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Tallula
Glen Duncan
Gallimard, Folio SF, n°531, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), fantastique, 543 pages, octobre 2015, 8,50€

Dans « Le Dernier loup-garou », Glen Duncan mettait en scène l’odyssée et la fin de Jack Marlowe, dernier de son espèce, traqué non seulement par l’Office Mondial pour la Prédation des Phénomènes Occultes (OMPPO) mais également par une meute de vampires. Une odyssée dramatique, tragique, crépusculaire, mais bien trop ambitieuse pour s’arrêter de façon aussi brutale. Car si le titre ne mentait pas, si Marlowe était bien le dernier loup-garou, ce roman très noir s’éclairait d’un miracle : il y avait aussi une dernière louve-garou. L’aventure pouvait donc repartir pour (au moins) un tour.



« Cette chose était aussi réelle que vous et moi, alors les gens qui me traitent de cinglée n’ont qu’à s’adresser aux enquêteurs et leur demander… vous voyez. Cette chose était réelle, bien réelle. »

On le devine : la rencontre entre Jack Marlowe et Tallula ne pouvait que faire des étincelles, et aboutir à la naissance d’une progéniture dont les dents qui ne sont pas précisément de lait percent à chaque pleine lune. C’est donc aux affres de la grossesse et de la maternité que nous convie l’auteur dans la première partie du volume. Loin de tout, isolée dans le plus grand secret dans une ferme inaccessible dans le grand Nord en compagnie de Cloquet, son familier, Tallula vit tant bien que mal son dernier trimestre. Une première dans la mesure où les loups-garous ne se sont jamais reproduits autrement que par morsure, et beaucoup d’inconnues quant à la manière dont les choses vont se passer. Mal, bien entendu. Car Tallula a beau avoir pris toutes ses précautions, quand on a après soi l’OMPPO et les vampires, il est fatal que l’on vous retrouve au mauvais moment. C’est ainsi que la ferme isolée devient le lieu d’un théâtre sanglant jonchée de cadavres, et d’où s’enfuit la jeune fille qui devait servir de repas à Tallula la prochaine nuit de pleine lune.

« D’où un adieu définitif aux hauteurs morales. Elle s’est découverte capable de tuer et de manger des gens une fois par mois, mais, en plus, de tuer et manger des gens en aimant ça. »

Tallula et Cloquet se retrouvent donc eux aussi en fuite, sans le nouveau-né qui vient de leur être arraché. Mais ils ne sont pas à bout de ressources et découvriront que Jack Marlowe, le dernier loup-garou, ne leur a pas laissé, accumulé au fil de deux siècles d’existence de lycanthrope, qu’un héritage de biens et d’argent. Ce qu’il a laissé derrière lui, peu avant de mourir, sans vraiment le savoir lui-même mais en en ayant confusément prescience, c’est un autre type d’héritage qui va totalement rebattre les cartes dans la lutte que se mènent OMPPO, vampires et lycanthropes, et qui va grandement aider Tallula à récupérer son enfant. Dès lors, le roman va pouvoir basculer dans le récit d’action à tout-va.

« Vous déchiquetiez la chair humaine terrifiée, vous contempliez le cœur satiné et le foie caoutchouteux, vous découvriez que les secrets du corps obéissaient aux lois de la violence ainsi exercée. Vous cassiez les os et vous gorgiez de sang. Vous preniez une vie, et e vol restait impuni. »

Pour les amateurs de septième art, les romans de Glen Duncan pâtiront quelque peu de leur parenté avec la saga cinématographique « Underworld » de Len Wiseman, notamment parce qu’ils lui sont postérieurs : les affrontements entre loups-garous et vampires, mais aussi les clans, les guerres internes, les manipulations scientifiques entre races, la présence d’un vampire mythique, millénaire, fondateur, le livre qu’il aurait écrit et le mystère attenant, ainsi que les péripéties convenues (captures, manipulations, évasions, otages, attaques de repaires et de couvents reculés) prennent inévitablement un petit goût de déjà-vu. Fort heureusement, Glen Duncan excelle à cette part introspective que le cinéma peine à rendre et qui donne à ses récits leur plein intérêt.

Les affres de la faim, l’impossibilité à résister aux pulsions sexuelles et carnivores, la bête omniprésente à l’arrière-plan mental, comme un fantôme interne qui rôde encore et sans cesse, le cerveau primitif qui lors de la métamorphose cherche à l’emporter sur la conscience raisonnante, la lutte perpétuelle de la froide logique, le goût du sang et l’appel des sens, la lutte pour le respect de l’action planifiée face aux assauts de faim dévorante et de la lubricité, autant d’éléments qui donnent corps et densité à des péripéties très classiques. Repousser la part d’animalité alors que l’on n’est plus rien d’autre qu’un animal, rester humain alors que l’on n’a plus grand-chose d’humain, tel est le cœur du problème. Un problème que les protagonistes des romans de Glen Duncan affrontent chacun à leur manière mais souvent avec un humour à la fois désabusé et acide. Trash et philosophique, cru et métaphysique, gore et poétique, vorace et méditatif, le loup-garou de Glen Duncan, véritable personnage littéraire, assimile et digère comme il peut, mais souvent avec classe, son abominable part d’animalité.

« Autant qu’on le sache, Waller et moi, on était à deux contre une vingtaine d’humains et soixante-dix-neuf vampires en pleine forme. »

Une première partie plus littéraire, plus intime, plus introspective, une seconde partie qui, une fois de plus, multiplie les appels du pied à l’industrie cinématographique : on reconnaît la structure globale de premier tome. S’il fallait résumer, on pourrait affirmer, sans être pour autant excessivement réducteur, que d’une certaine manière « Tallula » apparaît autant comme une réécriture du « Dernier loup-garou » que comme une suite. Si ces deux volumes étaient déjà adaptés au cinéma, sans doute pourrait-on parler de remake : au dernier loup-garou, on substitue la dernière louve-garou, on ajoute la maternité, et l’on multiplie péripéties et protagonistes pour obtenir des scènes finales un peu plus spectaculaires que dans l’épisode précédent.

Pas de réelle surprise, donc, à la lecture de « Tallula ». On y trouvera ces formules et ces réflexions qui donnaient à la vie du narrateur, ici de la narratrice, un goût particulier, mêlé de malédiction d’amertume, d’émerveillement et de sang. En ayant déjà fait l’expérience, l’on n’y sera pas trop déçu par le virage façon blockbuster qui se fait à mi- roman, d’autant plus que l’auteur prend soin de jamais abandonner l’âpreté fondamentale qui détermine les existences atypiques, brisées, de l’ensemble de ses protagonistes. Qu’ils soient vampires, loups garous ou mortels à la dérive, ce que révèlent les monstres chez Glen Duncan, c’est cette irréductible part d’humanité qui reste en eux : une part d’humanité pour laquelle ils se battent et qu’ils feront tout pour conserver.


Titre : Tallula (Tallula rising, 2012 )
Auteur : Glen Duncan
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Michèle Charrier
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Gallimard (édition originale : Denoël, 2014)
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 531
Pages : 543
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : octobre 2015
ISBN : 9782070465842
Prix : 8,50 €


Glen Duncan sur la Yozone :
- « Le dernier loup-garou
- « Moi, Lucifer »


Hilaire Alrune
19 janvier 2016


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