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Cirque des Rêves (Le)
Erin Morgenstern
Pocket, roman traduit de l’anglais (USA), merveilleux, 570 pages, septembre 2015, 8,20€

Fin du XIXe siècle. Hector Bowen, magicien connu du public sous le nom de Prospero, lance un nouveau défi à son rival Alexander : leurs disciples s’affronteront. Prospero a formé Celia, sa fille née d’une relation sans lendemain, car la gamine présente des prédispositions à son art. Alexander se contentera d’un gamin malin pioché dans un orphelinat, Marco.
Pour terrain d’affrontement, Alexander manipule Chandresh, le plus grand monteur de spectacles de Londres, et tout le petit cercle de talents qui gravite autour de lui. Ainsi naît le Cirque des Rêves, un spectacle totalement novateur où les sens sont trompés. Marco, en tant que secrétaire de Chandresh, emploie sa magie à créer le Cirque, tandis que Célia, engagée dans la troupe, réalise de la vraie magie en la faisant passer pour des tours.
Au fil d’une tournée mondiale, la réputation du Cirque grandit, le précède. Un groupe de visiteurs passionnés se crée autour. Au fil des mois, sous l’impulsion de Chandresh, de Marco ou de Célia, de nouveaux chapiteaux, de nouveaux numéros apparaissent. Les deux compétiteurs ne se connaissent pas, tardent à se reconnaître, et ignorent tout des règles de leur duel. Les mois passent, leurs tuteurs ne les éclairent pas, des liens se tissent entre les deux jeunes gens...



Il est des livres magnifiques qu’on regrette de ne pas avoir découvert plus tôt. Le roman d’Erin Morgenstern a reçu le Prix Locus 2012 du premier roman, excusez du peu, et je m’en veux : « Le Cirque des rêves » m’avait totalement échappé lors de sa parution en 2012, et sa réédition en collection générale chez Pocket l’aura peut-être fait manquer aux amateurs du genre, malgré une couverture enchanteresse.
Découpé en courts chapitres pour mieux alterner les points de vue, l’histoire navigue entre deux périodes, deux trames : la première suit dès le début des années 1880 l’évolution du Cirque et celle de Célia et Marco, la seconde, vingt ans plus tard, s’intéresse à Bailey, un ado américain dont le destin sera lié au Cirque. De courts interludes, s’adressant au lecteur à la deuxième personne du singulier, lui font visiter le cirque.
Si l’emploi du présent dans la narration est quelque peu déroutant, on s’y fait cependant, vite captivé par cette histoire à la fois magique et cruelle.
A l’inverse du « Prestige » de Christopher Priest, et dans une veine qui succédera agréablement à la quête magique de « Jonathan Strange & Mr Norrell » de Susannah Clarke, il est ici question de magie, de vraie magie qu’on ferait passer pour de l’illusion, de la prestidigitation, des tours mécaniques. Les gens aiment être mystifiés. Ils aiment chercher une explication rationnelle à un tour qui les a bluffés, ne pas trouver et abandonner. A aucun moment Erin Morgenstern, en nous plaçant du point de vue de ses deux héros, ne présente le talent de Célia et les capacités de Marco (il y a une nuance) comme extraordinaires. Eux ont toujours baigné dedans, quel qu’ait été leur apprentissage.
Célia et Marco sont en butte à leurs mentors. Prospero a dressé le pouvoir de sa fille par la force, la poussant à se dépasser, comme il se dépasse lui-même jusque dans un tour qui lui coûtera sa... tangibilité. Alexander a enseigné sa technique à son élève, avant de le fourrer dans les pattes du producteur sans plus de consignes. On sera sans doute autant dérouté que les personnages : de ce duel qui les verra s’affronter, on ne sait rien du comment. L’autrice distribue les indices miette par miette, tandis que le Cirque gagne en importance, que les deux personnages se livrent à une parade trouble, y compris pour eux-mêmes.
Car comment s’affronter lorsqu’on s’admire, s’aimer lorsqu’on est séparés ? « Le Cirque des Rêves » (le roman comme le cirque lui-même) suit pas à pas, dans sa construction, l’évolution des sentiments de nos héros. Ce qui commence par une rivalité de puissance et de maîtrise se mue lentement en une élaboration commune, semée de cadeaux et d’hommage au talent de l’autre. Erin Morgenstern nous tisse une magnifique histoire d’amour impossible.
Impossible car c’est un duel. Très vite, on se doute que rien de tout cela ne pourra durer éternellement : c’est un combat qui devra s’achever par la mort de l’un des participants, de gré ou de force, sous les coups ou l’épuisement. Ce que confirme un membre du cirque, victorieux, si j’ose dire, du duel précédent. Oiseau de mauvais augure pour les amoureux. Destin inexorable ? On espère bien sûr que non, et les derniers chapitres voient leurs manigances pour s’échapper du jeu cruel voulu par leurs mentors.

Mais cela a pris trop d’ampleur, ils ne peuvent pas mettre fin au Cirque, devenu légendaire, presque une entité propre, générant dans son sillage de mystère, source de rêves et d’espoirs de par le monde... C’est aussi cette histoire que raconte le roman, celle d’un rêve qui contamine les hommes, une étincelle de magie qui leur redonne foi en autre chose que la réalité, le pragmatisme du quotidien. Ce quotidien que fuit Bailey, comme nombre d’autres spectateurs du Cirque. Cet avenir morne, ce choix entre reprendre la ferme pour satisfaire son père, ou suivre des études pour contenter sa tante. Alors que lui, il rêve d’autre chose.

Construit en courts chapitres, alternant les points de vue, les époques (sans abuser des va-et-vient), Le Cirque des rêves se révèle petit à petit, dévoile ses qualités les unes après les autres. Roman d’initiation, histoire de magie, histoire d’amour, de rivalité, d’apprentissage, mêlant faux-semblants du spectacle et sincérité des sentiments, il bâtit sa propre légende dans une tourmente de noir et blanc et l’on se prend à rêver, sur les dernières lignes, que tout cela soit la réalité...

Un roman magique, pour tous ceux qui n’aiment pas le fantastique. Une histoire d’amour pour tous ceux qui n’aiment ni la mièvrerie ni les excès de la bit-lit. Un roman à mettre entre les mains de tous ceux qui n’aiment pas l’Imaginaire, après avoir soi-même été enchanté.


Titre : Le Cirque des rêves (The Night Circus, 2010)
Auteur : Erin Morgenstern
Traduction de l’anglais (USA) : Sabine Porte
Couverture : Vania Zouravliov
Éditeur : Pocket (édition originale : Flammarion, 2012)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 15915
Pages : 570
Format (en cm) : 18 x 11 x 2,5
Dépôt légal : septembre 2015
ISBN : 9782266247528
Prix : 8,20 €



Nicolas Soffray
13 décembre 2016


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