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IRL
Agnès Marot
GulfStream, Electrogène, roman (France), sicence-fiction, 430 pages, avril 2016, 18€

Chloé Blanche est une ado presque normale : pas la plus jolie, pas la mieux habillée... mais sa vie a changé après une danse avec le bel Hilmi. Et puis tout bascule lorsqu’elle découvre une caméra dans la chambre du garçon. Elle se sent trahie. Puis découvre que tout Life City est truffé de caméras. Et une voix se met à lui parler : Link, qui lui annonce que rien n’est vrai. Elle n’est qu’une Intelligence Artificielle dans un jeu vidéo. Mais il a décidé de l’aider : il va la faire sortir, l’incarner dans la réalité. IRL.
La pauvre Chloé ne sait pas encore dans quoi elle s’embarque, et que le cauchemar ne fait que commencer.



IRL est raconté sur 3 époques, en gros distantes de six mois. Durant la période initiale, Chloé découvre la vérité et échafaude son évasion avec Link. Le récit est entrecoupé par la fin de la seconde période, tandis que Chloé incarnée IRL s’adresse à la télévision aux millions de spectateurs de “Play your Life”, l’émission de télé-réalité dont les IA, les personnages de Life City, sont les héros.
Immédiatement, on comprend que sitôt « sortie » du jeu, la jeune fille s’est battue pour mettre fin au jeu, pour qu’on laisse à ses amis, sa famille, la liberté d’agir et de penser, sans qu’un joueur « prenne les commandes » de votre vie à tout moment, et encore moins influe sur vos actes et vos paroles pour alimenter un show.
Link lui est d’un précieux secours. Le jeune homme est en effet le fils d’Arn Rinku, un homme cruel et dangereux qui influe sur les gens via son jeu et l’émission qui en découle.
Constamment espionnée dans le jeu, Chloé goûtera peu à la liberté IRL, car Arn lui met immédiatement la main dessus, la forçant à fuir de nouveau, loin des zones résidentielles bardées de technologie, dans les ghettos... où elle trouvera des gens prêts à l’aider à renverser l’ordre établi.
Bon, les choses ne passeront pas aussi facilement, et je vous laisse découvrir la 3e époque, pour le coup racontée de manière plus chronologique.

Agnès Marot signe là un excellent roman post-« Truman Show » (1998, ça nous rajeunit pas - et si vous n’avez jamais vu ce film, allez vite corriger cette erreur) en le mixant avec les MMO réalistes façon Second Life (vous ne connaissez pas ?) ou Les Sims, et cette hypothèse simple : si les personnages continuaient à « vivre » quand nous ne les « jouons » pas ? Ultime perfection : si on filmait nos interactions en jeu ? L’autrice brasse ainsi une foule de thèmes majeurs : le voyeurisme, la vidéo-surveillance omniprésente, la vie par procuration, le besoin de contrôle, l’abrutissement des masses... Il faut l’intervention de Chloé à la télé pour que les spectateurs commencent à prendre conscience que des IA avec des émotions sont plutôt proches de l’humanité, et qu’elles ne méritent peut-être pas qu’on les « manipule » ainsi.
(note aux joueurs et joueuses : c’est, pour quelques années encore, de la SF. quand vous vous déconnectez de votre MMO, votre avatar ne va pas vous attendre au café, à la bibliothèque ou chez Sephora. Ne lancez pas la révolution tout de suite.)

Sur la forme, l’entrelacement des deux premières périodes, si elle ôte évidemment une partie du suspense quant à l’évasion IRL de Chloé, elle est parfaitement écrite, le discours télévisé de Chloé mettant en lumière ses découvertes au fur et à mesure : les caméras, la prise de contrôle des « gens » de Life City, les intrusions d’Arn via des PNJ musclés, l’omnipotence des joueurs et la vulnérabilité des IA, à qui on fait dire et faire ce qu’on, dont on efface la mémoire... Agnès Marot pousse vraiment à s’interroger sur ce qui fait l’humanité de quelqu’un, et par conséquent ce qu’il est humain ou non de lui faire subir.

Il y a forcément un côté girly dans cette histoire, avec des géométries amoureuses savoureuses : les relations entre personnages, entre joueurs, et ce que les joueurs projettent dans leur personnage. Pour être plus clair, Link est amoureux de Chloé, qui aime Hilmi, que son joueur (meilleur ami de Link) « force » à sortir avec la meilleure amie de Chloé... On savourera la qualité d’écriture de certains passages, lorsque l’un révèle des sentiments non partagés à l’autre, ou la « première fois » de Chloé, très... Vous verrez !

Terminons sur le livre en tant qu’objet, magnifique avec son jaspage fuchsia (vous avez appris un mot : le bord des pages est coloré), mais au papier très rigide et au dos bien trop fin ! Malgré beaucoup d’efforts, et donc d’inconfort de lecture, ne pas casser le dos s’avère très difficile.

Une très belle histoire, prenante, haletante, et qui pousse sans cesse à la réflexion, sur un sujet qui n’est pourtant pas neuf dans le genre : la bonne SF existe toujours, et ça fait plaisir à lire.


Titre : IRL
Auteur : Agnès Marot
Couverture : (nc)
Éditeur : GulfStream
Collection : Electrogène
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 430
Format (en cm) : 22 x 14 x 3,5
Dépôt légal : avril 2016
ISBN : 9782354884154
Prix : 18 €



Nicolas Soffray
10 juillet 2016


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