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Shades of Magic, tome 2 : Shades of Shadows
V.E. Schwab
Lumen, roman traduit de l’anglais (USA), dark fantasy/fantastique, 504 pages, mars 2018, 15€

Lila a donc planté Kell pour partir, seule, vers d’autres aventures : à sa manière habituelle, de l’audace, un peu de folie et la violence nécessaire, elle a rejoint la Flèche Noire, le navire corsaire du capitaine Alucard Emeri. L’homme, charmeur et bon magicien, essaie peu à peu de briser sa coquille, en vain : Delilah Bard prend sans donner plus que nécessaire. Elle apprend l’arnésien, découvre un peu le monde au-delà du Londres rouge, et apprend la magie. Avant de revenir à Londres où Emeri, pourtant pas le bienvenu, va participer aux Jeux des éléments, une compétition de magie entre les trois nations d’Arnes, Vesk et Faro.
C’est le prince Rhy qui organise les Jeux, un exercice nécessaire dans son apprentissage de futur roi. Et il a bien saisi les enjeux diplomatiques, aussi va-t-il faire en sorte qu’Arnes l’emporte une nouvelle fois. Lié à Kell depuis sa résurrection, il ressent la frustration de son frère Antari : Kell a goûté à une puissance inédite en devant se battre pour sa vie et pour sauver le Londres rouge, et le pouvoir ronge son frein. Aussi Rhy organise-t-il un petit subterfuge : les combattants étant masqués, il inscrit Kell sous une fausse identité.
D’abord réticent, Kell, qui subit également les effets du lien, accepte cette bouffée d’air, d’autant que sa vie est devenue bien terne. Dans le Londres gris, le roi Georges III est mort, laissant le trône à son dangereux fils, et chez lui le roi et la reine ne lui font plus confiance, étiolant le lien filial déjà fragile.
Il ne manque qu’un brin de chaos, comme une Lila qui décide de participer également au tournoi, et un vieil adversaire, qu’on croyait vaincu, qui revient encore plus dangereux que jamais...



« Shades of Magic » était époustouflant, sa suite ne démérite pas. On retrouve avec plaisir nos héros, quoique séparés. Delilah est fidèle à elle-même, indépendante jusqu’à la solitude, et si un semblant de relation semble se nouer avec Alucard, tous les deux sont trop... trop eux-mêmes, avec leurs secrets, pour que le jeu fonctionne. Lui devra user de subterfuges et de chantage pour tirer les vers du nez de la voleuse qui s’est intégrée au culot dans son équipage, elle devra l’espionner pour découvrir qui il est réellement et le pourquoi de son bannissement de Londres - une histoire d’amour qui concerne d’autres protagonistes... Trop fiers l’un et l’autre pour renoncer. Alucard, néanmoins, dans une attitude de grand frère, fera son possible pour protéger Lila, surtout de son ignorance, car la jeune femme fonce souvent tête baissée, dans les projets les plus fous (prendre la place d’un concurrent inscrit) sans connaître ni les tenants ni les aboutissants de ses choix. Elle s’en mordra parfois les doigts, mais peu importe, car ainsi en danger, elle se sent libre et vivante.
Un sentiment de plus en plus étranger à Kell. Après l’intensité du combat contre les Dane, le revoilà cantonné au rôle de messager entre les Londres rouge et gris, et assigné à résidence, deux chaperons aux talons. Pour ne pas améliorer son humeur, le lien avec Rhy est sensible : Kell ne lui prête pas que sa vie, ils ressentent mutuellement la douleur, la colère ou l’ivresse de l’autre, et leurs caractères déteignent. Kell ronge son frein, la mort du roi du Londres gris l’attriste aussi profondément que les avances de son héritier lui rappellent comment sa frivolité de contrebandier a failli détruire les mondes. Le tournoi est donc une échappatoire, un exutoire pour la magie qui bouillonne en lui.
Mais autre chose le chagrine : Delilah. Au point qu’il la cherche, croit la voir partout. Et la jeune femme, ayant endossé l’identité du mage Stasion, joue un peu au chat et à la souris avec lui. Leurs retrouvailles sont explosives, en pleine arène, mais le jeune mage, malgré la violence des sentiments qu’il éprouve, ne peut se départir de ce qu’il est - un mage - et vitupérer contre l’inconscience de la voleuse, les dangers auxquels elle s’expose...Bref, comme n’importe quel abruti amoureux qui crie et tempête, dans une posture de mentor, au lieu d’avouer ses craintes et d’accepter la jeune femme telle qu’elle est. Et donc, forcément, ça ne va pas bien se passer.

C’est un message très actuel qui sous-tend cette histoire : le droit de chacun à disposer de soi-même. Au premier plan, Delilah, fière, forte, indépendante mais étrangère à ce monde et à ses règles, mais aussi Kell, captif de ses obligations, de son rôle, de son état d’Antari. Paradoxalement, si son pouvoir lui permettrait de fuir, de s’absoudre de ses obligations, sa morale et ses engagements le retiennent, là où Delilah applique l’exact contraire, fuyant la moindre chaîne qui apparaît, brisant le moindre lien qui voudrait se former.
Citons Rhy ultra-dépendant d’un frère et qui cherche par-dessus tout à se faire pardonner son geste tout en apprenant le dur exercice du pouvoir, Alucard à l’histoire familiale compliquée, qui a trouvé la liberté dans la fuite, mais ne peut s’empêcher de revenir avec un léger sentiment de revanche.

Victoria Schwab n’accorde pas aux Jeux plus de place que nécessaire, et si les combats sont visuellement impressionnants, on n’en suivra qu’une poignée, parfois assez succincts, pour s’attacher davantage aux personnages et aux effets psychologiques de ces affrontements : exultation, doute, peur... Et n’oublions pas le côté politique de tout cela. Il est un peu estompé par les ennuis et les secrets de Rhy et Kell, et les jeux dangereux de Lila, mais au travers des interventions du roi Maxim, on le perçoit en permanence, et rien de ce qui n’arrive dans les derniers moments n’est injustifié : Maxim est un bon roi, ce qui signifie que le sacrifice de quelques-uns est parfois nécessaire au bonheur du plus grand nombre. Et un autre personnage, du côté du Londres blanc, appuiera aussi sur ce thème fort de la fantasy.

Le cliffhanger final, de toute beauté, laisse présager un ultime volume phénoménal. La lumière n’est toujours pas faite sur le statut de Delilah, même si au vu des événements on ne peut plus guère douter.

En conclusion, je maintiens mon avis très enthousiaste sur cette série, servie ce tome encore par une très belle édition avec quelques fioritures graphiques sur les titres de chapitres et la magnifique couverture de Charlie Bowater. Un incontournable du catalogue de Lumen. Je me tairais encore sur la traduction du titre anglais par un autre titre anglais qui du coup peut prêter à sourire (« les ombres des ombres », pour les non-anglophones) et quelques rares coquilles, mais c’est bien là tout ce que je pourrais reprocher à ce bijou dont j’aurai dévoré les 630 pages avec avidité. « Shades of Shadows » est un de ces livres qu’ont lit jusqu’à tomber de sommeil et qu’on referme à regret, avec la hâte d’être au lendemain pour s’y replonger. Et plus on avance, plus on maudit cet inévitable sommeil, qui nous arrache à cette héroïne intrépide, aux piques assassines, qui ne renonce jamais, et à notre mage torturé par ses principes.

Pour ceux qui souhaiteraient rencontrer Victoria Schwab, elle sera présente à Livres Paris la semaine prochaine.


Titre : Shades of Shadows (A Gathering of Shadows, 2016)
Série : Shades of Magic, tome 2/3
Auteur : V. E. Schwab
Traduction de l’américain (USA) : Sarah Dali
Couverture : Charlie Bowater
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 633
Format (en cm) : 23 x 14 x 4,5
Dépôt légal : mars 2018
ISBN : 9782371021518
Prix : 16 €


Shades of magic
Shades of shadows
Shades of light
Hors Zone : une interview de l’autrice lors de Livres Paris 2018, sur Actualitté


Nicolas Soffray
10 mars 2018


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