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Protocole de la Crème Anglaise (Le), tome 2 : Imprudence
Gail Carriger
Le Livre de Poche, Orbit, roman traduit de l’américain, steampunk, 565 pages, juin 2017, 8,90€

A peine rentrée des Indes, Rue accumule savons et déconvenues. Désavouée par la Reine pour les libertés prises en Son Nom, elle retrouve son équipage masculin en pleine bagarre, Quesnel et Percy se battant pour une histoire de publication scientifique à laquelle le premier a oublié d’associer le second, et la meute de son Papatte en pleine folie. Ce qu’elle a tardé à voir est arrivé : Lord Maccon est rattrapé par la Malédiction des Alphas. C’est irrémédiable, ou presque : il doit renoncer à sa meute et à son immortalité. Rue, désormais majeure, ouvre brutalement les yeux sur ceux qui l’entourent.
La retraite de ses parents en Égypte, où le Fléau des Dieux maintiendra son père sain d’esprit, s’organise dans une certaine précipitation, plusieurs groupes armés tentant de prendre d’assaut la Coccinelle à la Crème. Est-ce pour mettre la main sur la cuve à fantôme que Quesnel a installé dans la soute, pour quelque mystérieux usage, ou sur mademoiselle Sekhmet, seule lionne-garou connue ? Peu importe dans l’immédiat, la première épargne la folie de l’éther à Lord Maccon et la seconde éloigne les gêneurs.
Mais l’Egypte, une fois père et mère débarqués, n’est pas vraiment une terre hospitalière pour l’équipage de la paranaturelle. La Coccinelle part sur les traces du peuple des lionnes, aidée par les Dériveurs, ses poursuivants toujours dans leur sillage.
Comment voulez-vous, dans de telles conditions, que Rue puisse parfaire son éducation de jeune femme auprès de son professeur de choses françaises ?



Jusqu’à preuve du contraire, avec « Imprudence » se concluent non seulement « Le Protocole de la Crème Anglaise » entamé avec « Prudence » mais aussi « Le Protectorat de l’Ombrelle ». C’est la fin pour le couple Alexia-Connall, avec cette tant redoutée Malédiction. Le bref retour à Londres de Prudence est donc, surtout, l’occasion de tourner une page, celle de la meute, même si contrairement à Rue nous ne sommes pas surpris de l’identité du nouvel Alpha. Mais la succession n’est pas une affaire banale, et tous souffrent, devant la déchéance de Maccon, nous autant que les personnages, espérant le voir accepter les mains tendues pour une transition en douceur, sans sang versé. Cela n’en rendra le nouveau statut de Rue que plus criant et douloureux. C’est aussi l’un des premiers indices que Gail Garriger sème à notre attention quant au sujet véritable de son intrigue, mais, comme dans tous les tomes précédents, nous ne le verrons que bien plus tard, et nous nous serons laissés mener en bateau comme des débutants.
Car la formule ne change pas : l’autrice noie le vrai sous une tonne de faux plausible, dont son héroïne est à ce point persuadée que comme elle, nous perdons de vue l’essentiel au profit de l’évident. Il est fort probable qu’à force, la recette aurait fini par lasser, mais encore une fois, une dernière, « Imprudence » est une pâtisserie tellement appétissante qu’on la dévore sans penser au mal qu’elle recèle.

Clôture de la génération parentale, donc, avec une retraite bien méritée, et poursuite des aventures de la nouvelle équipe, à l’équilibre un peu différent : Primrose est la plus raisonnable, dotée de ce pragmatisme très anglais mais non dénué de réalisme, et seules les vues qu’a sur elle mademoiselle Sekhmet la déstabiliseront. Pour les autres, peu à sauver en apparence, mais ils gagneront notre respect au fil des pages, dans les situations de crise, et prouveront être capables de maturité : Quesnel, en professeur de français, va se dépouiller de ses manières de séducteur et, bien qu’il s’en défende, et que Rue n’en voit rien, peine à voiler la réalité de ses sentiments. Pas facile d’initier sexuellement, l’air de rien, la fille qu’on aime, surtout quand elle vous a clairement dit que tout cela n’était que « technique » et purement pédagogique... Bien heureusement, happy end final, c’est limite s’ils se marièrent et eurent beaucoup de... je ne sais pas trop quoi. Percy, cause de beaucoup des mésaventures de ce tome, saura lui aussi faire montre de sérieux, d’empathie et de maturité quand le drame de la situation ne permettra plus de bouder.
Autour de Rue, ce sont donc des personnalités adultes qui s’affirment. Les humains, aussi fantasques soient leurs parents, rentrent dans le rang. Ce qui n’en fait que davantage ressortir la désorientation de Rue, qu’elle masque derrière son assurance feinte de capitaine d’aéronef. La jeune paranaturelle est en perte totale de repères, réalisant ce qu’elle perd à chaque lien coupé : rang, famille (élargie), meute... Sa relation avec Quesnel en souffre, tant elle tarde, dans le même mouvement que ses amis, à abandonner jeux d’apparence et insouciance relative. Gail Carriger excelle à inverser les caractères de ses personnages, et cette opposition est bien sûr une source délectable de malentendus, voire de situations gênantes, les protagonistes n’étant pas sur la même longueur d’ondes.

Ce n’est peut-être pas une fin définitive. Mais « Imprudence » conclut en beauté une histoire de famille, de créatures surnaturelles et de thé anglais, et trois cycles avec lesquels Gail Carriger aura profondément marqué le lectorat de steam-fantasy urbaine-sentimentale, et donnant au genre ses lettres de noblesse grâce à cet axiome classique : raconter des choses affreuses avec légèreté, et des choses légères avec gravité.

En attendant d’autres aventures, on se replongera dans les romans de Jane Austen, si ce n’est déjà fait. Même si cela manque de vampires et de loups-garous, le bagout des demoiselles est là.


Titre : Imprudence (Imprudence, 2016)
Série : Le Protocole de la Crème Anglaise, tome 2/2
Auteur : Gail Carriger
Traduction de l’anglais (USA) : Sylvie Denis
Couverture : Lauren Panepinto
Éditeur : Le Livre de Poche
Collection : Orbit
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 34583
Pages : 565
Format (en cm) : 18 x 11 x 2,5
Dépôt légal : juin 2017
ISBN : 9782253083078
Prix : 8,90 €


Le Pensionnat de Mademoiselle Géraldine sur la Yozone
- 1 : Étiquette et Espionnage
- 2 : Corsets et Complots
- 3 : Jupons et Poisons
- 4 : Artifices et Arbalètes

Voir aussi :
Le Protectorat de l’Ombrelle :
- 1. Sans âme
- 2. Sans forme
- 3. Sans honte
- 4. Sans cœur
- 5. Sans âge

Le Protocole de la Crème anglaise
1/2 : Prudence


Nicolas Soffray
29 janvier 2018


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