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Nightfall
Jake Halpern & Peter Kujawinski
Pocket, PKJ, roman (USA), fantastique/horrifique, 320 pages, avril 2017, 17,90€

A Bliss, sur une île du Nord, on s’apprête à la grande migration vers les Terres Désertiques. Car après 14 années de Jour, le soleil décline pour plonger l’île dans 14 années de Nuit sombre et glacée. Les habitants se plient au rituel du départ : remettre les maisons qu’ils occupent dans l’état exact où ils les ont trouvées. Car elles ne sont pas à eux, pas à leur peuple... Ce que refusent de croire les jeunes, comme Marine, en pleine crise d’adolescence et peu encline à émigrer, d’autant que dans le désert l’attendent une autre vie et un autre rituel qui l’effraie un peu, et l’éloignera de Liam, un autre ado avec qui elle fait de l’escalade sur les falaises qui entourent l’île.
L’heure du départ approche : les bateaux des fourreurs, des chasseurs marchands, arrivent avant que la gigantesque marée retirent les eaux loin des rives, rendant le voyage impossible. Mais Liam a disparu. Contre l’avis de ses parents, Marine et son frère jumeau Kana - dont la cécité en plein Jour disparait avec la Nuit qui tombe - partent à sa recherche, dans la forêt interdite.
Forcément, à leur retour, les bateaux sont partis. Et les autres habitants de Bliss viennent reprendre possession de leurs demeures. La tradition est claire : tous les étrangers devront être partis... ou mourir.



Le fantastique est un genre compliqué, car il requiert un grand niveau d’adhésion à la situation initiale pour accepter ensuite que tout bascule. Et en termes de crédibilité, le duo Halpen-Kujawinski est dans la droite ligne de toute la littérature Young Adult américaine très grand public : on abreuve le lecteur d’action, de sensations, et tant pis si le fonds ne tient pas trop debout. Je l’avais bien aimé mais « Hunger Games » était déjà sur la corde raide, quant au « Labyrinthe » de James Dashner, son intrigue initiale était grand-guignolesque.
L’univers de « Nightfall » se veut « réaliste », proche de la réalité de ses lecteurs (pour ne pas les perdre dans une SF hors du présent propos), mais se heurte, forcément, aux lois de la nature. Imaginez, une île régie par un Jour de 14 ans et une Nuit d’autant. Si les auteurs insistent sur la faiblesse des récoltes la dernière année, crépusculaire, les conséquences de 10 années de soleil permanent ne semblent pas les faire tiquer. Dès les premières lignes, avec la Nuit, apparaît de la glace (!), puis de la neige, et on parle vite de température proche du zéro. Et pourtant, la végétation de l’île -plantes, arbres, et je ne parle même pas de la faune- survit à 14 années polaires dans des ténèbres profondes. Ah, ce miracle de la vie, et tant pis pour la photosynthèse...
Terminons sur les Terres désertiques, terre promise où le cycle Jour/Nuit dure 6 jours au lieu de 28 ans, et je vous renvoie à vos cours de physique pour imaginer la tête de la planète...
Bref, on appréciera les maigres efforts des auteurs pour donner un « semblant de réalisme », via un saupoudrage de petits détails « qui font vrai », sur leur univers (les guillemets sont indispensables), mais c’est très largement insuffisant.
Rappelons que Kujawinski a été, d’après sa bio, diplomate pendant presque vingt ans, et son comparse Halpern est un journaliste reconnu du NY Times... Ce ne sont pas des gens incompétents, pourtant.

Donc, concentrons-nous sur le reste : les personnages. Marine est une ado en plein bouleversement : ses sentiments naissants pour Liam sont contrariés par ce départ, et ce qui l’attend (une réclusion d’un an entre jeunes filles) l’effraie d’autant plus que sa mère, originaire du désert, souhaite ardemment ce retour « chez elle » loin de cette île que Marine considère comme son vrai foyer.
Kana, son jumeau, est son exact opposé. Pâle, lunaire, aveuglé par la lumière du Jour, il semble revivre lentement à mesure que l’obscurité s’installe. Un commentaire salace d’un fourreur, sur d’éventuels liens du sang avec le peuple des mers, commence à enfoncer le coin du doute. Le développement des ses aptitudes durant la Nuit, son aisance dans le noir, puis (je spoile ?) achèveront de conforter nos certitudes. De poids, d’handicap pour sa sœur et sa famille, il devient leur meilleur atout, et même si le message est un peu martelé, il est agréable et participe à la transformation psychologique de Kana, au développement positif de son psychisme d’adolescent. Bon, hélas, d’autres métamorphoses vont survenir chez lui, qu’il devra accepter à défaut de pouvoir lutter contre.
Liam, celui qui est la cause de tout, forme l’élément d’équilibre du trio : plus mûr, il sera la voie de la raison lorsqu’ils sont ensemble, compensant la blessure qui le handicape, et comme ils seront séparés, il se fera tant soutien tantôt contradicteur, mais toujours moteur.
Les relations entre ces trois survivants sont tendues, pétries de ces jalousies adolescentes, mais aussi fortement nouées par des liens aussi forts (amour naissant, fraternité). Si les auteurs ne s’appesantissent pas dessus, on les sent, parfaitement diffuses, d’un bout à l’autre du roman.

L’intrigue tient donc en quelques mots : il fait noir, les adultes sont partis, la marée s’en va aussi et avec elle leurs espoirs de fuite, enfin les légendes de Bliss semblent prendre vie et menacer leurs vies, à coups de griffes ou de ces grands couteaux qu’ils ont remis en place sur le manteau de cheminée de la mairie. Les indices distillés laissent imaginer les habitants grands, très forts (leur vaisselle est en fonte !), les pieds griffus... le cocktail idéal pour une course-poursuite dans le noir ! En même temps, avec de tels indices, était-ce une bonne idée de sous-louer leur logis depuis 2 siècles ? Bref...

Si on se range, au début, à l’avis de Marine quant à la pertinence des traditions, devant le fait accompli on doit se rendre à l’évidence. On appréciera le discours d’Anton, son père (« être adulte, c’est accepter de ne pas comprendre », une phrase dangereuse mais essentielle de nos sociétés) et, lors des brefs échanges avec les « monstres », on adoptera aussi leur point de vue : les humains sont des envahisseurs, qui s’installent chez eux, quand eux doivent se cacher du soleil, la moindre des choses est bien qu’ils laissent les choses telles qu’ils les ont trouvées, qu’ils ne souillent pas tout, qu’ils respectent leur île... Il y a là une intéressante réflexion dans un agréable renversement des rôles traditionnels.

Bien évidemment, les trois ados trouveront un(e) allié(e) dans leur fuite vers un bateau « de secours » en bord de fleuve, cette porte de sortie qui fait courir tout héros de thriller horrifique. Il s’avérera, bien sûr, que cette alliée a un lien avec l’un d’eux, rien n’est innocent...

J’arrête. On pourrait tiquer à de nombreuses reprises, aussi soyons synthétiques : sur le fond, « Nightfall » ne tient pas longtemps la route si vous avez un tant soit peu l’esprit critique ou de vagues connaissances en sciences naturelles. Il faut vraiment le prendre comme de la SF qui n’obéit pas aux lois naturelles, ou bien peu, quitte à ce que vous ne sachiez pas lesquelles, sauf quand on vous le montrera.
C’est bien dommage, car des idées sont bonnes (la critique de l’invasion de la terre par l’Homme, le changement de perspective locaux/invités ou l’évolution de Kana, d’handicapé à plus adapté), et intelligemment parsemées. Le centre d’intérêt principal, le suspense haletant de cette fuite dans le noir, est parfaitement entretenu, le duo d’auteurs usant sans retenue des ficelles efficaces comme les chapitres courts, la séparation des personnages, le secret de chacun et les accidents qui mettent en péril des plans déjà fragiles.
J’ai beau avoir achoppé sur le fond, le rythme est là, la tension va crescendo et malgré des étapes « obligées », on est happé. Il faudra cependant veiller à ne pas dévorer trop vite, au risque parfois de manquer une ligne cruciale, un détail capté en périphérie du champ de vision d’un personnage (j’ai ainsi manqué les « portes » d’où sortent les Autres...). Le style a ce mérite de ne pas nous faire rabâcher sans cesse les mêmes détails, et cette efficacité le rend très fluide à lire. Même nos trois héros ne passent pas leur temps à remâcher leurs secrets, leurs rancœurs... et c’est autant de lignes et de temps gagnés.

« Nightfall » est donc un bon thriller qui remplit son office : nous tenir en haleine jusqu’au bout, nous faire peur à chaque fois que les héros tremblent. On regrettera cependant que les auteurs se soient embarqués dans un univers initial certes dense mais excessif et fort peu crédible (un défaut éditorial qui semble malheureusement encouragé aux USA). Pour peu qu’on gratte au-delà de cette fuite éperdue, les interrogations sont plus fréquentes que les bonnes surprises. Dommage.

Terminons sur cette interrogation : le roman a l’air indépendant, la fin ouverte laisse envisager tous les possibles (mais pas forcément leur utilité narrative), mais il est identifié comme une premier tome sur le site de l’éditeur...Sur le site des auteurs, un « Edgeland » paru cette année semble se dérouler dans les Terres désertiques, avec d’autres personnages... Nous verrons bien.


Titre : Nightfall (Nightfall, 2015)
Auteurs : Jake Halpern & Peter Kujawinski
Traduction de l’américain (USA) : Hélène Zylberait
Couverture : (image Shuttershock)
Éditeur : PKJ - Pocket Jeunesse
Collection : 13 ans et +
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 320
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 3
Dépôt légal : avril 2017
ISBN : 9782266266154
Prix : 17,90 €



Nicolas Soffray
8 juin 2017


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