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Projet Starpoint (le), tome 1 : La Fille aux Cheveux Rouges
Marie-Lorna Vaconsin
La belle colère, roman (France), fantastique, 377 pages, mars 2017, 19€

Pythagore Luchon, en plus d’un prénom pas facile, d’une rentrée décalée pour cause de gastro, n’a pas une vie simple : son père, brillant physicien, est dans le coma depuis 3 ans suite à une agression, et sa mère est prof de maths et forcément cette année il est dans sa classe.
Non, sa vie n’est pas facile, parce qu’il a 15 ans, des hormones qui bouillonnent (une virginité perdue lors des dernières vacances) et voilà que Louise, sa meilleure amie depuis toujours se fait plus distante, et arrive en classe avec Foresta, une magnifique inconnue aux cheveux rouges. Tiraillé par la jalousie et son attirance pour la jeune fille, Pythagore cherche à comprendre ce que les deux filles ont trafiqué durant sa maladie.
Mais le soir de la fête des Pêcheurs, à Loiret-en-Retz, alors qu’il savoure d’assurer l’animation musicale, Pyth est alpagué par Foresta : Louise a disparu, et pas n’importe où, mais dans l’autre monde d’où elle vient. Elle lui fait boire un jus d’orange bleue avant de le guider à travers l’angle mort de deux miroirs. Pythagore se retrouve, le crâne lourd, dans un monde parallèle, dans lequel une société de géographes aux allures d’alchimistes se prépare à une guerre contre d’autres clans et d’autres peuples, les Sublittoraux, dont le pays n’est accessible qu’en passant à travers un courant marin aux étranges propriétés...



Difficile de vous en dire plus sans abîmer le plaisir de la découverte ni trop déflorer ce premier tome. Pythagore est catapulté dans un autre univers, avec certaines similitudes topographiques, qui lui permettront, avec l’une ou l’autre fille, de passer d’un monde à l’autre avec plus ou moins de précision. Mais la Galécie s’avère radicalement différente de son pays de Retz !
Sur cet autre monde, ainsi qu’il l’apprend peu à peu, les terres émergées sont aux mains de différents clans, et de l’autre côté des courants marins, agités d’étranges phénomènes physiques, vivent les Sublittoraux. Ceux qui ont passé le courant dans un sens ne sont jamais revenus. A son retour avec Pythgore, Foresta apprend que des corps décapités de femmes sublittorales ont été retrouvés sur la plage. Elle craint le pire, car Louise a justement disparu dans le courant !
En creusant un peu cette histoire, Pythagore et Foresta vont découvrir que de drôles d’expériences se trament en secret parmi les Géographes, et que la bataille de l’Empoing, qui désigne le nouveau chef, pourrait être décisive pour l’avenir de beaucoup. Mais avant cela, il faut que Pythogore aille de l’autre côté du courant, sauver Louise.

Pour un premier roman, Marie-Lorna Vaconsin place la barre assez haut. On sent l’influence d’« A la croisée des mondes », vantée en 4e de couverture, mais aussi de toute cette littérature de l’imaginaire transmondes, depuis « L’Histoire sans fin » jusqu’à, dans une certaine mesure, « Harry Potter ». Au fil des pages, on renoue avec cette idée que les mondes sont proches, parfois poreux (à certaines occasions très particulières), que certains « voyages » incroyables se sont parfois fondus dans les mythes locaux. Ainsi de l’histoire des Pêcheurs, disparus 12 jours durant, commémorée au début de l’histoire, et plus largement de Barbe-Bleue. L’autrice réemploie en effet habilement la légende noire de Gilles de Rais (Retz) pour lui donner une nouvelle dimension fantastique. Son personnage de Double T, descendant du baron, historien biographe et punk SDF est plutôt savoureux et décalé.

Pythagore est plus problématique. On mettra du temps à cerner ce « héros malgré lui ». D’abord parce que l’histoire démarre immédiatement, sans préambule, et que l’autrice nous noie un petit peu sous les informations les plus variées, de l’état familial de Pythagore et Louise à leur quotidien, leur passé, son ébullition hormonale actuelle, avant que Foresta ne vienne rajouter son grain de sel avec tout le savoir des géographes. Cela peut sembler un peu brouillon, fourre-tout, mais cela reflète plutôt bien l’état psychologique de Pythagore : encore secoué par ses récentes expériences, abattu depuis 3 ans par le coma de son père mais aussi depuis peu par la défection de Louise, tout frétillant à l’idée de « jouer » sur scène pour la fête locale... On s’interroge aussi sur son expérience avec les filles, allant d’une technique pour embrasser, apparemment éprouvée, et d’un récente première fois, parfois contredite par son attitude avec Foresta et, dans une moindre mesure, Jordanie. Vous ai-je dit également qu’il faisait du saut à la perche ? Cela lui sera bien utile à un moment crucial, vous vous en doutez.
Il ne faut donc pas se laisser abattre par cette entame nébuleuse où les zones d’ombre sont encore nombreuses, mais bien le prendre comme Pythagore, comme une plongée violente, un retour à l’école après la pause estivale, avec des choses qui n’ont pas changé, auxquelles on peut se raccrocher, et d’autres qui semblent totalement nouvelles. Cette immersion initiale, un peu brutale pour le lecteur, est indispensable.

De l’autre côté de l’angle mort, dans l’univers de Foresta, rien n’est familier à Pythagore, il ne maitrise aucun des codes, il est ballotté, à la traîne de Foresta qui le subjugue littéralement (ah, les hormones). Leurs fréquents allers-retours entre les deux mondes, nécessaires à leur progression, ne lui permettront pas forcément de reprendre un peu de contenance, Foresta ayant profité de sa quinzaine avec Louise pour se familiariser avec les lieux. Plus que jamais, Pyth apparaît comme un rouage, un acteur à son corps défendant. Une attitude qui va bien sûr évoluer à mesure qu’il prend ses marques et que les camps se définissent. Lorsque l’un de leurs ennemis ou un moyen d’agir seront plus clairement définis, il sera plus efficace, révélant comme tout adolescent une ténacité et une volonté inattendues.

Le roman joue adroitement sur les enjeux des deux mondes. En pays de Retz, Pythagore doit déjouer les embûches scolaires (car malgré leurs aventures, il leur est impossible de se soustraire aux cours sous peine d’ennuis), éviter les conflits avec les autres (difficile quand la jolie garce de la classe joue avec vous). En Galécie, un traître rôde, on saura vite qui, un peu moins pourquoi, et le contrer ne sera guère aisé, voire dangereux. Sans parler, bien sûr, de la capacité à passer d’un monde à l’autre, qui ne va pas de soi. Enfin, lorsque l’intrigue se dénoue, ou que l’avenir se noue, que beaucoup de choses convergent... On appréciera l’ébauche de quelques réponses avant de devoir attendre la suite, prévue au printemps 2018.

Il y a donc de très bonnes choses dans « La Fille aux Cheveux Rouges ». Le fantastique très sombre (on parle quand même de femmes décapitées) satisfera les lecteurs plus âgés. L’univers et ses codes sont originaux, le personnage adolescent et ses préoccupations sont bien mis en scène, jusque dans l’écriture, parfois hachée en scènes courtes, sautant vivement d’un sujet, un moment, à un autre, à l’image des priorités des ados. Ce parti-pris narratif peut sembler déstabilisant, voire rebutant pour certains, tout comme la surabondance d’informations et de personnages à assimiler d’un coup.

Bien entendu, le roman n’est pas exempt de quelques faiblesses. La surabondance d’information en noie certaines, parfois capitales pour la compréhension, qu’on peine à retrouver. Certaines proximités patronymiques (notamment les noms en -an) prêtent à confusion. Et il faut accepter de se laisser porter, au milieu de zones d’ombre, quitte parfois à prendre des notes. On accueillera avec un net soulagement l’explication de ce qu’est l’Empoing, ou la carte page 359 (le lecteur d’Imaginaire est attaché aux cartes, vraies ou fausses : c’est un ancrage que de cartographier l’inconnu, et un sujet de cette histoire). Certaines broutilles relèvent de la relecture : Peut-on tatouer finement à l’encre grasse ? Une enseignante change de nom (ou bien sont-elles deux ? l’école, accueillant des primaires jusqu’aux classes prépa, le laisse envisager). Les deux scènes de crochetage (c’est un talent de Pyth) m’ont fait tiquer : la première notamment parce que la porte a un judas qui rend la manœuvre, la scène qui suit et ses conséquences (l’enfermement des héros, un grand classique) plutôt illogiques.

Premier roman, vanté par une illustre inspiration, gratifié d’une magnifique couverture, j’avais quelques doutes, cela semblait trop beau pour être vrai. Mais quand on y regarde de plus près, qu’on voit que La Belle Colère est portée par Anne Carrière et Monsieur Toussaint Louverture, gens qui ont la littérature en haute estime, on les balaie vite. Et on a bien raison. Il y a dans le fond et la forme de « La Fille aux Cheveux Rouges » de quoi faire oublier une grande quantité de romans « young adult » anglo-saxons, de quoi hisser les jeunes lecteurs (et les autres) un cran au-dessus, dans un imaginaire violent, différent, et dans une structure narrative qui brutalise tout autant leurs habitudes.
Cela s’appelle sortir de sa zone de confort, et pour peu qu’on ne le rejette pas en bloc par simple réflexe, pour peu qu’on soit ouvert et curieux, ce n’est pas désagréable du tout.

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L’autrice lors des Imaginales 2017

Titre : La fille aux cheveux rouges
Série : Le Projet Starpoint, tome 1
Auteur : Marie-Lorna Vaconsin
Couverture : Yeaaah Studio
Éditeur : La Belle Colère
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 377
Format (en cm) : 21 x 14 x 2,7
Dépôt légal : mars 2017
ISBN : 9782843378447
Prix : 19 €



Nicolas Soffray
18 mai 2017


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