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Que passe l’hiver
David Bry
L’Homme Sans Nom, roman (France), fantasy nordique, 392 pages, mai 2017, 19,90€

Comme à l’approche de chaque solstice d’hiver, les chefs des quatre clans convergent vers le rocher du Wegg, pour y renouveler leur allégeance à Cudwich, le Roi de l’Hiver, l’incarnation des dieux sur la terre. Pour Stig Feyren, c’est la première fois. Enfin adulte, il va pouvoir participer à cette réunion, rencontrer les membres des autres clans, écouter les bardes scander les chants fondateurs, s’agenouiller devant le roi.
Il ne le sait pas encore, mais cette année, la cérémonie ne se passera pas comme prévu : plusieurs « accidents » mortels vont l’émailler, et Stig va dès le premier décès suspecter un meurtre. Mais son père fait la source oreille, voire le rabroue lorsqu’il lui fait part de ses observations.
Heureusement, il va trouver du soutien auprès d’Umbre Dewe, qui peut voyager dans les ombres et du lumineux Johan Oren, moins superficiel que son rang ne le laisse croire. Et, bien entendu, son frère aîné, Ewald.



David Bry nous étonne à chaque nouveau roman, touchant à chaque genre de l’Imaginaire. Loin de la high fantasy de ses excellents débuts, « Que passe l’hiver » s’ancre dans une ambiance plus nordique, avec ses clans, sa mythologie et son chamanisme, et sa neige.
L’entame ne laisse rien présager des événements tragiques à venir : c’est la rencontre annuelle des chefs des quatre clans, dépositaires de quatre pouvoirs, régnant sur les terres aux quatre points cardinaux. Ils viennent ployer le genou devant l’incarnation du divin, le représentant terrestre de leurs mythes, lui rendre hommage comme leurs pères avant eux, et renouveler le pacte entre les hommes et les dieux. Pour le jeune Stig, cela marque la fin de son enfance.

S’il savait ce qui l’attend... Fantasmant cet événement au travers des dires de son aîné, il ne s’imaginait pas être témoin d’une mort violente dès le premier banquet. Et surtout, de surprendre sur les traits de Theudeusinde Lugen, la sournoise héritière du clan, un sourire très révélateur...
Malheureusement, cette mort suspecte ne sera pas la seule... Et plus son père lui assène de ne pas s’en mêler, plus Stig va chercher à comprendre pourquoi rien ne se passe comme il devrait. Si la narration est essentiellement centrée sur lui, l’auteur nous laisse parfois entrevoir ce qui se passe ailleurs, écartant légèrement le voile, juste pour nous faire trembler un peu plus d’anticipation...

Fils cadet, boiteux, « responsable » par sa naissance de la langueur qui tua sa mère quelques années plus tard, Stig n’a qu’une valeur aux yeux de son père : sa capacité à se changer en corbeau, qui en fait un excellent éclaireur. C’est aussi pour le jeune héros de cette histoire le seul moment de liberté, loin des hommes et de leurs règles où il peine à trouver sa place. Son frère Ewald, grand beau, fort, étant désigné héritier, Stig a grandi sous l’aile d’Anasie, la sorcière du clan, qui à défaut de magie et d’herboristerie, lui a ouvert l’esprit au travers de l’enseignement des légendes des clans et du Roi de l’Hiver. Malgré sa jeunesse et ses idéaux, Stig est donc un jeune homme intelligent et droit, et c’est ce qui va le pousser à enquêter, à comprendre pourquoi et qui veut entacher cette cérémonie, quels jeux de pouvoir sont à l’œuvre. C’est toute la conception du monde telle qu’on la lui a enseignée qui en est ébranlée.

Rien ne se passe comme prévu, et les « accidents » s’enchaînent : une chasse qui tourne mal, d’autres morts suspectes, une autre cérémonie qui tourne mal... Pour Stig et ses compagnons, les suspects sont partout : Stig s’interroge sur un homme de son clan, met sa fidélité en doute. Cherche des réponses logiques aux événements. Même lorsqu’il s’agit de questionner les agissements d’une hors-clan fort séduisante, mais capable d’invoquer et commander à des démons... Trois femmes gravitent autour de Stig, trois figures féminines déterminantes à son âge : la mère, l’amie, l’amour. David Bry, chapitre après chapitre, s’attache à construire un portrait psychologique très cohérent de cet adolescent qui, dans la douleur des événements, va, au fil de ses choix, se faire homme.

La magie, aux formes et incarnations multiples, est aussi au cœur de cette histoire. Elle s’incarne au travers du pouvoir de chaque clan, et les Feyren en ont la forme la plus « terrestre », avec leur métamorphose, tandis que les autres dialoguent de façon plus évidente avec le divin, les Oren pouvant lire les futurs possibles et les Lugen invoquer des démons du Monde d’En Bas. Mais la magie, c’est aussi cette filiation, ce lien entre hommes et dieux au travers des sorcières comme des bardes. Stig est au carrefour de ces trois formes, et de fait un acteur autant qu’un témoin des événements liés au Roi.

Les heures passent, la tension monte à son paroxysme tandis que tout semble échapper à un quelconque contrôle, la mort rôde. Je m’en voudrais de vous en dire trop, sachez juste que David Bry réussit le tour de force, au-delà d’un suspense et d’une tension qui vont crescendo, de renverser totalement notre conception des rôles de chacun lorsqu’il dénoue son intrigue, révélant pour le coup une histoire bien moins traditionnelle que ce à quoi l’on s’attendait (ou bien c’est moi qui adore me laisser mener en bateau pour n’en savourer que davantage la surprise finale).

Par un habile jeu d’oppositions, la tradition du rendez-vous contre l’imprévisibilité des meurtres ; la ténacité et l’émancipation d’un jeune « héros » pourtant gardien des mythes anciens contre l’effondrement inexorable des pactes d’autrefois ; de la simple vie qui bat et bout dans les veines des protagonistes dans ce paysage de neige, de silence, glacé, « Que Passe l’Hiver » se révèle merveilleusement bien écrit, un thriller enraciné dans cette fantasy nordique, un huis-clos vivant et vibrant ; au milieu d’une neige qui, tempête ou manteau immaculé, dissimule de noirs desseins et finira souillée des actes fous des hommes.

Joyau de glace final, la magnifique couverture de Simon Goinard, brumeuse et éthérique à souhait.


Titre : Que passe l’hiver
Auteur : David Bry
Couverture : Simon Goinard
Éditeur : L’Homme Sans Nom
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 392
Format (en cm) : 21 x 14 x 3
Dépôt légal : mai 2017
ISBN : 9782918541585
Prix : 19,90 €



Nicolas Soffray
7 mai 2017


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