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Bâtard de Kosigan (Le), tome 3 : Le Marteau des Sorcières
Fabien Cerutti
Mnémos, roman (France), fantasy historique, 330 pages, août 2017, 20€

Suite aux évènements avec la Couronne de France et sa rencontre avec un représentant des pouvoirs anciens, Pierre Cordwain de Kosigan et sa compagnie prennent la direction du Saint Empire. L’élection d’un nouvel Empereur se prépare, et le capitaine vient « soutenir » l’herzog de Cologne et grand-électeur Dagmar-Karl von Hohenstaufen. Et accessoirement le débarrasser de certains soucis, notamment la présence du cardinal de Las Casas, inquisiteur déterminer à éradiquer les sorcières du coin, quitte à cramer quelques innocents au passage. Coïncidence extraordinaire, Kosigan s’intéresse lui aussi au Cénacle lunaine, car sa mère a pu en faire partie, et toute information sur son ascendance féérique, son noir-sang, pourrait faire la différence dans les temps à venir.
Mais comment gagner la confiance des sorcières ? En les débarrassant du cardinal... Faire d’une pierre deux coups, et d’une tâche toucher deux salaires, la spécialité du Bâtard !
Cinq siècles plus tard, son descendant Kergael, assisté de ses amis et professeurs Léopold Delisle et Ernest Lavisse se penchent sur cet épisode allemand, guidés par des documents fournis par l’Arche, la mystérieuse organisation qui a transmis l’héritage à Kosigan. Les trois historiens, au fil de leurs recherches laborieuses, réalisent avec effroi qu’on, sous-entendu l’Eglise mais pas que, a « nettoyé » l’Histoire des traces de magie et de créatures féériques en quelques siècles. Et que d’autres, aujourd’hui, continuent d’éliminer les témoins trop bavards...



Troisième opus, troisième aventure indépendante (mais on se priverait à tort de ne pas lire « L’Ombre du pouvoir » et le « Fou prend le roi », d’autant qu’ils sont reparus en FolioSF depuis peu), Le Marteau des sorcières nous fait pousser à l’Est. Le climat politique est tendu, à la veille de l’élection du nouvel Empereur (l’occasion de réviser un peu l’Histoire de l’Europe avec le professeur Cerutti, sur le mode de nomination de l’empereur du Saint Empire Romain Germanique... Rassurez-vous, plutôt que des complots sanglants pour élaguer l’ordre de succession, on complote pour acheter tel ou tel grand électeur... du terrain connu.) Et l’arrivée du Bâtard à la cour de l’herzog Dagmar est à elle seul un événement significatif et provocatrice de tensions ou de changements de plans.
Comme d’habitude, si j’ose dire, Kosigan ne travaille pas pour rien, et apprécie de faire d’une pierre deux coups. Si débarrasser Cologne du cardinal Las Casas peut en sus lui valoir son ticket pour le cercle des sorcières dont a peut-être fait partie sa mère... Son enquête le pousse très vite à suspecter un contact des sorcières dans l’entourage proche de Dagmar, aussi passe-t-il au crible les femmes de la noble famille, chargeant Dun, changée en femme de chambre, de visiter leurs quartiers, tandis que lui se lie étroitement avec Hildane von Brine, la jeune et belle épouse française d’un vieux baron désagréable. La dame se révèle une alliée de choix, au point que le capitaine s’interrogera sur son éventuelle implication dans le Cercle... Mais les sorcières sont tatouées, scarifiées, et Cordwain aura eu à cœur, pour leur plaisir mutuel, d’examiner la moindre parcelle de sa peau d’albâtre...

Tous les ingrédients qui ont fait notre bonheur dans les deux tomes précédents sont donc réunis : de l’action, du mystère, du merveilleux (dont un troll de pierre !), des femmes un peu faciles mais souvent fatales, des complots, du double jeu, voire du triple, des choix cornéliens. Cordwain n’est pas un héros, ni un sale type, juste quelqu’un de déterminé, prêt à de nombreux sacrifices, et qui pèse en permanence le prix à payer pour certains résultats.

On appréciera qu’il ne juge pas. Il mesure. A cheval entre deux mondes, trop diplomate pour se faire des ennemis par anticipation, Kosigan n’a aucun préjugé. Les sœurs sorcières Stein sont des sources potentielles dans sa quête d’information, et qu’elles soient accusées de tentative d’attentat contre le Pape n’est une référence qu’en termes de niveau de dangerosité. Idem des trolls, dryades et orcs : Kosigan est souvent émerveillé de croiser la route de races qui se font de plus en plus rares et secrètes, mais il n’oublie jamais le danger inhérent à ces créatures. Dans les différentes strates de sa bâtardise, il est lui-même une créature merveilleuse et dangereuse à la fois. Les autres acteurs du grand jeu l’ont d’ailleurs bien compris, sa réputation le précédant.
Pour trouver l’intolérance, il faut chercher du côté de l’Église, vous l’aurez deviné. Quoique, puisque l’intrigue, on le sent poindre peu à peu, repose sur un autre fait historique, qui veut que les plus grands spécialistes des cultes interdits soient les traqueurs d’hérésie. Comme le rappelle Lavisse, c’est grâce à ces connaissances pointues qu’ils ont très souvent enraciné le christianisme en terres païenne, établissant le nouveau culte sur les lieux mêmes de l’ancien pour acculturer naturellement les populations.
Les plus cultivés souriront de voir le cardinal surnommé « Le marteau des sorcières », l’expression désignant aux XVe-XVIe siècle un ouvrage, le Malleus Maleficarum, véritable manuel du parfait dénicheur de sorcières. Lisez notamment l’assez érudit « Masky » à ce sujet. Mais le présent propos étant le remodelage de l’Histoire, il n’est pas impossible que le premier soit l’auteur du second...

La partie XIXe, toujours sous forme épistolaire, est certes moins « palpitante », mais relève d’un grand savoir-faire littéraire, justement pour donner à cette écriture a posteriori un souffle, une tension. Les échanges de Kergael, Delisle et Lavisse sont riches en informations, en révélations, et l’on pourrait craindre de finir noyé sous la masse, néanmoins en plus du style de chacun, l’enthousiasme de leurs découvertes est communicatif, et à lire le résultat de leur travail de fourmi dans les bibliothèques et les archives, on a souvent l’impression d’avoir déterré avec eux un trésor oublié. Trésor d’autant plus sidérant qu’il heurte tout le savoir de ces illustres professeurs, et qu’ils oscillent entre une révolte bien légitime contre cette remise en cause de leurs certitudes et leur plaisir peu à peu gourmand devant de telles découvertes qui chamboulent tout ce qu’ils tenaient justement pour sûr et acquis. (On rappelle au passage que Fabien Cerutti est agrégé d’Histoire, c’est dire s’il connaît le phénomène.)

Je pinaillerai bien sur le fait que le volume se termine sur un énorme suspense et un « fin de la première partie » en gras fort frustrant, mais le 4e tome arrivant avant Noël, je saurais museler mon impatience. D’autant que l’auteur devrait ainsi clore son premier cycle, et que moult réponses y sont attendues.

J’en ai certainement oublié au passage, car la prose de Fabien Cerutti est d’une telle richesse dans le fond et la forme que chaque paragraphe, dense d’information ou trépidant d’action, coule naturellement, sans que rien jamais n’achoppe.
Bref, lisez Fabien Cerutti, c’est intelligent, trépidant et bien écrit.


Titre : Le Bâtard de Kosigan : Le Marteau des Sorcières
Auteur : Fabien Cerutti
Couverture : Émile Denis
Éditeur : Mnémos
Collection : Icares
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 330
Format (en cm) : 15 x 21 x 4
Dépôt légal : août 2017
ISBN : 9782354085858
Prix : 20 €


Premier cycle du Bâtard de Kosigan :
L’Ombre du Pouvoir
Le Fou prend le Roi
Le Marteau des Sorcières
Le Testament d’Involution


Nicolas Soffray
24 août 2017


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