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Trolls & Licornes (Imaginales 2015)
Jean-Claude Dunyach (dir.)
Mnémos, Imaginales, anthologie (France), 205 pages, mai 2015, 18€

Avec les figures opposées du troll et de la licorne, on pourrait croire que l’anthologie 2015 s’éloigne de son concept rapprochant des éléments complémentaires. Mais dès son introduction, Jean-Claude Dunyach, grand spécialiste du troll (et inventeur du porte-CD & DVD en licorne) rappelle qu’ils ne sont que les deux faces d’une même pièce, et que la culture populaire les a grandement stéréotypés : la licorne est initialement un animal carnivore, et le troll le représentant de forces naturelles telluriques. Et non pas, comme on le raccourci désormais, des symboles de pureté et de laideur.



C’est Jeanne-A Debats qui a l’honneur d’ouvrir les festivités. Son “Jötnar”, puisant dans les mythes nordiques, célébrant les femmes de pouvoir et prenant le contrepied des clichés contemporains concernant les deux bestioles, augure du bon. De sa part, on en attendait pas moins.

Plus léger, “la Chasse à la licorne” d’Estelle Faye nous fait suivre deux chasseurs attirés par une fête populaire. S’il n’y a pas vraiment de troll, la licorne et la vierge qui le touchera ne sont pas les personnages auxquels on s’attend. Doucement irrévérencieuse et poétique, la nouvelle nous laisse un sourire aux lèvres, nous rappelant de ne pas nous fier aux apparences (et de ne pas suivre les jolies serveuses dans les ruelles sombres...)

Pierre Bordage transpose efficacement le thème dans le monde contemporain. Son troll est un ado violent, qu’on découvre peu à peu mal dans sa peau, une carapace qu’il s’est forgé à partir de ce que les autres voient en lui. Et qui au début ne lui déplaisait pas. Mais le voilà irrésistiblement attiré par une mystérieuse fille. Est-elle de son lycée ? Comment disparaît-elle ainsi ? Comment la retrouver ? Un non moins mystérieux SDF lui donne la clé : ouvrir son cœur... La violence du quotidien d’“Ekasrinn” contraste avec la beauté qui s’éveille peu à peu en lui, au fil des lignes.

Bienvenue à Magicland”... Lionel Davoust nous plonge en pleine séance de psychalanyse d’un troll soigneur dans un parc d’attraction avec des licornes. Là, fini de rire, même si la situation initiale est ubuesque. Car, au-delà de son absence de reconnaissance professionnelle, tout le mal-être du soigneur vient de cette nausée que lui inspire le public, accro aux clichés sur les licornes, là où lui y voit des animaux aussi dangereux qu’intelligents. Connaissant le parcours de l’auteur, remplacer les licornes par des orques, et ça sentira le vécu... ou le longtemps ressenti. Tout est ciselé, les séances avec le psy (un troll lui aussi - les humains ont disparu. Ils sont devenus nous... à défaut de l’inverse), les relations avec les collègues, la hiérarchie, le public... Et l’auteur, avec son parc à thème, exploite judicieusement les deux faces de la licorne.

Retour à de la fantasy, certes fortement bretonne, avec “Touellerezh” d’Olivier Paquet. Une rivalité entre un vrai mage et un illusionniste va se trancher autour d’une chasse au troll qui a enlevé la fille du seigneur. Une licorne à visage humain les accompagne et les aiguillonne. Le contexte politique, expliqué en ouverture, est un peu brouillon, et ne facilite pas la compréhension de la pirouette finale qui s’appuie dessus. L’histoire est davantage celle des deux magiciens, qui malgré leurs différences finissent par entendre les arguments de l’autre. Sans être une mauvaise histoire, elle sent le « recyclage », la présence de la thématique étant bien légère et artificielle, d’autres créatures féériques ayant très bien convenu.

Viennent ensuite les deux rigolos de cette antho. Dans “Le troll médecin”, Silène Edgar pastiche Molière, faisant des licornes des êtres bêtes à manger du foin, avec un comité de censeurs de la lecture qu’on imagine « inspirés de faits réels », et des trolls beaucoup moins dogmatiques. C’est une farce, parfois un peu bancale (imaginez un troll déguisé en licorne, même savante) mais qui pointe en creux tous les discours sur la « qualité littéraire » dont certains mauvais genres font parfois encore les frais de nos jours dans les milieux bobos bien-pensants... chez les licornes. (Si vous lisez ces lignes il y a de fortes chances que vous soyez un troll). Raphaël Albert, trop rare enchanteur, nous livre... de la poésie ! Une chanson de gestes, “Le double destin de Taquin...”, de plus de 10 pages, versifiée, s’il vous plait ! Contant les malheurs d’un troll amoureux d’une licorne, et qui malgré l’exploit accompli à la demande de la belle, verra sa demande piétinée... Certains vers ne sont pas à lire devant le jeune public, c’est léger, drôle et enlevé, le niveau de langage, entre le conteur et ses protagonistes, fait des hauts et des bas truculents.

Il est un peu dommage de lire “Les Yeux du troll” ensuite. Si l’histoire de Sophie Jomain est très belle et émouvante, avec le périple d’un troll aveugle, accompagné d’une licorne, le thème est complètement plaqué, le troll étant assimilable à n’importe quel grand-mère et son guide (qu’il ne voit pas) pouvant aisément être remplacé par la bestiole mythique de votre choix (lutin, dragon chinois, valkyrie... selon le titre du recueil). C’est bref, ouf.

On regrettera par contre la brièveté de “Trolls, licornes et bolognaise” qui suit. Adrien Tomas y cuisine une affaire policière d’urban fantasy qui nous laisse sur notre faim. Une enquêtrice pas commode, des clans trolls à faire pâlir la mafia, beaucoup de bons ingrédients pour une portion d’une douzaine de pages...

Je m’attendais à rire avec “Dans la peau de Georg Trollevitch”, du duo Miller & Ward. Alors oui, on rit, surtout qui a déjà mis les pieds aux Imaginales. Les autres ne comprendront probablement pas. Nous voilà transportés aux Humaginales, festival dédié à la SF... qui se tient en plein royaume féérique. Un troll, grand défenseur de la fantasy, vient faire remarquer le danger d’une telle dérive littéraire, au grand dam de l’organisatrice, la licorne Tiphany. Tout est à peu près sous contrôle jusqu’à ce qu’un étrange personnage donne à Georg davantage de pouvoir de nuisance, au nom de la pureté littéraire. Les habitués du festival auront reconnus les principaux protagonistes, Stéphanie Nicot, organisatrice du Festival, et Georges Bormand, personnage inénarrable à la grande culture et à l’irrépressible envie de la partager même quand on ne lui donne pas la parole, qui hante cafés littéraires et tables rondes. Sylvie Miller et Philippe Ward l’égratignent autant qu’ils lui rendent hommage, à lui, aux auteurs et à tout le Festival.

Un bon recueil, avec une seule vraie déception et deux demi-regrets sur dix nouvelles, et de très bons textes, prenant avec audace le thème à bras-le-corps.
Finissons sur cette image d’un troll serrant dans ses bras une licorne, façon doudou désarticulé. Tout à fait dans l’esprit de « l’Instinct du Troll » qui a certainement guidé le choix du thème 2015.


Titre : Trolls et Licornes
Série : anthologie des Imaginales, 2015
Directeur : Jean-Claude Dunyach
Auteurs :
- Raphael Albert
- Pierre Bordage
- Lionel Davoust
- Jeanne-A Debats
- Silène Edgar
- Estelle Faye
- Sophie Jomain
- Sylvie Miller et Philippe Ward
- Olivier Paquet
- Adrien Tomas
Couverture : (non créditée)
Éditeur : Mnémos
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 205
Format (en cm) : 23 x 15,5 x 2
Dépôt légal : mai 2015
ISBN : 9782354083113
Prix : 18 €


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Nicolas Soffray
27 avril 2016


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