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Nous sommes légion
Dennis E. Taylor
Bragelonne, SF, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 379 pages, juin 2018, 17,90€


« C’était la première fois que je me sentais aussi mal depuis que j’étais mort. »

Il se nomme Bob Johansson, il a fait fortune avec sa start-up, et tout irait bien pour lui s’il ne s’était pas fait écraser en sortant d’une convention de science-fiction. Fort heureusement – ou malheureusement – il avait eu quelque temps plus tôt l’idée de signer un contrat avec la société CryoEterna, qui congèle les corps des plus fortunés, ou plus exactement leurs têtes, en attendant une hypothétique avancée scientifique permettant de les faire revivre. Voilà donc Bob ressuscité bien des années plus tard, en 2133. Enfin, ressuscité, pas vraiment : son cerveau a été étudié neurone par neurone et entré en tant que copie dans un ordinateur. Le processus détruisant ce qui est organique, ce qui restait dudit cerveau a été jeté à la poubelle.

Bob Johansson, donc, même s’il a l’impression d’être bel et bien lui-même, n’est plus. Mais il y a pire encore. Le pouvoir politique est entre les mains d’un parti religieux, la Free American Independant Theocratic Hegemony (FAITH), qui se moque bien des engagements passés de CryoEterna et décrète que ces défunts pourraient lui être utiles, en tant que cerveaux informatiques, pour piloter des machines. Celles de ces personnalités informatiques qui deviennent folles, ou qui ne sont pas suffisamment efficaces, sont simplement effacées d’un clic.

Sale temps pour Bob, qui n’est attiré ni par la religion ni par la vie d’esclave. Mais Bob est suffisamment malin pour duper les Théocrates. Alors que les grands blocs terrestres se sont lancés dans une nouvelle course à l’espace, Bob, inclus en comme pilote d’un navire d’exploration non habité, et avec la complicité d’un humain lui non plus pas très enthousiasmé par FAITH, s’arrache en catastrophe à ses entraves, contourne les pièges, les ordres, les sécurités, et devient autonome dans l’espace. Ce qui n’est pas tout à fait une mauvaise idée, car, derrière lui, les grandes puissances commencent à s’atomiser entre elles.

« Je ne pus réprimer un sourire. L’exploration spatiale était vraiment à la hauteur de mes fantasmes de geek. Arriver dans un nouveau système planétaire, où aucun être humain n’était allé, était une expérience grisante, presque divine.  »

Voilà donc Bob seul dans les étendues glacées. Mais avec un atout considérable : la réplication. Les imprimantes 3D lui permettent, à partir des ressources arrachées aux astéroïdes, de fabriquer n’importe quoi, y compris d’autres vaisseaux. Les ressources informatiques lui permettent de créer n’importe quoi également, y compris d’autres lui-même. Voilà donc Bob et son vaisseau dupliqués, tripliqués, etc., avec des personnalités non pas strictement identiques, mais qui se mettent très vite à diverger.

«  Quand j’avais quitté le système solaire, je pensais en avoir terminé avec l’humanité, à l’exception peut-être d’un message radio de temps à autre. À présent non seulement j’avais de nouveau affaire à des êtres humains, mais des milliers, si ce n’est des millions de vies dépendaient de moi.  »

Là est toute l’astuce du roman de Dennis Taylor : être à la fois un parfait monologue et un roman choral. Ce qui permet au récit d’évoluer vers une structure feuilletonnesque, les chapitres contant par alternance les aventures de l’un ou l’autre Bob (qui, par chance pour le lecteur, s’empressent de prendre des noms différents). Combats spatiaux contre les ultimes croiseurs du bloc continental brésilien, exploration de galaxies lointaines, observation fascinée de l’émergence – une pointe de Rosny-Ainé, une pointe de « 2001, l’Odyssée de l’espace » – d’une intelligence humanoïde sur une planète lointaine, retour vers la terre pour sauver les ultimes groupes de survivants, mille et une déclinaisons parallèles de thématiques classiques du genre.

Du côté des références – nous nous garderons bien d’employer le terme galvaudé de « culture » – le roman navigue du côté infra-geek, version télémane de base et grands succès commerciaux (« Star Trek », « Star Wars », « Le Parrain », « Le Seigneur des Anneaux », « Austin Powers », le jeu vidéo « Zéro Wing »), loin derrière la richesse du Ready Player One d’Ernest Cline. «  Nous sommes légion – Nous sommes Bob  », manifestement écrit pour un très large public, reste toujours extrêmement simple : pas de hard-science dans ce roman qui, à l’exception peut-être des imprimantes tridimensionnelles, pourrait avoir été écrit il y a plusieurs décennies – il fait d’ailleurs plus d’une fois penser au « Software  » de Rudy Rucker (1982) dont Dennis Taylor s’est manifestement inspiré, à la fois pour l’idée de base et pour la tonalité humoristique.

« Nous sommes légion – Nous sommes Bob  » se garde bien de se prendre trop au sérieux, et séduit surtout par la personnalité de son narrateur qui, s’il s’interroge par moments sur sa nature profonde (est-il encore humain ? est-il vraiment lui-même ?) ne s’embarrasse jamais longtemps de considérations métaphysiques. À juste titre : il a trop de problèmes à régler dans l’urgence pour se laisser aller à des états d’âme informatiques. Personnage plein d’astuce pour qui les ennuis ne sont rien d’autre que des défis, tantôt gouailleur et tantôt désabusé, Bob Johansson, ou plutôt les multiples lui-même, entame une saga plaisante qui se poursuivra dans un second tome, « Nous sommes nombreux ».


Titre : Nous sommes légion (nous sommes Bob) (We are Legion (We are Bob), 2016
Série :Nous sommes Bob, vol I
Auteur : Dennis E. Taylor
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Sébastien Baert
Couverture : Fabrice Borio / Shutterstock
Éditeur : Bragelonne
Collection : SF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 379
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : juin 2018
ISBN : 9791028109257
Prix : 17,90 €


Hilaire Alrune
23 juin 2018


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