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SOL, les Réfugiés du Froid
Sylvie Kaufhold
Editions du 38, collection du Fou, roman (France), science-fiction climatique, 248 pages, 2017, 16€

Le monde est en train de sombrer dans l’hiver. Des villages se vident, leur population migrant vers le sud, et surtout vers Sol, une cité-bulle construite par des visionnaires, où règne un éternel printemps. Hélas, la porte ne s’ouvre pas pour tout le monde, et comme tant d’autres, la famille d’Inok est refoulée dans les faubourgs par les Aks, des géants employés comme gardes par les dirigeants de Sol. Contraints de travailler dans les mines, à l’extraction d’une pierre noire nécessaire pour chauffer la cité (du charbon ? de l’uranium ?), les malheureux ne font pas long feu. Le jeune Inok sombre dans le mutisme après la mort de sa mère et sa petite sœur. Son père demande alors un service à un notable des faubourgs, Sven, d’arranger l’embauche d’Inok dans la cité.
Le jeune homme a fait la connaissance d’Alan, récemment expulsé de Sol, qui lui a dressé un portrait alarmant de cette cité soi-disant idéale : interdiction de critiquer les dirigeants, de se soucier des ouvriers des faubourgs ou même d’en parler, et obéissance absolue. Alan a été expulsé pour avoir refusé que sa sœur Liane rejoigne le chœur de jeunes filles dont le chant pur est apparemment vital pour la cité...
Convaincu par Sven, Inok accepte d’espionner et de découvrir les rouages cachés de la cité, pour en faire tomber les dirigeants et offrir la chaleur au plus grand nombre. Quant à Alan, il part avec Alma, une jeune femme déterminée à naviguer sur le grand océan à la recherche d’une mythique terre d’abondance encore baignée par l’été.



A la lecture de l’avant-propos, qui jette les bases de ce monde en proie au froid, j’ai eu un léger frisson. Cet argumentaire initial est en effet bien superflu, comme s’il était besoin de cautionner le travail de l’auteur. Non. Le sujet est d’actualité, et la prose de Sylvie Kaufhold n’a pas besoin de justification.

L’immersion est immédiate, aux côtés de cette famille obligée de tout abandonner, y compris les plus anciens, pour l’espoir d’un Paradis trop beau pour être vrai. En effet, dès l’arrivée aux portes de Sol, le couperet tombe : seuls les plus riches entreront, et les chances d’être pris comme domestique, d’une vie de servitude mais une vie au chaud, sont vite balayées. C’est un logement de misère qui attend les déracinés, et une vie de labeur telle qu’elle ne durera plus si longtemps. On ne nous rejoue pas « Germinal », mais pire encore. Par quelques ellipses temporelles, Sylvie Kaulhold nous laisse deviner le pire et fort probable.

Puis viennent les germes d’espoir. Quelques personnages-clés intriguent, pas aussi vite qu’ils le voudraient, pour changer les choses. La révolution ne se fera pas en un jour, d’autant que les maîtres de Sol ne se laisseront pas faire. C’est la victoire ou la mort. Dans le ghetto gelé, aux portes de la cité-bulle tiède, les pièces s’assemblent une à une. Inok, infiltré dans un ordre monacal en ville, en sera une pierre angulaire. Le jeune homme, héros de cette histoire, surmonte l’abattement de son deuil par une volonté que cela n’arrive plus, une détermination à rétablir l’égalité, à abolir les privilèges. Mais une fois en ville, cette détermination sera mise à l’épreuve. La tentation est forte, quand on se réveille au chaud, qu’on mange à sa faim, qu’on ne craint plus pour sa vie, d’oublier ce qui se passe de l’autre côté de la membrane élastique de la bulle.
L’autre espoir vient d’Alma. Si son frère Romain est un pilier de la rébellion, elle n’y croit pas. La cité aura toujours besoin de la pierre noire des mines pour se chauffer, et donc il faudra toujours quelqu’un pour l’extraire. Des privilégiés et des soumis. Elle préfère donc chercher une autre solution, au-delà de l’océan. Venue recruter un homme solide pour servir sur son bateau, elle récupère le frêle mais lettré Alan. Le garçon va s’endurcir sur le chemin du retour, puis leur relation va évoluer, de professeure à élève jusqu’à égaux. Voire un peu plus avec les mois qui passent.

La grande force de « Sol » tient dans le réalisme de ses personnages dans les situations auxquelles ils sont confrontés. L’intrigue se densifie de quelques éléments purement fictionnels (l’origine de la matière de la bulle, la nécessité des chants), mais hormis cela, elle brosse avec talent les dysfonctionnements « normaux » d’une société inégalitaire et totalitaire. Presque à la limite du cliché, on trouvera le droit de cuissage du Premier conseiller, mais pour le reste, les ambitions personnelles de chacun derrière un masque d’obéissance contrebalancent les élans libertaires des gentils, obligés d’encaisser les brimades la tête basse sous peine d’exil.
« Sol » montre surtout les limites d’un tel fonctionnement. Assez vite, certains acteurs ont compris que cela ne durerait pas éternellement. L’hiver s’intensifie, le flot de réfugiés, de main-d’œuvre bon marché se tarit. Le modèle économique n’est pas viable, dirait-on aujourd’hui sur Internet, et le résultat, on le connaît, et il est fort à propos ici : l’éclatement de la bulle. Loin d’un discours révolutionnaire brutal, les laissés-pour-compte de Sylvie Kaufhold savent qu’ils doivent préserver et partager ce dont ils veulent s’emparer, et pas le détruire. Juste le remettre sur la bonne voie.

Les plus âgés trouveront peut-être le message un brin naïf, et quelques retournements de l’aventure servis par des hasards bienvenus (Inok retrouve Liane, la sœur d’Alan), des rencontres opportunes, mais pour ma part j’ai préféré y voir la marque que sous l’oppression, la révolte, née de la peur permanente, ne demandait qu’à fleurir. Le roman nous laisse tout de même quelques beaux méchants, bien ambitieux et égoïstes, aveuglés par leur propre vision de l’avenir au point de parfois nous faire douter. D’autres personnages sont en demi-teinte, acceptant de vivre selon les règles sans remettre en cause le système. Des nuances de choix, du résistant au collabo, par conviction ou opportunisme, qu’on retrouve dans toute situation similaire.

Loin des grande sagas de SF, « Sol » réussit en 250 pages à nous attacher à de nombreux personnages, à leurs convictions, à leurs peurs, à leurs faiblesses. Mélangeant un sujet d’actualité, le réchauffement climatique, à des éléments de pure SF, il se lit sans déplaisir. La qualité de la psychologie des personnages est notable, et on s’interrogera avec eux à chaque dilemme moral qui leur est imposé, le choix entre le courage et la lâcheté. Le style est fluide, prenant, et l’aventure suffisamment présente pour satisfaire de jeunes lecteurs fans de dystopies comme « Hunger Games » ou « Divergente » . Ils trouveront dans « Sol, les réfugiés du froid » beaucoup moins de romance (mais un peu quand même), et surtout un ton plus adulte apte à les faire s’interroger sur le fond et pas seulement à vibrer sur la forme. Ce qui ne leur fera que du bien. Et aux moins jeunes aussi.


Titre : SOL, les réfugiés du froid
Auteur : Sylvie Kaufhold
Couverture : Jef Caïazzo
Éditeur : Editions du 38
Collection : Collection du Fou
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 248 / 167
Format (en cm) : 20 x 13
Dépôt légal : 2017
ISBN : 9782374534954
Prix : 16 € / 5,99 € en numérique



Nicolas Soffray
1er janvier 2018


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