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Catastrophes
Anthologie-Collectif
Omnibus SF, 5 romans, 832 pages, décembre 2005, 25,50 €

La situation est grave voire désespérée. L’anthologie « Catastrophes » publiée par Omnibus SF, rassemble sous la direction de Michel Demuth, cinq classiques du genre. Soyons clairs, ça va mal, très mal, affreusement mal.
De Philip Wylie à Thomas Dish, en passant par John Christopher, Harry Harrison et Michael Moorcock, la diversité des sujets abordés prouve une évidence : la science-fiction est une grande littérature quand elle est entre de bonnes mains.



L’anthologie « Catastrophes » n’est pas une étrangeté dans le paysage de la SF littéraire. De tout temps, ce thème, finalement très vague, fut prétexte à l’écriture de romans de plus ou moins bonne qualité. Invasions extraterrestres en tous genres, guerres planétaires plus ou moins justifiées, résurgence de vieilles maladies soudain devenues impitoyables ou émergence de nouveaux microbes ; navets impayables et chefs-d’œuvre se côtoient sur les étagères.
Héritiers imaginaires d’époques troublées (Seconde Guerre mondiale, Guerre Froide, périodes coloniales ou insurrectionnelles, etc.) propices aux rêves collectifs cathartiques, ils sont à la SF ce que les cauchemars sont au sommeil.

Les cinq œuvres proposées dans cet ouvrage collectif ont un point commun : l’homme y est en fâcheuse posture et sa survie difficile voire impossible.
Deux écoles s’affrontent donc. Il y a les écrivains qui y croient encore (Christopher, Harrison, Moorcock) et racontent des histoires de survivants et ceux qui ont franchement dépassé ce stade pour enterrer définitivement l’humanité (Wylie, Dish).
Alors que les premiers s’inscrivent dans une longue tradition finalement très populaire, les autres ont déjà perdu leurs illusions depuis bien longtemps. Pour Wylie et Dish, nulle rédemption n’est à espérer, aucune échappatoire au destin fatal n’est envisageable.
Comme par hasard, les deux chefs-d’œuvre de cette anthologie sont là !

« Catastrophes » débute avec « La Fin du Rêve » de Philip Wylie. Écrivain injustement ignoré du grand public, Wylie eut pourtant quelques succès, tout particulièrement via le cinéma hollywoodien. Œuvre noire, désespérée, visionnaire et emblématique, son roman influença durablement un auteur comme John Brunner qui n’hésita pas à le signaler plusieurs fois. Précurseur des affres climatiques sérieusement envisagées par les scientifiques contemporains, « La Fin du Rêve » est un roman choc, d’une grande poésie noire mais aussi d’une dureté extrême. L’humanité a failli, elle ne peut que le payer. Sombre, désespéré et effrayant.

John Christopher connut son heure de gloire à travers quelques romans d’une grande qualité littéraire. « Terre Brûlée » qui eut une adaptation cinématographique anglaise intéressante, est l’un d’eux -il faudra aussi lire « L’Hiver Éternel », histoire intelligente où les glaces envahissent les zones tempérées et où les occidentaux sont obligés d’émigrer en Afrique pour y jouer les boys du coin dans un renversement sociologique passionnant qui fera grincer quelques dents.
Néanmoins, chez Christopher, l’horreur ne naît pas obligatoirement des inconséquences de l’homme (quoique !). Parfois, il suffit qu’une plante mute pour que la planète se retrouve soudain au bord du gouffre et complètement affamée. Peu importent alors les causes de l’incident, l’écrivain s’intéresse aux conséquences.
Accrochez vos ceintures ! La civilisation s’écroule et les hommes de bonne volonté ne sont pas légion quand il s’agit d’assurer la survie de l’espèce. Un “road movie-book”, un survival -tout en bon français, hein !- dans lequel un petit village fortifié écossais sera peut-être la destination finale des courageux.

« Soleil Vert » est avant tout un grand film de SF réalisé par Richard Fleischer (récemment décédé). Au début, il y avait pourtant un roman. Une histoire sulfureuse, une condamnation des excès d’un capitalisme sauvage qui entraîne une espèce de cannibalisme inconscient de l’humanité par elle-même. _ Le capitalisme tressera-t-il la corde avec laquelle il se pendra ? Sûrement, chez Harrison, où l’homme mange celui par lequel il est né. Si l’épineux problème des retraites est définitivement réglé dans son anticipation (tu parles !), la morale n’y gagne pas grand-chose et rétrospectivement, de farines animales en vaches folles puis en ESB, il y a un pas qu’Harrison franchissait allègrement avec vingt ans d’avance pour imaginer le pire.
Une anticipation à redécouvrir par un écrivain dont les amateurs français connaissent surtout la saga de Jason dinAlt (un héros sérieusement burné) ainsi que quelques space opera ou nouvelles de bonne tenue. _ « Soleil Vert » est et restera le roman coup de poing de Harry Harrison.

De Moorcock, on savoure avant tout les grandes sagas (Elric bientôt rééditée chez Omnibus SF, Corum, Erekosë, Hawkmoon, Jerry Cornelius, etc.) et l’influence omniprésente qu’il eut sur la science-fiction grâce à sa revue « New Worlds » dans les sixties. Dynamiteur énergique d’une littérature parfois primaire, romancier à l’humour souvent dévastateur, Moorcock livre de temps à autre des histoires empreintes de la plus élégante des poésies. _ « La Goélette des Glaces » (originellement publié en poche sous le titre « Le Navire des Glaces » chez Press Pocket) est ici livré dans une traduction justement revue et corrigée par J.F. Amsel. Dans un futur plutôt lointain, la terre sera recouverte par les glaces, les mots “arbres”, “fleurs” seront devenus légendaires et seuls d’étranges bateaux glisseront sur un désert glacial, blanc et immense. Certes, il faut survivre mais comme toujours chez Moorcock, le héros -un brin torturé- se demande souvent pourquoi et si ça vaut vraiment le coup.
Enfin, ce questionnement métaphysique ne dure qu’un temps avant que l’auteur ne tranche dans le vif du (des ?) sujet(s).

Écrivain majeur et dont on peut tout lire avec un égal plaisir, Thomas Dish maîtrise une écriture ciselée à l’aune d’un style hors norme. Chaque mot est pensé, calculé, pèse son poids et le tout donne des romans et nouvelles d’une élégance rare.
« Génocides » transfigure les thématiques de l’invasion extraterrestre et de l’annihilation de l’espèce humaine avec une candeur et une noirceur épatantes.
Et si, après tout, nous n’étions que des insectes vaguement nuisibles à exterminer, le jour où l’agriculteur galactique du coin revient cultiver sa planète laissée en jachère depuis des lustres ?
Pas plus compliqué que ça ! Le résultat est foudroyant, terrifiant, d’une puissance rarement atteinte par un roman d’anticipation. L’humanité n’a aucun avenir et « Génocides » est à classer tout en haut de la pile des livres à lire par dessus tout.

Une courte préface de Michel Demuth ainsi que de brèves biographies des écrivains dont les romans sont présentés dans ce recueil ouvrent cette anthologie.
Une bonne occasion pour rappeler aux plus jeunes l’importance d’un romancier dont on attend en vain, la réédition du cycle intitulé « Les Galaxiales » -qui connut même une extension BD en collaboration avec Philippe Druillet (cf. « Yragael »). Une “Histoire du Futur” à ranger aux côtés des réussites anglo-saxonnes du genre et qui hissa la SF française à un niveau qu’elle atteignait rarement par le passé.
Une création qui ne doit pas faire oublier que Michel Demuth se démultiplia aussi en directeur littéraire du mythique Club du Livre d’Anticipation (la plus belle collection de SF qui ait jamais existé et dont certains dont je suis, tueraient père et mère pour quelques volumes), du Masque, du Livre de Poche et à divers postes de responsabilité pour les revues et collections qui animèrent le paysage hexagonal SF (Fiction, Galaxie, Galaxie-Bis, Marginal). Michel Demuth est aussi un brillant traducteur quand il a un peu de temps !
Bref, le gars s’y connaît, n’est pas n’importe qui et la remarquable sélection effectuée pour cette anthologie lui doit sans doute beaucoup.
Bon, on pourrait chipoter sur l’absence d’un chef-d’œuvre issu de la “Tétralogie Noire”* de John Brunner, du « Ravage » (1943) de René Barjavel ou du « Malevil » (1972) de Robert Merle qui auraient été de parfaits candidats hexagonaux pour cette anthologie, mais il faut bien faire des choix et laisser le lecteur fouiller un peu les rayons des libraires !

« Catastrophes », un beau travail d’anthologiste à savourer quand le moral est au plus haut !

* Rendons à César...
Terme utilisé (créé ?) par Stan Barets dans son « Catalogue des Âmes et Cycles de la SF » (dernière réédition sous le titre du « Science Fictionnaire » en deux volumes) en collection Présence du Futur chez Denoël. Cette “Tétralogie” comprend les romans « Tous à Zanzibar » (1968, Prix Hugo en 1969), « L’Orbite Déchiquetée » (1969), « Le Troupeau Aveugle » (1972) et « Sur l’Onde de Choc » (1975), chef-d’œuvres incontestables et influences majeures de nombreux écrivains.
Que serait le Cyberpunk sans Brunner, on peut se poser la question et répondre : pas grand chose !
Écrivain britannique passablement oublié par l’époque, John Brunner est un grand, un très grand à découvrir de toute urgence.

Titre : Catastrophes
Auteurs : Philip Wylie, John Christopher, Harry Harrison, Michael Moorcock, Thomas Dish
Romans : « La Fin du Rêve », « Terre Brûlée », « Soleil Vert », « La Goélette des Glaces », « Génocides »
Préface, biographies, choix des textes : Michel Demuth
Traductions : Bruno Martin, Alain Dorémieux, E. DeMorati, Jacques Guiod et J. F. Amsel, Guy Abadia.
Couverture : Atelier Didier Thimonier (peinture « Postapocalypse » de Daniel Kvasznicsa)
Site Internet : http://www.omnibus.tm.fr
Collection : Omnibus SF
Éditeur : Omnibus/Place des Éditeurs, 12, avenue d’Italie, 75013 Paris
Pages : 832
Format (en cm) : 13 x 3 x 20 (broché)
Dépôt légal : décembre 2005
EAN : 9 782258 069725
ISBN : 2-258-06972-6
Prix : 25,50 €


Stéphane Pons
16 avril 2006


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