« Absyrialle » est un mélange assez original d’uchronie et de fantastique horrifique. Le duo formé par Galoire, épéiste maudit et on le comprend vite noble déchu, et Théodule, pur esprit des Lumières et pauvre petit poisson dans ce bassin de requins, permet d’alterner le ton et la façon d’aborder la cité « de l’extérieur », accompagnant le lecteur innocent.
Captivé par l’illustration de couverture et la 4e, j’ai découvert avec « Absyrialle » un bijou presque trop beau pour être honnête.
« Lecteur numérique » depuis deux ans, je peux le dire aujourd’hui : on n’appréhende pas un e-book comme un livre papier. Et certains romans en pâtissent, notamment les plus denses, ceux dans lesquels on a besoin de revenir feuilleter quelques pages ou chapitres en arrière assez régulièrement.
(NOTE : le roman est entre-temps sorti au format papier)
Le roman de Fabrice Chauliac est extrêmement dense, tant au niveau du fond, avec des personnages, lieux et époques multiples, mais aussi au niveau du texte. La langue déployée est riche, trop certainement pour une lecture fluide. La profondeur des descriptions nuit parfois à la fluidité de l’action, et les scènes contemplatives ou statiques sont assez nombreuses pour ne pas en faire un page-turner. L’alternance des points de vue (la narration est toujours externe) et le flou qui entoure longtemps les personnages ralentit encore les choses. Il faut dépasser les cent premières pages, être entré avec Théodule et Galoire dans Absyrialle même, avoir croisé la mystérieuse Ruthimel, pour commencer à imaginer où l’on va.
Commence alors la parade des différents nobles et personnages influents de la ville, à la politique on s’en doute complexe et retorse. Alliances, allégeances, trahisons, sans parler des pactes avec les démons (au coeur du pouvoir d’Absyrialle), j’avoue avoir été rapidement perdu, la faute à un manque d’assiduité. « Absyrialle » est un roman qui demande une immersion totale, et ne tolère pas l’infidélité.
On espère parfois en vain. Les écoles d’escrime, par exemple, aussi vite évacuées qu’apparues. Fonctionnant par strates, par quartiers, à l’image de la ville, le roman se dépouille des oripeaux usés chaque fois qu’il franchit un seuil, fait comme table rase du passé et nous entraine dans un cercle plus profond de la ville.
Sur le fond, la peinture de cette Venise vénéneuse en secouera plus d’un. Dans les hautes sphères, on le découvre lentement, on est lié aux démons, et le pouvoir vient d’un mélange de violence et de sensualité. Les mots d’incube et succube apparaissent me semble-t-il tardivement, mais les tableaux horrifiants de jeux entre adultes donnent le frisson, et certaines tortures presque la nausée, d’autant qu’elle est pratiquée avec froideur et détachement.
Les choses vont toutes crescendo, les révélations architecturales, les apparitions de personnages puissants et dangereux, la catastrophe semble de plus en plus imminente. La bataille finale, totale, universalisante, avec un petit duel entre super-guerriers, est l’occasion d’un grand nettoyage avant un happy end bourré d’espoirs et de bons sentiments.
A l’image d’autres romans, voire premiers romans, de « jeunes » auteurs, comme récemment « L’archipel des Nuées » ou « Sense of Wonder », « Absyrialle » m’a laissé une impression positive mais partagée. On sent le talent de l’auteur, les qualités littéraires, mais il y a cette volonté d’en faire plus, un plus qui devient parfois trop, sur le fond et la forme. Il y a dans ce volume assez de matière pour plusieurs volumes, ou bien le double de pages. Nombre d’éléments secondaires, de personnages, auraient mérité d’être soit approfondis soit passés sous silence. L’intrigue est si nébuleuse et les rebondissements parfois si brutaux (c’est parfois plus réaliste qu’un rebondissement attendu, je suis bien d’accord) qu’on se perd facilement. Se perdre, cela veut dire revenir en arrière. Alors qu’un bon livre, on n’a normalement envie que d’aller en avant.
Mais je le redis, je n’ai pas été non plus très assidu, et le format numérique n’a pas encore toutes mes faveurs pour des lectures de ce calibre-là.
Donc, bien qu’imparfait, et particulièrement cauchemardesque, ce roman de Fabrice Chauliac est à découvrir, car il a tous les ingrédients d’un grand.
Titre : Absyrialle
Auteur : Fabrice Chauliac
Couverture : Camille Alquier
Éditeur : Voy’el
Collection : Uchronies
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 360
Format (en cm) : n/a (numérique)
Dépôt légal : automne 2015
ISBN : 9782364753334
Prix : 6,99 €