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Dix-neuf romans... qu’il n’y a plus qu’à écrire
Jean-Pierre Andrevon
La Clef d’Argent, nouvelles (France), science-fiction, 284 pages, avril 2017, 13€

Pour ceux qui l’ignoraient encore, Jean-Pierre Andrevon, pierre angulaire de la SF (mais pas que) française, a de l’imagination à revendre. Eh ben pour le coup, il la donne.



L’auteur a entrepris, depuis quelques temps, avec La Clef d’Argent, de ne pas laisser moisir dans ses tiroirs toutes ses idées jetées de manière parfois très détaillées sur le papier. Cela a commencé avec « 66 synopsis ». Puis l’auteur a fourni la matière première de ses idées, à savoir ses rêves, consignés avec minutie au réveil, dans « D’une Nuit sur l’autre », élégamment sous-titré “Lettres à mon psy” tant certains schémas et éléments sont récurrents, et aident à cartographier les grands axes de son imaginaire onirique (Grenoble, les trains, les femmes...).

Avec « 19 romans », il franchit un nouveau pas : au lieu de nous allécher avec des projets qu’il n’aura peut-être pas le temps ou l’occasion de réaliser, il « libère » des histoires, et nous invite, écrivains en herbe, à nous en emparer.
Séparées en 3 catégories, SF, Fantastique et Polar, ces textes sont assez élaborés, le schéma narratif est souvent complets, les ressorts et engrenages nécessaires sont là, il n’y a effectivement plus qu’à y donner un peu plus de corps.

Ça c’est de la SF !
Une première partie très très variée, avec des voyages temporels à grand spectacle mais aussi davantage centrés sur l’aspect psychologique, des questions sur les fondements de l’Humanité, le sens de la vie, et la remise en question de notre ethnocentrisme.

“Le dirigeable des temps perdus” : Sur fond de première Guerre mondiale, un zeppelin s’écrase dans une enclave préservée du temps, rappelant « Le Monde Perdu » de Conan Doyle, pour se conclure sur la folie de nos temps modernes. Un rien daté, avec des archétypes de bons héros sauvant la fille du chef de la barbarie oppressive de son clan, etc...
“L’enfant du temps” : Une histoire de voyage dans le temps, ou comment devenir son propre père. Tous les paradoxes y sont décortiqués.
“Troödons” : un savant un peu fou ramène des dinosaures, qui lui échappent et sèment la terreur en Amérique, menaçant même la domination humaine. Un rappel que notre situation actuelle est le fruit d’heureux hasards (ou malheureux, cela dépend).
“Des amis fidèles” : se déroulant dans Centrum, l’univers du « Travail du Furet », comment les petites applications et machines peuvent, après nous avoir soutenu, se retourner contre l’Homme devenu corps étranger nocif à son propre environnement. Certainement mon préféré, avec une vraie réflexion sur les dérives de la technologie et des IA dont certains (vous ?) sont devenus de plus en plus dépendants.
“Les explorateurs de Cygnus IV” : une expédition revient de l’espace, les 3 astronautes sont arrêtés. Pourquoi ? Parce qu’ils sont déjà revenus. Deux fois. Intéressante réflexion sur l’humanité, la conscience de soi et l’éventualité d’une autre forme de vie ailleurs.
“Ovni” : une enquête du FBI sur une disparition/réapparition d’un avion de guerre vingt ans après. Aliens, chamanisme, secrets du gouvernement, tout cela bien goupillé pour donner lieu à un thriller mystico-étrange dans la droite ligne des crânes de cristal.

Ça c’est du fantastique !
Très varié également, ce corpus ne déçoit pas, versant parfois jusque dans l’horreur sans effets superflus, rendant cette prose pourtant épurée d’autant plus efficace.
“La nuit saigne” : un masque démoniaque (pas celui de Jim Carrey pour les cinéphiles plus tout jeunes) sème le trouble et la mort sanglante dans les quartiers interlopes d’une grosse ville de province française. La multiplication des personnages, des intrigues secondaires, des fausses pistes officielles rend ce script très dense et captivant.
“Ogres” : une épidémie, et les gens se mettent à manger leurs voisins. Un homme tente de fuir cette folie, se cache, résiste à s’abaisser à cette horreur, lutte pour sauver une jeune femme, et espère que quelqu’un, quelque part, pourra mettre fin à tout cela. Avec un rendu visuellement dépouillé, cela ferait un excellent film d’horreur sans beaucoup de budget.
“La maison d’Émilie” : revenir passer quelques jours auprès d’une ancienne amante, qui vit isolée de tout, peut s’avérer fatal. Possession, vampirisme psychique, une histoire intemporelle qui n’a donc pas vieilli.
“Le fantôme de la piste zéro” : croisement entre « Cent mille dollars au soleil » et « Duel », un suspense sur une piste africaine, un camion fantôme synonyme de revanche d’un défunt. Dommage peut-être que l’explication finale, assez rationnelle, tienne peu la route (sans mauvais jeu de mots).
“La nuit des petits couteaux” : là encore, le talent de l’auteur pour forger une communauté complexe, riche (ici un petit village de montagne) comme les aime également Stephen King. Ici, les enfants se soulèvent contre les adultes... et c’est sanglant !
“Les ailes de la nuit” : une petite morsure de chauve-souris, et une fille un peu banale devient Vampirella, luttant à sa façon contre le labo qui expérimente dangereusement sur des animaux. Assorti d’un triangle amoureux et d’un message fort contre les industriels prêts à tout par et pour de l’argent, le tout a néanmoins un petit côté vintage qu’il faudrait faire oublier au profit d’un lifting high-tech.

Ça c’est du polar !
Sans doute le tiers le plus faible de ce recueil, à mon goût, car les histoires peuvent paraître davantage datées que ce qui précède (notamment par l’absence des technologies de ces dix dernières années). De plus, à lire à la suite ces scripts dépouillés à l’os, une certaine sensation de redite finit par émerger dans les mécanismes, les rebondissements...
Plus encore que dans la partie fantastique, certains textes ont été travaillés pour l’image, et comme le polar « historique » aux ambiances rétro sont revenus à la mode, il ne faut pas désespérer de voir ces scénarios peut-être refaire surface...
- “Snuff movie” : le démantèlement d’un réseau de chair humaine en Europe de l’Est par des journalistes baroudeurs. Un trafic terrifiant, pire que la drogue, pour une justice finale définitive, à la Bronson, faute de tribunal compétent.
- “Des vacances aux Caraïbes” : deux plaisanciers aux Caraïbes, lui journaliste, elle flic locale, tombent sur un épave en mer et un naufragé qui ne joue pas franc-jeu...
- “La mort sait attendre” : des pilleurs de tombeau égyptien sont victime d’un spectre vengeur : celui du tombeau ou de leur collègue qu’il y ont abandonné ? Assez classique, dans la veine d’Agatha Christie.
- “Le long chemin de la mort” : une femme d’affaires est l’objet d’une menace diffuse, stressante, qui la pousse à revenir sur son passé en Asie, qu’elle tente d’oublier.
- “Six morts sur le Caillou” : La Nouvelle-Calédonie est le cadre d’un projet hôtelier. Mais lorsque les accidents mortels ou presque se multiplient conformément aux menaces d’un sorcier local, est-ce une malédiction ou une machination ? Andrevon offre en prime des fins alternatives, plus ou moins morales.
- “Eau trouble” : deux anciens amis refont une petite croisière, comme 20 ans avant. Certains événements se répètent, d’autres se font écho, comme la présence d’une jeune femme...
- “L’île des morts” : rassemblés sur une île privée au large de la Grande-Bretagne par un industriel et politicien déchu, ses anciens alliés tombent comme des mouches, dans un grand ménage où chacun espère effacer ses traces peu glorieuses. Mais tout ne se passe pas comme prévu... Rebondissements à tiroirs au rendez-vous.

Bien entendu, cette forme ramassée, dépouillée du script n’apporte pas la satisfaction d’une nouvelle ciselée, ni celle du roman mitonné avec soin. Ces textes n’en demeurent pas moins 19 preuves de l’incontestable talent de Jean-Pierre Andrevon pour la conception de ses histoires, sur le fond comme la forme. Un bon écrivain n’est pas qu’un « habilleur », à la plume volubile et fleurie, capable de noircir des pages à la demande, il est aussi et d’abord un bon architecte. Mais à qui veut s’y essayer, Andrevon offre de quoi s’entraîner, et à qui veut analyser en profondeur, il donne les clés de bonnes histoires, bien conçues. Prenez-en de la graine !


Titre : Dix-neuf romans... qu’il n’y a plus qu’à écrire (nouvelles/scripts)
Auteur : Jean-Pierre Andrevon
Nouvelles :
Le dirigeable des temps perdus
L’enfant du temps
Troödons
Des amis fidèles
Les explorateurs de Cygnus IV
Ovni
La nuit saigne
Ogres
La maison d’Émilie
Le fantôme de la piste zéro
La nuit des petits couteaux
Les ailes de la nuit
Snuff movie
Des vacances aux Caraïbes
La mort sait attendre
Le long chemin de la mort
Six morts sur le Caillou
Eau trouble
L’île des morts
Couverture : Jean-Pierre Andrevon
Éditeur : La Clef d’Argent
Collection : KholekTh
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 32
Pages : 284
Format (en cm) : 18 x 11 x 2,5
Dépôt légal : avril 2017
ISBN : 9791090662384
Prix : 13 €



Nicolas Soffray
5 mai 2017


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