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Hunter
Roy Braverman
Hugo et Cie, collection Hugo Thrillers, thriller, 351 pages, mai 2018, 19,95€

Un nouvel auteur, mais pas tout à fait un inconnu. Roy Braverman n’est en effet autre que le fameux Ian Manook, auteur de « Yeruldegger » et de « Mato Grosso ». Après l’Asie Centrale, après le Brésil, c’est à l’Amérique du Nord que s’attaque l’auteur sous ce nouveau pseudonyme.



Il se nomme Freeman, c’est un ancien flic Il a laissé beaucoup de choses derrière lui. Mais pas sa fille, Louise, disparue depuis maintenant quatorze ans. Il ne lâchera jamais. Il se trouve que Hunter, le demi-sang condamné pour meurtres et enlèvements de Louise et d’autres jeunes filles – des preuves matérielles à son domicile, pourtant il n’a jamais avoué – s’évade au cours d’une procédure judiciaire : Freeman, qui est le seul à avoir deviné que les flics venus le chercher ne sont pas les bons, parvient à lui coller au train. Hunter se dirige vers Pilgrim’s Rest, un patelin isolé dans une vallée perdue des Appalaches. Là où les crimes ont été commis. Là où se lève une tempête de neige qui va isoler le village plus encore. Au fond, cette évasion est une chance : Freeman va capturer Hunter, le faire parler, lui faire dire où est le corps. L’ex-flic, après toutes ces années d’attente, pourra enfin faire son deuil.

« Le temps que les deux hommes se relèvent et se lancent après lui, Freeman est déjà debout, un revolver à la main brandi vers le ciel à bout de bras. »

Mais les choses, malgré un bon démarrage, ne se passent vraiment pas comme prévu. Un toxico de passage ouvre le feu sur Freeman et lui vole sa voiture – avec Hunter ficelé dans le coffre. Dès lors, tout dérape, encore et encore. Si Freeman survit, les cadavres, à Pilgrim’s Rest, ont une fâcheuse tendance à s’accumuler. Il se pourrait bien – mais Freeman est le seul à l’avoir deviné – que se soient glissés dans les environs d’autres dangereux personnages. Dont un serial-killer que Hunter aurait contribué à faire remettre en liberté en s’accusant d’un crime commis par ce dernier. Pilgrim’s Rest semble devenir plus dangereux d’heure en heure – sans compter le fait que le Shérif Hackman, à moitié cinglé et maniaque de la gâchette, brûle d’envie de faire sauter la cervelle de Freeman rien que parce que ce dernier est noir. Le frère de Hackman ne vaut pas mieux. Son assistant non plus. Heureusement, la gérante du motel prend parti pour l’ex-flic. Une alliée n’est pas de trop dans ce patelin où tout le monde semble avoir en réserve un ou deux secrets inavouables. Et où les cadavres continuent à s’accumuler, plantés dans les congères ou cloués à l’arbalète contre les sapins.

« Ce malade s’était embusqué en haut de la friche pour les descendre au lieu de s’enfuir au bout du monde.  »

Nous n’en dirons pas plus sur un scénario qui gagne en complexité à chaque chapitre et, resserré sur trois cent cinquante pages, ne laissera pas souvent au lecteur l’occasion de souffler. Il y a, en début de roman, des passages très drôles – la scène au Alice’s Restaurant, volontairement excessive, avec sa surenchère visuelle et son observation par un protagoniste défoncé, le dialogue particulièrement grinçant dans la voiture – puis le roman, sans que l’humour ne disparaisse jamais entièrement grâce au sens de la répartie de Freeman, glisse irréversiblement vers la face la plus sombre du thriller.

« Un cri qui déchire tout, montagne et forêt, un cri à fendre les roches, à faire tomber les oiseaux. Un cri humain et animal à la fois. Un cri de pure folie.  »

Le puriste pourra pinailler sur un ou deux détails. Par exemple le fait qu’une jeune fille enlevée, évadée, ne soit initialement pas considérée par le FBI comme une personne anciennement disparue, suppose et implique qu’elle ne soit pas même simplement aperçue par la tenancière du motel dans lequel elle se réfugie, ce qui dans le contexte apparaît un peu forcé. Ou encore l’apparition de certains protagonistes toujours au bon endroit et au bon moment (ou plus exactement, compte tenu de leur dangerosité, et du point de vue de leurs victimes, au mauvais endroit et au mauvais moment), qui est à considérer comme une fatalité très pratique – fatalité qui, il est vrai, fait partie des règles du genre. Mais ces points discutables ne font que souligner par contraste un jeu d’engrenages soigneusement construit qui permet à Roy Braverman de nourrir une intrigue dense, serrée, prenante, qui rend le roman difficile à lâcher et réserve plus d’une surprise au lecteur. Une intrigue d’autant plus crédible qu’elle repose malheureusement sur des faits divers authentiques que l’auteur rappelle au passage, comme l’affaire des séquestrées de Cleveland, qui est loin d’être un cas isolé. On n’aura donc pas cette surenchère gratuite que l’on trouve trop souvent dans les thrillers, mais un récit en phase avec une indéniable et insoutenable réalité.

« Il s’est équipé pour la traque et est parti à leur poursuite dans la nuit. Rien ne lui fait peur ici. Ni la tempête, ni la forêt, ni les hommes, ni même les loups. Il a de quoi survivre trois jours et il est bien armé : un Slug traqueur 12 magnum canon court pour les sous-bois, un Browning semi-automatique à lunette pour les tirs à longue distance, et son solide Colt 45 fétiche à la ceinture. »

Si Roy Braverman utilise les codes américains du genre, au point que le roman pourrait passer pour un récit d’outre-Atlantique pur jus, l’auteur ne fait pas que fabriquer un thriller de plus, mais s’attache aussi, à travers constats et dialogues, à faire ressortir la réalité sociologique d’une Amérique capable du meilleur comme du pire, notamment celle d’un système juridique et policier qui ne parvient pas à laisser derrière lui une longue tradition d’homicides « légaux » : on tire quasiment à vue les personnes de couleur, on abat sans raison de simples suspects, on envoie chaque année des innocents dans les couloirs de la mort. Sans l’écrire explicitement – et même s’il s’intéresse également aux passés particulièrement rugueux des criminels véritables, sans chercher pour autant à les absoudre – Braverman évoque la fabrication des criminels par un système expéditif, par des jurys indifférents ou trop pressés, par une police ou un FBI incompétents. Une justice qui paradoxalement secrète ses propres criminels, ne donne pas le choix à ceux qu’elle broie dans ses rouages, et qui plus jamais ne lui feront confiance. Le roman s’achève sur ce constat, l’une des victimes d’abus judiciaires prenant le large en compagnie d’un tueur, une fin réussie et particulièrement grinçante qui pourrait bien ouvrir une suite dans les romans américains de Roy Braverman. Souhaitons-le, car l’on retrouverait avec plaisir les protagonistes et l’ambiance tendue de « Hunter  ».


Titre : Hunter
Auteur : Roy Braverman
Couverture : R. Pépin / Karina Vegas / Arcangel
Éditeur : Hugo et Cie
Collection : Hugo Thrillers
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 351
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : mai 2018
ISBN : 9782755638356
Prix : 19,95 €


Les thrillers Hugo et Cie sur la Yozone :

- « Vérité » de Hervé Gagnon
- « Âmes soeurs » de John Marrs
- « Le Tricycle rouge » de Vincent Hauuy


Hilaire Alrune
19 mai 2018


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