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7 Secondes
Tom Easton
Lumen, roman (Grande-Bretagne), anticipation, 368 pages, septembre 2015, 15€

Futur plus ou moins proche. Il y a les Îles du Premier monde (l’ancien Royaume-Uni) barricadées. Le reste de l’E est un champ de ruines où règne la guerre. Le Tiers est devenu le garde-manger des nantis. Mila vient de l’E de l’Est. Avec Julian, un déserteur d’une grande compagnie venue « aider au développement » de l’E (douce formule pour cacher le pillage des matière premières), elle tente de passer la Manche. De l’autre côté, Julian a promis de lui trouver un téléphone, gadget indispensable pour s’intégrer et passer inaperçu.
Mais Julian est mort. Et l’Agence de contrôle de l’immigration clandestine a capturé Mila. Comme elle refuse de parler, on lui implante, de force, un téléphone bridé, pour accéder à son esprit. Mais voilà, durant l’opération, l’Agence découvre qu’elle a quelque chose dans la tête. Une bombe ? Le risque n’est pas envisageable. Mila doit fuir pour ne pas être tuée. Mais ses poursuivants voient par ses yeux désormais. Sa seule chance : les sept secondes de décalage de la retransmission.



Le roman d’anticipation de Tom Easton devient alors une course-poursuite tendue doublé d’un solide thriller. Comment fuir quand on a une puce dans la tête ? Quand vos poursuivants voient ce que vous voyez ? Quand l’omniprésence du réseau vous trahit ? Réponse : en utilisant la seule faille du système pour disparaitre, pour tendre un piège. Mila, acrobate hors pair, endurcie par une jeunesse passée dans la rue, excelle dans cette guérilla, compensant la puissance de feu des Agents lancés à sa suite par un don pour la survie et une endurance qui peut laisser parfois pantois. On va jusqu’à envoyer la cavalerie et l’artillerie lourde, et elle s’en sort. Souvent. Pas toujours sans dommages.

Parce qu’elle a un allié. Adam, l’Agent de l’immigration chargé de l’interroger, qui s’est pris d’affection pour elle (voire tombé un peu amoureux), et qui ne partage pas les décisions extrêmes de sa supérieure, Rebecca, une partisane de la sécurité à tout prix. Adam appartient à l’autre moitié de la population, qui milite pour une défense accrue de la vie privée.

Au-delà du récit d’action et de la dimension thriller qui s’installe tandis que le doute s’installe sur les motivations de Julian, c’est le message derrière « 7 Secondes » qui est important.
La société décrite, post-apocalytique, est bien trouvée. Les îles britanniques demeurent la seule enclave technologiquement avancée, quand le reste de l’Europe est ravagé par la guerre. C’est devenu un petit paradis technophile : le smartphone implanté dans la tête vous donne accès à toutes les infos désirées, vous permet de voir ce que font vos amis, de partager ce qu’ils aiment, etc. Bref, tous nos gadgets actuels directement reliés au cerveau.
Dans cette « société idéale » on est pas obligé de travailler : des robots exécutent l’essentiel des tâches basiques, assurent le transport... et la nourriture afflue depuis le continent, où les Compagnies assurent le développement des populations locales en leur apportant soutien logistique et technique.
Sur le papier c’est très joli, mais pour en venir, Mila sait que les Compagnies pillent les zones où elles s’implantent et que les locaux ne reçoivent aucune manne céleste. Que les Agents font l’aumône de leurs miettes. Au sens propre.
Mais tout n’est pas si rose. Déjà, il faut des Agents pour surveiller la frontière et traquer les immigrants, car les places au Paradis sont chères. Ensuite, la société est politiquement divisée entre les pro-Sécurité, qui veulent des caméras partout, et la possibilité d’accéder à la retransmission de chaque citoyen, et les pro-Vie privée... qui sont contre. C’est de leur alternance au pouvoir qu’est née la règle des sept secondes, compromis acceptable, durée durant laquelle vous pouvez censurer vos transmissions (pour éviter que tous vos amis vous voient tout nu, par exemple). Bien évidemment, Mila n’a pas accès à toutes ces options. Certains bridages la sauvent (elle n’a pas le GPS et ne peut donc être localisée), mais l’impossibilité de couper la communication ne lui laisse donc que 7 secondes de marge.

Dans les scènes d’action, cela donne souvent un décalage cocasse entre les actes de Mila et les commentaires d’Adam, mais cela permet surtout à la jeune femme de tendre des pièges par de rapides changements de direction.

Tandis que la surenchère de moyens commence à atteindre le ridicule (équipe du SWAT, char...) d’autant qu’ils sont mis en échec par une jeune fille, le thriller prend le pas dessus : la pression psychologique que Rebecca fait peser sur Mila, lui parlant directement dans sa tête alors que notre héroïne court pour sa survie, porte ses fruits. Malgré les flash-backs sur sa jeunesse, Mila ne peut être sûre à 100% des intentions de Julian. S’il lui a bien implanté une bombe dans le crâne, quel était son but ? Déstabiliser le gouvernement ? Commettre un attentat ? Travaillait-il pour un camp ou, comme il le prétendait, avait-il trahi l’Agence, écœuré par la réalité de ses agissements en E ?
Et quand ce doute s’instille suffisamment loin, jusque dans l’esprit du lecteur... C’est gagné. On passe sur les quelques exagérations et ficelles nécessaires pour se laisser happer.

Parce qu’il réussit, par son rythme et l’entremêlement de l’action vers le thriller d’anticipation, à toujours captiver le lecteur, « 7 Secondes » se lit d’une traite, nous calant sur le souffle de son héroïne. Et quand le divertissement est sous-tendu d’une réflexion intelligente sur l’intrusivité des nouvelles technologies ou le prix du confort d’un petit nombre d’humains, pourquoi s’en priver ?


Titre : 7 Secondes (Seven Seconds Delay, 2014)
Auteur : Tom Easton
Traduction de l’anglais (G-B) : Émilie Gourdet
Couverture : Cyril Nouvel
Éditeur : Lumen
Pages : 368
Format (en cm) : 2,5 x 14 x 3,5
Dépôt légal : septembre 2015
ISBN : 9782371020368
Prix : 15 €



Nicolas Soffray
15 octobre 2015


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