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Ceux des Limbes
Camille Brissot
Syros, roman (France), post-apo avec zombies, 483 pages, avril 2018, 13,99€

Dans un futur pas très rose, une communauté humaine s’est barricadée à Mont-Survie, protégée des Limbes, les gens contaminés par un champignon zombifiant. Organisée en strates, avec l’impact social qui va avec, elle a placé au sommet ses savants, détenteurs des savoirs, et leurs étudiants, tandis qu’au pied du mont vivent les masses laborieuses, qui travaillent dans les souterrains à la culture du mush, un champignon qui aurait dû être le remède aux Limbes, mais qui ne s’est avéré qu’une source intéressante de protéines. Et peut-être la cause des malformations physiques de la dernière génération...
Oto est un jeune à part. Miraculé d’une attaque de Limbes une décennie auparavant, propulsé en héros au sommet, adopté par Tatesh, le chef des éclaireurs, il refuse de marcher dans les pas de son sauveur et abandonne les hauteurs pour devenir jardinier. Ami avec Pietro, un jeune plus âgé qui a lâché ses brillantes études pour les caves à mush et nourrir sa famille, il est aussi amoureux de Naha, la fille du maître oiseleur.
Mais voilà qu’arrive le rituel de la Sortie : un petit voyage initiatique dehors pour les jeunes adultes en devenir. Oto en est exempté. Naha, malgré sa mauvaise jambe, y participe. Mais surtout il y a Rostre, le neveu brutal de Tatesh, qui a brutalisé Oto des années durant, et ne cache pas ses vues sur l’oiseleuse.
Mi par amour, mi par jalousie, Oto va donc sortir lui aussi. Sans préparation, et si possible en cachette, car il craint autant la réaction de Rostre que de Naha...



Whaoh. Après l’excellente et très originale « Maison des reflets » qui vient de décrocher, entre autres, le Prix Imaginales des Collégiens, Camille Brissot s’attaque à un thème très à la mode : les zombies.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a bien appris des désormais classiques du genre, de « The Walking Dead » de Robert Kirkman à « World War Z » de Max Brooks, et nous livre en un peu moins de 500 pages une histoire trépidante et terrifiante, en se jouant des clichés mais sans perdre de vue le sujet principal d’une histoire de zombie (et ce depuis le premier film de George Romero) : l’attitude des humains, entre eux et vis-à-vis de cette horde qui a été, jusqu’à peu, humaine aussi.

(attention, toute chronique quelque peu poussée ne pouvant se faire sans quelques révélations, celles et ceux voulant conserver intactes toutes les surprises sont priés de sauter au dernier paragraphe)

Son héros, Oto, cumule un peu les handicaps : autoproclamé à 5 ans héros de la communauté pour des faits auxquels sa mémoire refuse de lui laisser accéder, il s’auto-déchoit en refusant de satisfaire les ambitions de son père adoptif, au grand dam de ce dernier et, nous le comprendrons vite, de son neveu Rostre, en mal de reconnaissance, qui se venge en montant les autres enfants contre lui. Ah oui, et il est noir (et le traitement ultra-light du racisme par l’autrice est fabuleux, car il en dit tellement avec très peu.)
Bon, heureusement, il a un excellent ami, presque un grand frère, Pietro, et une fille qui l’aime et qu’il aime, Naha. Deux extrêmes : lui demeure dans les cercles inférieurs en se sacrifiant pour sa famille, elle, filles de deux éminences de Mont-Survie, conserve un petit esprit aristo malgré son bon fond.
C’est donc avec l’aide du premier qu’Oto sortira discrètement de la cité-forteresse pour rejoindre la seconde.

On pourra un peu tiquer sur ce rituel qui met en danger les jeunes de la communauté dans cette excursion sans escorte, ou le fait qu’ils soient peu nombreux pour ce voyage, mais le principe est plus que crédible : un rite initiatique violent, qui marque profondément et ancre le sentiment d’appartenance à un groupe et rappelle toute sa vie pourquoi il faut défendre la communauté.
Tout n’est cependant pas idyllique. La structure sociale pyramidale de Mont-Survie se reproduit dans le groupe, les premiers cercles (Rostre et Naha) ouvrant la marche, ceux du bas la fermant (à tous les sens du terme). Idem lorsqu’il y aura des victimes : ce sont les plus faibles, les moins bien équipés, les moins bien nourris, qui tomberont les premiers, sauf accident. En réaction, les solidarités du groupe seront différentes, avec un esprit de caste initial qui va se désagréger au fil des événements et de la folie sanglante de Rostre et de ses sbires, qui exultent à tuer les Limbes et profaner leurs cadavres. Naha s’érige évidemment en contre-pouvoir à ce déchainement de violence.

Camille Brissot se joue des clichés du genre, et joue avec son lectorat, avec des éléments comme le frère disparu de Naha, Gerfaut (détail qui ouvre le roman), et que la jeune fille est persuadée de retrouver, vivant ou pas. L’autrice double cette quête à fort potentiel émotionnel d’une autre - plus tardive - délivrance d’un être aimé.
Ceux que la politique assez rigide de Mont-Survie aura fait réagir seront ravis de découvrir un autre son de cloche, les zones grises du pouvoir avec les bannis, manière d’enseigner à nos héros que le bien du plus grand nombre nécessite parfois quelques arrangements avec la vérité ou la justice. Mais Oto et Naha l’auront déjà compris, puisque dans le microcosme du groupe cela se sera également produit.

On est tenu en haleine d’un bout à l’autre, la violence physique, la peur alternant avec la tension dans le groupe et des épisodes tragiques (le suicide par empoisonnement d’un membre infecté, comme c’est la règle, pour éviter de devenir un Limbe). Je ne vous dis rien sur le twist du chapitre 54, émotionnellement très fort (surtout si comme moi vous refusez de feuilleter les derniers chapitres pour voir si les héros sont toujours vivants - j’en connais qui sont tombés sur la mort de Dumbledore comme ça...) mais il confirme que l’autrice n’a rien laissé au hasard dans son intrigue et rend, de fait, certains éléments antérieurs encore plus tragiques. Comme pour « La Maison des reflets », le découpage en nombreux chapitres, loin de casser le rythme, permet de mieux se concentrer sur les événements, leurs causes et leurs conséquences, de nous laisser ce peu de souffle pour peser tout cela, aux côtés des personnages, avant de reprendre de plus belle.

Bref, c’est encore un excellent roman, captivant du début à la fin, d’une richesse fabuleuse, que nous offre Camille Brissot. On pourrait le décortiquer de longues pages durant sans abîmer le plaisir qu’on aura eu à le lire, tant l’autrice a très bien mis de très bonnes choses dedans. On lui prédit à coup sûr autant de récompenses qu’à « La Maison des reflets », son thème accrochant sans mal les ados, ses qualités littéraires séduisant les plus grands - parents, bibliothécaires et enseignants inclus.


Titre : Ceux des Limbes
Auteur : Camille Brissot
Couverture : (photomontage)
Éditeur : Syros
Collection : Hors série
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 483
Format (en cm) : 23 x 16 x 4
Dépôt légal : avril 2018
ISBN : 9782748525373
Prix : 13,99 €



Nicolas Soffray
12 avril 2018


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