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Désolation
Stephen King
Le Livre de Poche, n°15148, traduit de l’anglais (États-Unis), fantastique, 832 pages, octobre 2004, 8,60€

En même temps que « Désolation », Stephen King publiait, sous le pseudonyme de Richard Bachman (déjà connu pour « Rage », « Running man », « La Peau sur les os », « Chantier », « Marche ou crève », et qui, après être passé pour mort, reviendra près de deux décennies plus tard pour « Blaze »), un roman intitulé « Les Régulateurs » qui ne s’était pas révélé entièrement convaincant. Reprenant la même intrigue, avec les mêmes personnages mais dans un autre lieu, « Désolation » en constitue une version infiniment meilleure.



Un flic pas vraiment rassurant contrôle les automobilistes au bord de la route. Individus isolés ou petites familles, peu importe. Colossal, effrayant, et sans doute aussi malveillant, il trouve à chaque fois un prétexte pour les arrêter et les emmener au poste de police, un peu plus loin, dans la petite ville de Désolation. Puis, dans le bâtiment, il les met sous verrous. Enfermés sans autre forme de procès, ceux-ci commencent à paniquer. Peu à peu, ils comprennent une chose : le bourg est mort, le policier est seul, et son état mental n’est manifestement pas tout à fait exemplaire. Il n’y a rien de légal dans ces arrestations, rien de commun dans leur situation. Ils courent un terrible danger. Que leur ravisseur soit passablement dérangé apparaît comme une évidence. Mais le danger pourrait être bien plus grand encore que tout ce qu’ils peuvent imaginer.

La structure répétitive et trop ouvertement explicite, nous l’avons vu, finissait par nuire aux « Régulateurs ». La première partie de « Désolation  », avec ces scènes répétées d’arrestations, ces bascules successives vers l’incompréhension, puis vers la peur, d’individus dépourvus de points communs, fait rapidement craindre au lecteur le même défaut. Fort heureusement, si ces scènes d’introduction couvrent un nombre de pages impressionnant, la narration finit par redémarrer avec les dialogues et interactions entre prisonniers dans cette petite ville coupée du reste du monde. Autre défaut structurel chronique du maître de Bangor – considéré par ses défenseurs comme une qualité – et que l’on voit ici venir à plus d’une reprise, les parenthèses destinées à développer ses personnages hors contexte. On connaît l’auteur : on ne peut plus vraiment parler de « flash-backs » mais bien plutôt de « long-exposition backs » pouvant aller jusqu’à la centaine de pages (le père imaginant le destin glorieux qu’aurait pu avoir son fils s’il avait vécu dans « Simetierre  » le discours écologiste d’un des protagonistes dans les « Tommyknockers »). Ces parenthèses pointent ici bien souvent le bout de leur nez – le volume atteint tout de même huit cents pages – mais ne sombrent pas dans la démesure, ce qui permet à l’intrigue de ne jamais entièrement retomber.

King reprend donc les protagonistes des « Régulateurs  » en leur donnant ici des existences légèrement différentes, comme si, dans ce roman parallèle, ils avaient trouvé chacun une autre vie. Tom Billingsley reste vétérinaire et Johnny Marinville est toujours écrivain, mais leurs personnages ne sont pas exactement superposables à ceux qu’ils incarnent dans « Les Régulateurs ». Audrey Wyler, qui dans « Les Régulateurs » apparaissait comme la mère adoptive de l’enfant possédé est ici géologue. Steve Ames est passé du statut de livreur à celui d’employé d’une maison d’édition, chargé avec sa camionnette du soutien logistique de Marinville, qui traverse le pays à moto à la recherche d’inspiration. Quant à Cynthia, qui faisait un remplacement comme caissière dans « Les Régulateurs », elle est ici auto-stoppeuse prise en route par Steve Ames. On retrouve également d’autres personnages comme Peter Jackson et la famille Carver, dont le fils aura ici un rôle de tout premier plan.

Pour ce qui est de la thématique, elle est, sans surprise, fondamentalement la même que celle des « Régulateurs ». Stephen King recycle une fois encore une thématique abondamment déclinée non seulement à travers les littératures de genre – y compris dans ses propres œuvres – mais également au cinéma (citons par exemple «  The Thing » de John Carpenter, 1982 ou « Le Témoin du mal  » de Gregory Hoblit 1998). Pas d’originalité donc dans cette histoire d’entité extraterrestre tapie depuis des lustres au fond d’un vieux puits en attendant que des humains passent à sa portée (notons, incidemment la non-concordance de traduction, le puits nommé rattlesnake dans un des deux romans étant francisé en puits serpent à Sonnette dans l’autre, alors qu’il s’agit pourtant du même traducteur), histoire qui se termine de manière assez prévisible, dans la lutte finale d’individus faisant équipe pour en venir à bout.

Mais on connaît l’auteur : bien plus que l’originalité, son principal talent réside dans son réalisme, son sens de la mise en scène, ses personnages méticuleusement développés qui peu à peu prennent vie, ces situations de plus en plus tendues que le lecteur finit par avoir l’impression de vivre lui-même. De ce point de vue, « Désolation  » apparaît pleinement réussi. Les scènes nocturnes au cours desquelles les personnages parviennent à s’échapper de la prison et cherchent à se dissimuler, traqués par le flic possédé, fonctionnent à plein, et les chapitres où ils se réfugient dans ce vieux cinéma où les nostalgiques du village se réunissaient régulièrement ont quelque chose de magique. On notera que les King semblent particulièrement inspirés par cette thématique, puis le fils de Stephen King, sous le nom de Joe Hill, proposera, bien des années après, une magnifique nouvelle de genre, «  La Belle au ciné chantant  » dans le recueil « Fantômes histoires troubles »

On notera que dans les deux récits l’importance particulière de l’écrivain – laissons aux aficionados de l’auteur le soin d’y voir là quelques-uns de ses avatars – qui a toujours le beau rôle, même s’il n’a pas forcément le destin le plus enviable. On notera également que malgré les similitudes fondamentales des deux romans – et si l’on excepte la scène avec le couguar, reproduite quasiment à l’identique dans les deux récits – les péripéties qui se succèdent dans ces deux volumes n’ont pas grand-chose en commun. Avec des personnages plus développés, moins stéréotypés, moins passifs, une intrigue moins linéaire et surtout beaucoup plus réussie, « Désolation  » apparaît toutefois infiniment supérieur aux « Régulateurs  », dont il constitue le pendant plus adulte, plus achevé, et pleinement abouti.

Titre : Désolation (, 1996)
Auteur : Stephen King
Traduction de l’anglais (États-Unis) : William Olivier Desmond
Couverture :
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Albin Michel, 1996)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 15148
Pages : 832
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : octobre 2004
ISBN : 2253151483
Prix : 8,60 €



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Hilaire Alrune
19 octobre 2016


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