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Effet Churten (L’)
Ursula K. Le Guin
ActuSF, Hélios, nouvelles (USA), 200 pages, janvier 2017, 7,90€

Dans la moitié SF de son œuvre, Ursula Le Guin a développé le concept de l’Ekumen, une sorte d’expansion dans l’univers. Assez nébuleux, construit de façon détourné à la façon d’un puzzle donc il nous manquerait la moitié des pièces, je me garderai bien d’en parler comme d’un empire des Terriens. L’exploration, la découverte de l’Autre, le métissage semblent en être les maîtres mots.
A travers 3 nouvelles, l’autrice développe une nouvelle « technologie » : le Churten. Si l’ansible permet de communiquer à grande distance dans l’univers, le Churten permet le déplacement instantané, et l’abolition de la barrière luminique. Sauf que ce n’est pas si simple que cela...



Avec “l’Histoire des Shobies”, nous découvrons, peu à peu, que le Churten est moins une technologie qu’un concept, extra-terrestre, et qu’on en est au premier voyage avec des « humains », des êtres sensibles, pensants et capables de restituer leur expérience. C’est donc un groupe complet, d’une douzaine de personnes aux liens divers, qui embarque sur le Shoby, vaisseau équipé du Churten, pour un oyage vers une planète boueuse, prélèvement d’échantillons et retour aussi instantané.
Mais voilà, le Churten brouille les perceptions, et notamment celle de la « réalité » : chaque membre d’équipage voit les choses « différemment ». La panne généralisée des systèmes à bord du vaisseau ne simplifie pas les choses. S’interrogeant mutuellement, ils sont confrontés à l’impossibilité physique de leurs différentes visions, actions et souvenirs. Ils devront parvenir à une harmonie collective, via la musique et la danse, pour tous se « caler » sur la même « réalité », et rentrer au bercail.
Complexe, non ? Et pourtant, sous la plume d’Ursula Le Guin, c’est presque limpide. La nouvelle prend le temps, lors de la veillée d’avant départ, d’installer tous les liens dans le groupe, et là c’est le lecteur qui sera bouleversé dans ses repères, car la famille, dans l’Ekumen, n’est pas aussi simple qu’en France en 2017... L’expression « famille élargie » prend tout son sens.
Et nous prépare au modèle de société au cœur du “Pêcheur sur la mer intérieure”, où le cœur des foyers est composé de deux couples de groupes différents (Jour et Nuit) qui peuvent se mélanger à certaines conditions. Davantage que la conséquence du Churten, “le Pêcheur...” est une longue nouvelle, sous la forme du rapport du narrateur à ses supérieurs, qui fait la part belle à la construction intime du personnage, entre vie dans une famille si élargie qu’elle se confond avec une petite communauté, et désir de partir, d’aller découvrir autre chose, de fuir l’amour déçu, de se construire.

Entre les deux, “la Danse de Ganam” nous fait suivre un « Shobie », l’un des protagonistes de la première nouvelle (et du premier et désorientant voyage) qui accepte de suivre un héros de l’expansion dans un nouveau voyage. Le groupe est plus réduit, pour réduire les risques d’interférences, plus « pro », et l’objectif est une planète où le militaire s’est déjà rendu, seul, et a été accueilli comme un dieu (ce qui n’a pas forcément plu à certains savants). Durant leur séjour d’un mois sur place, essayant de se mêler à une population donc ils ne comprennent que des bribes de langue et de culture, ils vont expérimenter, d’une autre façon, la divergence induite par le Churten. À moins qu’il ne s’agisse que du refus de leur propre esprit à accepter certaines choses, à en interpréter d’autres.
Ce texte central, moins déstabilisant que le précédent, est probablement le plus accessible, et interroge en sus sur un thème fort de la SF : la capacité (ou non) (souvent non) d’outrepasser sa propre culture et ses propres conceptions pour appréhender et comprendre l’autre. On signalera par exemple « L’Étrangère » de Gardner Dozois, republié l’an dernier cher le même ActuSF.

Loin du space-opera, la science-fiction d’Ursula Le Guin interroge ce que nous sommes, comment nous nous construisons, comment nous allons à la rencontre de l’Autre. Pour cela, elle n’hésite pas à bousculer nos propres repères, pour faire émerger l’essence fondamentale de l’humanité. « L’Effet Churten », en trois textes, nous offre le voyage instantané pour mieux nous égarer en nous-mêmes.
Et c’est bien agréable.


Titre : L’Effet Churten (nouvelles tirées du recueil Pêcheur de la mer intérieure, « cycle » de l’Ekumen)
Contient : L’histoire des Shobies (The Shobies’ story, 1990), La Danse de Ganam (Dancing in Ganam, 1993), Le Pêcheur de la mer intérieure (A Fisherman in the inland sea, 1994)
Dossier : Bernard Henninger
Auteur : Ursula K. Le Guin
Traduction de l’anglais (USA) : Anne-Judith Descombey
Couverture : Casimir Lee
Éditeur : ActuSF
Collection : Hélios
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 200 / 120 en numérique
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : janvier 2017
ISBN : 9782366298314 / numérique : 9782366293999
Prix : 7,90 € / 4,99 € en numérique



Nicolas Soffray
19 avril 2017


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