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Mishima Boys, Coup d’Etat (T1)
Seira Nishikawa et Eiji Otsuka
Akata

K, M et Y, qui se cachent derrière ces trois lettres ? Quelles sont les intentions de ces trois hommes ? Dans ce Japon peinant à sortir de la Seconde Guerre Mondiale, dans une société se reconstituant avec une génération née de l’après-guerre, influencée par les deux courants politiques qui ont marqué à jamais le monde entier : le fascisme d’extrême droite et le communisme d’extrême gauche. Mais pourquoi regrouper ces trois hommes à l’équilibre mental bien instable ? Et quel est leur lien avec ce jeune homme devant devenir un écrivain qui marquera son époque : Mishima ? Difficile de bien comprendre ce qui relie Mishima à M, jeune coréen immigré au Japon, de son vrai nom R, hanté par d’horribles visions. Mais n’est-ce que des visions ? N’est-il pas en réalité l’assassin sadique de ces jeunes femmes ? Les a-t-il vraiment violées et torturées ? En tout cas, sous l’influence de cet étrange camarade à lunettes qui le pousse à se dénoncer à la police...



Pourquoi vouloir jouer au chat et à la souris avec la police ? Peut-être pour empêcher M de se dénoncer à sa place. Ces meurtres lui appartiennent et il n’est pas question qu’il le laisse s’attribuer tous les honneurs. Mais K n’a pas toujours la bonne approche alors son acolyte à lunettes décide de prendre les choses en mains, trouvant les mots, donnant les détails nécessaires pour que la police s’intéresse à son témoignage et non pas celui de M. K l’a rencontré le jour où il viola cette fille sur la route. C’est lui aussi qui lui donna l’idée du supplice du rat. Une torture qui le hantait, qu’il imaginait appliqué à Junko Yano, sa camarade de classe. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il finit par tuer la jeune femme. K choisit plutôt de tout raconter à des journalistes. C’est eux qui déformaient la vérité, il était donc important qu’il raconte les faits tels qu’il les avait mis en scène. Il y avait aussi le peigne de la jeune fille qu’il avait envoyé à la police. Allaient-ils retrouver sa trace grâce à cet indice ? Seulement, quand les inspecteurs vinrent pour l’arrêter, lui le coréen du Nord exilé au Japon, il ne s’attendait pas à ce que ce soient ses camarades de classe qui l’aient dénoncé...

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Yukio Mishima est un écrivain japonais qui connut la célébrité à l’age de 24 ans avec “Confession d’un masque”, une œuvre autobiographique sur un jeune garçon devant cacher ses désirs homosexuels. Sa renommée devint rapidement internationale au point d’être pressenti par trois fois pour le prix Nobel de littérature. Il se suicida en 1970 en se faisant seppuku, le suicide rituel par éventrement. Eiji Otsuka utilise ici cet auteur symbolique du Japon de l’après guerre en le rattachant à un groupuscule d’extrême droite. Il convient de rappeler qu’avant de se suicider, Yukio Mishima fit un discours aux forces d’auto-défense appelant à un coup d’état nationaliste. C’est sur cette base que Eiji Otsuka bâtit son nouveau mangaka, “Mishima Boys”. Dans la continuité de son autre oeuvre, Unlucky Young Men, aux éditions Ki-oon, le mangaka remet au gout du jour les seinen portant un fort message politique. A chaque fois, l’auteur part de faits réels et les utilise pour obliger son lecteur à s’interroger, à réfléchir sur le passé du Japon et comprendre l’influence de ce passé sur les événements actuels.

A travers ce dyptique, nous suivons trois personnages qui marqueront le Japon de leur époque par des actes à la gravité variable pour un lecteur occidental. Le premier, K, est tout simplement un serial killer, un psychopathe violant et torturant des femmes. Mais à travers lui, Eiji Otsuka nous présente également la vie des immigrants de Corée du Nord au Japon, après les exactions réalisées par les armées de l’Empereur dans ce pays durant la Seconde Guerre Mondiale. Toutefois, Eiji Otsuka ne va pas nous raconter une simple histoire de serial killer, il va au contraire faire douter le lecteur sur la véracité des faits. Tout est fait pour embrouiller l’esprit du lecteur, introduisant un second personnage, M, qui ne sera pas le même M par la suite, qui pourrait bien être l’assassin de Junko, la seconde victime. Pourtant, K fera tout pour se mettre le meurtre sur le dos, aidé par un étrange personnage à lunettes, un assistant comme le décrit le mangaka. Ce sera en fait l’élément fantastique qui faussera bien des indices. Un peu comme dans les oeuvres de David Lynch, le personnage de K est hanté par un être qui semble imaginaire et qui viendra seconder les deux autres personnages. Si K est un tueur sadique, il symbolise également l’oppression faite sur ceux qui ne sont pas de la bonne race, qui ne sont pas japonais. D’ailleurs, il sera dénoncé car Coréen.

Le seconde personnage, M, est présenté comme un terroriste car il va oser lever la main sur le fils de l’Empereur. En fait il va jeter un caillou sur le carrosse où se trouvent le prince et sa future femme. M est présenté comme un idéaliste influencé par les thèses communistes. Le jeune homme est perturbé par le problème d’inégalité des classes sociales et n’a qu’un objectif : parler au fils de l’Empereur d’égal à égal, ayant le même age, et discuter de la situation du petit peuple. Nous sommes loin d’un terroriste comme Daisuke Nanba, dont il est fait référence, et qui lui intenta à la vie de l’Empereur. L’acte de M peut paraître bien anodin à côté, mais lever la main sur le prince héritier est un crime de l’es majesté. Ici, Eiji Otsuka peut paraître aller très loin car on pourrait y voir une critique ouverte de l’Empereur et de ce système d’un autre siècle auquel le Japon s’accroche. Même si la défaite du Japon devait diminuer cette vision quasi divine de l’Empereur, les penchants nationalistes font remonter cette conception dépassée dans un monde moderne.

Au-delà d’un scénario particulièrement fouillé, menant le lecteur sur de nombreuses fausses pistes, Seira Nishikawa et Eiji Otsuka jouent également avec la manière classique de lecture d’un manga. Les deux auteurs vont pervertir dans le bon sens du terme ces règles de lecture et les interprétations des dessins. Ce qui va perturber intentionnellement le lecteur est l’utilisation à contre pied des codes vestimentaires dans les mangas. Normalement, un personnage est très souvent caractérisé par sa tenue vestimentaire, sa coupe de cheveux. Les deux auteurs vont alors changer l’apparence de leurs personnages principaux en cours de lecture, obligeant le lecteur à vérifier à plusieurs fois qui est réellement le personnage agissant sur une planche. Son attention est alors mobilisée à son maximum. Les dessins de Seira Nishikawa en deviennent plus complexes et chaque détail compte. Il faut noter le talent de cette dessinatrice qui nous offre à de nombreuses reprises des pleines pages dignes d’une lithographie, Des portraits qui nous rappelleront parfois des scènes cultes de films.

Régulièrement, Eiji Otsuka ponctue ses chapitres d’une citation de Mishima, pour que le lecteur se souvienne qui est vraiment le personnage centrale de ce diptyque atypique, destiné à un public adulte qui n’aura pas peur de relever le défi de lecture que lui proposent les deux mangakas.


Mishima Boys, Coup d’Etat (T1)
- Scénario : Eiji Otsuka
- Dessin : Seira Nishikawa
- Traduction : Ryoko Sekiguchi
- Éditeur : Akata
- Format : 166 x 230 mm
- Pagination : 240 pages
- Dépôt légal : 28 janvier 2016
- Numéro ISBN : 978-2369740973
- Prix public : 16,50 €


© OTSUKA EIJI, NISHIKAWA SEIRA 2015
© Editions Akata - Tous droits réservés



Frédéric Leray
10 février 2016




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