Ce second volume du « Secret de l’inventeur » creuse son sillon. Comme dit dans la chronique du tome précédent, on regrettera que le steampunk soit parfois un simple décor plaqué sur cette uchronie. Totalement absent de longs moments, il revient en force à d’autres (La Nouvelle-Orléans, le navire Persée des derniers chapitres). On ne se penchera pas trop sur la logique qui sous-tend le tout, les informations de géopolitiques étant aussi ponctuelles que brèves. On apprendra, comme l’héroïne, à s’en contenter. C’est un peu dommage, car Andrea Cremer dépolie de grands efforts pour bâtir quelque chose d’à la fois complexe et chatoyant.
La place de Grave, élément central du récit, évolue favorablement. Présent uniquement en toile de fond dans la première moitié, accompagnant Charlotte dans sa nouvelle compréhension du monde, on le voit peu à peu prendre sa vraie place dans l’intrigue, et fort heureusement, sur un thème fort du steampunk : la toute-puissance de la machine, la peur et la convoitise qu’elle attise chez les humains, mais surtout son intelligence dépourvue de passions et son analyse froide et logique. Plus les morts et les blessures jalonnent leur route, plus Grave s’interroge sur l’absurdité de la guerre. Et Charlotte de ne pas savoir quoi lui répondre.
Si Grave assume donc la part steampunk et philosophique de l’ouvrage, Charlotte écope de la part sentimentale. Au cœur d’un maelstrom de passion, elle ne sait plus où donner de la tête : elle aime Jack, enfin elle le croit mais son attitude est nébuleuse ; son frère ainé Coe ne la laisse pas indifférente et lui tourner autour aiguise la jalousie du jeune officier, enfin Linnet n’est-elle que sa nouvelle meilleure amie, en plus de la demi-soeur des deux autres ? Les conséquences de son « délire éthylique » sur le Calypso sont catastrophiques, mettant les uns mal à l’aise et les autres en colère. Mon petit souci, c’est que ces errances sentimentales finissent par prendre le pas sur l’intrigue, fragmentant le roman en deux : les moments où Charlotte est une future Résistante, et les autres où elle est une jeune fille au cœur tendre dans un monde de guimauve. La narration est capable de faire totalement abstraction des dangers qu’elle encourt pour s’enfoncer dans ces émois adolescents. Pire, elle contamine les autres, dont les garçons (Jack, Ashley) qui, abandonnant leur devoir, deviennent bêtes dès que les filles reviennent dans leur champ de vision.
Pour le coup, la masculinité en prend pour son grade. Le retour de Meg en super-guerrière renégate d’Athéna, avec armure et tout (j’ai repensé à Saint Seiya durant cette brève bataille autour du chaman qui donne son nom au présent volume), scelle la domination féminine déjà amorcée avec les compétences multiples de Linnet.
Les lecteurs masculins en reprendront un coup dans l’aile avec l’arrivée du Capitaine Sang-d’acier, corsaire beau comme un dieu et lui aussi gaga d’une fille...
Il est donc heureux que le final, dans sa forme, rattrape les éléments steampunk gravitant autour de Grave, de crainte que cette histoire sombre dans la mièvrerie. Lumen nous ayant fait le plaisir de traduire ce second tome dans la foulée de sa parution américaine, il va nous falloir attendre sans doute un peu plus d’un an pour connaître le dénouement.
Titre : L’Enigme du Magicien (The Conjurer’s Riddle, novembre 2015)
Série : Le secret de l’inventeur, tome 2
Auteur : Andrea Cremer
Traduction de l’anglais (USA) : Mathilde Tamae-Bouhon
Couverture : Benjamin Carré
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 369
Format (en cm) : 22,6 x 14 x 3,5
Dépôt légal : février 2016
ISBN : 9782371020511
Prix : 15 €
Le Secret de l’inventeur :
tome 1 : Rébellion
tome 2 : L’Enigme du magicien
tome 3 : Le Pari du traître