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Alice change d’adresse
Michel Moatti
10-18, n°5193, thriller, 331 pages, mars 2017, 7,80 euros


Elle se nomme Alice Hoffman, elle revient à la conscience dans une clinique de soins de suite, après un très long coma. Mais peut-être aurait-elle préféré ne jamais se réveiller. Elle avait en effet choisi de s’endormir pour toujours et soigneusement calculé son coup, mais une succession de hasards malheureux ou heureux – un battant de fenêtre laissé entrouvert, un vent répété le conduisant à heurter le mur et à susciter l’intervention des voisins – ont fait que l’on a pu la récupérer à temps. Elle avait ses raisons de partir : une catastrophe fluviale, son enfant qu’elle n’a pas réussi à retenir, et dont on n’a jamais retrouvé le corps.

L’équipe cherche à la faire revenir au monde – à lui redonner ce goût de vivre qu’elle a perdu. Le médecin est en apparence sympathique, la psychologue est à la fois incompétente, stupide, et odieuse. Plus que le goût de vivre, c’est une bien curieuse forme d’espoir qui revient : un autre patient, lui aussi en longue convalescence après avoir été blessé par balle au niveau des artères irriguant la base du cerveau, et avoir miraculeusement survécu, lui explique qu’il s’est penché sur son affaire et qu’il ne l’estime pas résolue. Que si son fils n’a jamais été retrouvé, il n’a jamais été non plus déclaré officiellement mort. Que des témoins, même s’ils sont sujets à caution, auraient pu voir quelque chose qui lui laisserait un espoir. Il faut creuser, creuser encore, si l’on veut savoir ce qui est réellement arrivé.

«  Alice change d’adresse  » aura sans doute deux types de lecteurs : ceux qui ont lu « Shutter Island » de Denis Lehane ou les récits classiques de folie gothique (ou même leurs déclinaisons contemporaines, comme « Notre château » d’Emmanuel Régniez), et les autres. Les premiers ne manqueront pas de suspecter quelque embûche narrative dès les premiers chapitres. Le contexte, et surtout les personnages – parmi lesquels cette narratrice et son long antécédent de coma, ce policier dont le cerveau a sans doute souffert, et cette psychologue passablement dérangée – s’y prêtent tout particulièrement.

Dès lors, bien plus que les protagonistes, c’est le lecteur qui se met à douter de tout. L’auteur, il est vrai, ne manque pas de semer à dessein de minuscules éléments instillant le soupçon, des éléments dont on devine qu’ils ne sont pas là seulement pour participer à l’ambiance générale mais sont aussi destinés à égarer le lecteur sur des fausses pistes en lui laissant entendre que les choses pourraient ne pas être ce qu’elles paraissent.

Pour ces lecteurs, la multiplication des hypothèses finira par émousser la surprise de la révélation finale. Les autres – ceux qui, par nature, ou du fait d’une pratique moins assidue du genre, se sentiront plus en confiance – se feront joliment manipuler d’un bout à l’autre et finiront véritablement bluffés.

Mais si ce roman est en effet plein d’astuce, sa qualité première réside peut-être dans son ambiance toute particulière. Dans ses œuvres précédentes, « Blackout Baby » et « Retour à Whitechapel », Michel Moatti parvenait à recréer de manière parfaitement convaincante les ambiances du Blitz, de la première guerre mondiale et de l’époque victorienne. Dans ce récit contemporain, il élabore au fil des pages une atmosphère singulière qui n’est pas seulement celle de la clinique et d’un lent retour parmi les vivants, mais qui prend aussi les allures d’une sorte de flou, de flottement perpétuel entre présent et passé proche, comme si le lecteur lui-même était piégé dans une légère camisole chimique dont il lui serait difficile de s’extraire, comme s’il avait lui aussi du mal à reprendre pleinement pied dans le réel. Voyage dans le doute et dans l’indécis, dans un entre-deux qui peu semble gagner en netteté – même s’il s’agit bien entendu d’une netteté trompeuse – « Alice change d’adresse » vaut en tout cas le déplacement, et fera faire à tous les lecteurs un joli tour de manège.

Titre : Alice change d’adresse
Auteur : Michel Moatti
Couverture : lefruitduhasard.fr / Tim Robinson/ Arcangel Images
Éditeur : 10-18 (édition originale : Hervé Chopin éditions, 2014)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 5193
Pages : 331
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : mars 2017
ISBN : 9782264069900
Prix : 7,80€



Michel Moatti sur la Yozone :
- « Retour à Whitechapel »
- « Blackout Baby »
- « Tu n’auras pas peur »


Hilaire Alrune
27 août 2019


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