion du peuple encore indécis, Aristophane fera, contraint et forcé, beaucoup de concessions et de sacrifices. On ne peut cependant pas nier qu’il le fait d’abord pour le succès de sa pièce.

A l’opposé, Luxos le pauvre poète est un grand optimiste. Jeune homme cherchant à faire reconnaître son talent, il enchaîne les déconvenues. Même Athéna, à qui il dédie prières et poèmes, se lasse de lui et fuit ses temples lorsqu’il vient lui parler. Il faut dire que sa naïveté confine parfois à l’aveuglement. Les événements lui donneront de nouvelles opportunités de percer, et sa rencontre avec Métris, qui l’encourage, sera déterminante.

Tandis que Laet sème la discorde par sa simple présence, Métris, apprentie demi-déesse qui a un peu menti sur son CV, se fait rabrouer par Brémusa. La seule chose qui détourne l’attention de l’amazone des faibles pouvoirs de Métris est sa rencontre avec le chaperon de Laet, Idomédée, le guerrier qui a failli la tuer. Elle compte bien terminer ce combat dont Athéna l’a privée (en lui sauvant la vie). D’autant qu’ils sont tous deux des vestiges du passé, maintenus en vie plusieurs siècles pour servir les dieux, et que cette société, trop politique, sournoise, n’est pas la leur. Mais Brémusa, peu à peu, va ouvrir les yeux sur les bienfaits et les qualités de cette époque, et prendre conscience de ses limites de guerrière.
Métris n’est pas sans pouvoirs. Même si son influence n’égale pas celle de sa mère, et ne suffit pas à contre-carrer Laet, sa présence redonne de la joie aux gens éprouvés par la guerre. Sa naïveté permanente, qui la fait paraître gamine, horripilante et cruche, s’estompera (un peu), lorsqu’elle montrera, avec ses mots à elle, presque enfantin, qu’elle comprend ce qui se passe et fait de son mieux pour y remédier.

Tout cela est très beau. Mais Martin Millar ne s’arrête pas à ça, au contraire, il puise dans les ressorts de la comédie athénienne, digne du théâtre de boulevard et rarement avare d’effets crus, pour faire de son roman une histoire grave sur le fond et très légère sur la forme. Aristophane est égocentrique, ne crache pas sur le vin et jalouse Socrate qui a ses entrées partout, même chez sa belle hétaïre. Luxos est épuisant d’enthousiasme : même au fond du trou, il y croit encore. Métris est une vraie gamine de la campagne qu’on amène à la capitale, s’émerveillant de tout, papillonnant, au grand dam de Brémusa. De plus, dans le plus pur style comique de l’époque, la sexualité est omniprésente et tournée en dérision : on a volé les phallus géants des costumes de scène, à eux seuls garants des ovations ; la ville est parsemée de statues avec le pénis à l’air.
Enfin, les personnages excellent à faire le contraire de ce qu’ils disent. Millar rend l’Antiquité très vivante, avec des dialogues vifs et des scènes de la vie quotidienne criantes de vérité. Trop peut-être, et on pourra lui reprocher parfois, malgré visiblement une bonne documentation, d’un peu trop transposer tons et situations contemporaines dans son décor antique. J’ai tiqué sur un ou deux termes anachroniques (comme « faire une italienne » de la pièce), mais comme d’autres œuvres qui jouent sur le même levier (on pense évidemment à la série « Kaamelott »), l’immersion n’en est que plus importante une fois la barrière langagière tombée. L’auteur limite au minimum les termes grecs, juste assez pour garder les couleurs de son décor sans abrutir le lecteur n’ayant pas fait lettres classiques.

Tout cela donne un roman très agréable à lire, oscillant entre Histoire, mythe et fiction, au ton résolument contemporain, mais aussi toutes les qualités d’une comédie antique : de bonnes leçons de morale où chacun en prend pour son grade, sous un vernis d’humour tantôt subtil, tantôt premier degré. On sourit souvent, on est aussi ému : la magie de « la Déesse des marguerites et des boutons d’or » opère pleinement, dès la magnifique couverture du talentueux Aurélien Police.


Titre : La Déesse des marguerites et des boutons d’or (The goddess of buttercups and daisies, 2015)
Auteur : Martin Millar
Traduction de l’anglais (Écosse) : Marianne Groves
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Gallimard (édition originale : Intervalles, 2016)
Collection : FolioSF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 603
Pages : 280
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : mars 2018
ISBN : 9782072736827
Prix : 7,80 €



Nicolas Soffray
3 octobre 2018


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