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Criminal Loft
Armelle Carbonel
Milady, collection Thrillers, 476 pages, novembre 2016, 7,90 €

Il n’y a pas de limite à l’infamie collective, pas de limite au voyeurisme morbide. Enfermer huit assassins condamnés à la peine capitale dans un édifice isolé et truffé de caméras pour en faire une émission à succès : l’audimat est garanti à l’avance. Le principe : une série d’épreuves, le vote des téléspectateurs, et chaque semaine un candidat éliminé, c’est à dire renvoyé dans le couloir de la mort.



Pour les amateurs de thrillers, une telle idée ne peut guère être qu’excitante. Il y a là matière à bien des développements intéressants, à bien des surprises, à bien des rebondissements. D’autant plus qu’au fil de la lecture il apparaît que les criminels n’ont pas l’apanage des idées tordues, des coups fourrés, des inventions sinistres. Il n’est pas sûr, nos candidats ne tardent pas à le comprendre, que les épreuves auxquelles ils sont soumis soient conformes à la déclaration dite universelle des droits de l’homme. Il n’est pas sûr non plus qu’ils survivront suffisamment longtemps pour avoir le temps de retourner vers leurs pénitenciers respectifs. Peut-être n’auraient-t-ils pas dû postuler à cette émission. Les téléspectateurs, quant à eux, sont ravis.

Hélas, hélas, ce roman souffre de bien des défauts, que l’on ne peut en toute honnêteté passer sous silence. L’écriture est très exactement celle d’un débutant. Trop d’adverbes, trop de subordonnées relatives inutiles, et trop, bien trop d’adjectifs. Comme si un substantif ne pouvait exister sans ou deux adjectifs pour faire bonne mesure (« J’éprouve un plaisir inconditionnel à laisser filer mes sombres pensées bien au-delà des clôtures électrifiées » « Le vent émet une longue plainte lancinante à laquelle se mêlent les cris stridents de la tuyauterie archaïque. » ) Cela peut prêter à sourire, mais cela heurte surtout à la lecture. Autre défaut, des pléonasmes inutiles (« planches en bois  », à trois reprises dans le roman), des impropriétés grammaticales ou des choix lexicaux douteux (« à l’appel de son nom il se hissa du haut de son mètre quatre vingt dix  », on voit mal comment on peut se hisser du haut lorsque l’on est assis, « Les deux matons entrent les derniers, nous arrosant de leur indéfectible condescendance »), des comparaisons discutables («  La même odeur de mort s’engouffre dans mes narines, libérant les particules fantasques de mon insatiable imagination. Un peu comme des électrons libres qui flottent dans une mare de sang… »), ou des phrases-clichés qui semblent insérées au petit bonheur la chance dans des paragraphes qui n’en avaient pas besoin.

« Mais si vous osiez pénétrer dans mon univers, alors vous comprendriez probablement qu’être sain d’esprit ne tient pas seulement aux actes, mais aussi à l’harmonie entre les crimes et l’absence de remords. »

Sur le plan du scénario, en toute objectivité, on sera difficilement plus flatteur. Pour ne pas trop révéler l’intrigue, nous ne ferons pas ici le relevé des incohérences et des invraisemblances qui s’accumulent assez rapidement. Nous avons toutefois buté sur deux carences particulièrement importantes. Tout d’abord, l’asile où sont enfermés les criminels le temps de l’émission devrait être un personnage à part entière, sinon LE personnage du roman, et ce n’est jamais le cas. D’une part les éléments donnés par l’auteur ne permettent jamais de visualiser vraiment les lieux, dont les pièces, couloirs et autres agencements n’apparaissent que lorsque le récit le nécessite absolument, d’autre part l’ambiance spécifique n’arrive pas à prendre. La faute à une écriture insuffisamment évocatrice, mais aussi au fait que ce qui devrait créer l’ambiance – les apparitions fantomatiques old school – appartient à un registre bien peu compatible avec le reste de l’histoire : on voit mal comment ces simples apparitions pourraient terroriser des serial-killers. Second défaut d’envergure, la psychologie de personnages voulus terrifiants, mais qui sont surtout des caricatures et des clichés, perceptibles notamment à travers des dialogues qui sont loin de sonner toujours juste, ne serait-ce que parce que les mêmes individus parlent tantôt comme des petites frappes et tantôt comme des intellectuels. Et même quand l’auteur joue des ces contrastes pour montrer qu’un personnage a essayé de se faire passer pour un attardé, elle en fait nettement trop. Qui irait dans un dialogue courant prononcer une phrase comme « Je me rends compte que l’endroit où elle m’entraîne est interdit, mais je ne peux résister à l’attirance irrésistible que sa frêle silhouette éveille en moi » ?

« Vous ne l’entendez pas ? Pauvres ignorants… Vous foulez le sol de l’enfer et n’en avez même pas conscience ! Cet endroit est maudit ! Maudit ! »

Une déception, donc, pour ce roman inabouti qui avait beaucoup pour séduire. Mais on se gardera bien d’accabler l’auteur. Tout d’abord parce qu’il s’agit d’un premier roman, et que l’on ne saurait en exiger les qualité que l’on attend des œuvres d’un écrivain chevronné. Ensuite, parce que ce roman a été initialement autopublié avant d’être repris par une maison d’édition, ce qu’il explique qu’il n’ait pas bénéficié d’un véritable travail éditorial, ce qui est dommage car un tel travail aurait pu sans peine « gommer » ses principaux défauts. Car, redisons-le, et accordons-en le crédit à Armelle Carbonel, les grandes lignes de ce roman sont réellement excellentes. Le choix de l’ancien sanatorium de Waverly Hills, l’idée d’une télé-réalité poussée à l’extrême et flattant jusqu’à l’épouvantable les goûts voyeuristes et morbides des téléspectateurs, la découverte progressive des crimes des uns et des autres, l’insertion d’un « whodunit » dans le récit, la mise aux enchères de l’arme du crime, l’écart qui se creuse inexorablement et fatalement par rapport aux règles du jeu, autant d’ingrédients qui auraient dû contribuer à la réussite d’un roman qui, peut-être, souffre par ailleurs de vouloir trop en faire. Si l’auteur a sans doute encore une bonne marge de progression, elle a assurément aussi un certain potentiel. Potentiel qui se révélera peut-être dans son second roman, « Majestic Murder  », qui sera disponible chez Fleur Sauvage au mois de janvier prochain.

Les thrillers Milady / Bragelonne sur la Yozone :
- « L’Abbaye blanche » par Laurent Malot
- « De mort naturelle » par James Oswald
- « Le Livre des âmes » par James Oswald
- « Seul sur Mars » par Andy Weir

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Titre : Criminal Loft
Auteur : Armelle Carbonel
Couverture : Bertrand Bonois / Fleur Sauvage
Éditeur : Milady (édition originale : Fleur Sauvage, 2015)
Collection : Thriller
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 476
Format (en cm) :11 x 17,7
Dépôt légal : novembre 2016
ISBN : 9782811218300
Prix : 7,90 €



Hilaire Alrune
7 janvier 2017


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