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Copies (Les)
Jesper Wung-Sung
Le Rouergue, épik, roman traduit du danois (Danemark), anticipation et clonage, 191 pages, octobre 2015, 11,70€

La journée avait bien commencé pour Jonas : un match de foot remporté, la fille de ses rêves qui lui fait un cadeau... Puis tout bascule : ses parents le rejettent, lui refusant l’entrée de la maison où il croit apercevoir un autre lui-même, puis deux hommes déboulent d’une camionnette avec la nette intention de le tuer. Jonas fuit.
Lorsque dans la forêt, seul refuge sûr (?), Jonas rencontre Ian, son univers achève de s’effondrer : il est un clone. Le vrai Jonas a été infecté par le virus Q et placé en cryogénie, on l’a créé pour le remplacer dans sa famille. Comme des centaines de familles l’ont fait, le temps qu’on soigne leur enfant. Aujourd’hui le virus est éradiqué, alors on chasse les Copies. Au sens propre.
Avec Ronnie, une autre Copie, ils partent vers l’ouest, vers un hypothétique bateau-refuge pour les Copies.



Les auteurs du Nord de l’Europe, très à la mode dans le roman policier, ne déméritent pas en littérature jeunesse de l’Imaginaire. Je garde un excellent souvenir d’« Automne », sorti en 2014 chez Wiz. « Les Copies » est une autre pépite, très hivernale.

L’histoire peut sembler peu originale. Le clonage médicale semble une réalité de plus en plus proche, et le film « The Island » de Michael Bay l’a popularisée (pour ne citer que celui-là). L’idée de Jesper Wung-Sung est plus subtile : le clone a ici un rôle psychologique, social, il n’est pas une pièce de rechange mais un bouche-trou, qui permet aux familles de vivre « normalement », malgré le virus Q.
Mais voilà, ce vieil atavisme humain fera qu’on préfèrera toujours la chair de sa chair à un assemblage de laboratoire, fût-il génétiquement et psychologiquement identique à l’original. Dès les premiers chapitres, l’auteur transmet parfaitement ce malaise brutal des adultes en présence des copies, êtres qu’ils chérissaient la veille encore, sitôt leur « véritable » rejeton revenu au foyer. Moins qu’un animal, ce n’est qu’un objet destiné à être détruit. Et d’autant plus vite qu’il est la trace infamante qu’ils ont reporté leur amour sur un palliatif.
Jonas narre son histoire, mais entre la gravité de certaines scènes et son ressenti, on saisit parfaitement le raisonnement des adultes et de la société, cette dernière encadrant et facilitant le processus, puisqu’ainsi que le clame la quatrième de couverture en forme de publicité, la compagnie Vie Ressuscitée se charge des clones, de leur création à leur retrait, effectué par les Libérateurs de Copies (LC). Le terme est intéressant, volontairement doux, presque positif, s’il ne recouvrait pas une mise hors service proche de l’euthanasie d’un animal sauvage dangereux.

Le voyage des trois ados est réduit à la plus simple expression, tant ils sont dépourvus de repères, désormais exclus de la société : ils vivent et marchent dans la forêt, plein ouest. S’approcher de la lisière, entrer dans les villes pour se ravitailler et se tenir informés, c’est risquer la rencontre avec des LC de plus en plus nombreux. S’enfoncer trop profondément dans les bois, pour leur échapper, c’est craindre les sangliers sauvages, dont les défenses acérées rendent les charges mortelles. Métaphore d’un fil ténu entre la société et la sauvagerie, équilibre entre deux peurs mortelles, les garçons avancent sans relâche, le rythme variant selon leur moral et leurs forces, de plus en plus bas au fil des jours et des mauvaises rencontres.

Il faudra noter la grande part accordée à la forme, que la traduction rend parfaitement. Les premiers chapitres sont davantage emplis de monologues intérieurs de Jonas, qui confronte le passé très récent (son rejet de chez lui) à ce qu’il sait désormais de son monde et de son état. Certes, le procédé est facile pour faire monter la tension et instiller le malaise, mais efficace. Sa rencontre avec Ian puis Ronnie va déplacer le récit sur l’action, la vie quotidienne, les relations du groupe, les disputes comme les éclats de rire. Le dernier quart, quand les choses auront mal tourné (oui, désolé de vous le dire, mais vous vous y attendiez, non ?) et que Jonas commence à perdre un peu la tête, effet secondaire des copies sorties de sa société, le rythme se fait haché, les mêmes mots tournent en boucle, les souvenirs s’estompent malgré ses efforts... On ressent, viscéralement, la déchéance qui s’empare de Jonas, au travers des mots.

En un peu moins de 200 pages, Jonas nous donne une formidable leçon d’humanité, tandis qu’en creux Jesper Wung-Sung brosse un tableau glaçant de la société qui n’a jamais mieux mérité son qualificatif de « de consommation ». Une excellente anticipation, à mettre entre toutes les mains dès 12-13 ans.


Titre : Les Copies (Kopierne, 2015)
Auteur : Jesper Wung-Sung
Traduction du danois : Jean-Baptiste Coursaud
Couverture : Adrian Block & Olivier Douzou
Éditeur : Le Rouergue
Collection : épik (les voyages dans l’imaginaire)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 191
Format (en cm) : 14,2 x 20,8 x 1,5
Dépôt légal : octobre 2015
ISBN : 9782812609817
Prix : 11,70 €


Notons, dans les rares coquilles, qu’à compter du milieu du livre les LC perdent leurs majuscules, sans qu’on sache trop pourquoi, les rendant moins visibles dans le texte.


Nicolas Soffray
14 décembre 2015


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