Tout cela nous est conté par une sorte de griot galactique (dont il faudra attendre les dernières pages pour découvrir l’identité), tantôt moqueur tantôt professoral. Eh, c’est qu’il en faut de l’acuité linguistique pour expliquer à nous autres primitifs primates les tenants et aboutissants, que dis-je, le simple quotidien d’un futur tellement loin, où on ne meurt (presque) plus, où on peut changer de corps et de forme à volonté, où « faire l’amour » est infiniment plus complexe, spirituel et intime que mélanger deux nudités corporelles. Le conteur ne fait donc à grand renfort d’apartés entre parenthèses, qui composent à eux seuls les deux tiers de la novella de Robert Silverberg.
Si la lecture est plutôt truculente, façon leçon de la vie dans l’avenir très très lointain pour les nuls, l’ouvrage est captivant dès la préface de Robert Silverberg, qui explique sa genèse aux USA : un éditeur lance l’idée de publier une novella d’un auteur reconnu, suivie d’une autre d’un « protégé » (au sens large) du premier. Silverberg retravaille pour l’occasion un texte abandonné dans les années 1970, car il ne voyait pas lui-même comment s’en sortir. Et Alvaro Zinos-Amaro s’en sort plus que bien, de ses propres dires. Je confirme les deux assertions. Ceux qui auront déjà lu la première novella, initialement publiée par ActuSF en 2012, ne me contrediront pas.
Somme toute, « Glissement vers le bleu » est une histoire très courte, densifiée par les multiples explications du conteur pour nous la rendre intelligible. Et on comprend bien le blocage qu’a pu éprouver l’auteur, une fois empêtré dans sa propre mélasse.
Avec « Le Grand Ménage du Dernier Mandala », Zinos-Amaro, tout en reprenant parfaitement le style de son mentor, accélère un peu le rythme : le glissement ne prendra pas quelques siècles, mais se fera à vitesse exponentielle, et bouffera tout l’univers et plus seulement les alentours du système solaire. Il faut donc trouver une solution, et Hanosz ne peut pas échapper à ses obligations, d’autant que 1) il a fait du chemin pour venir, 2) il a fait un gros travail sur lui-même, 3) il a trouvé l’amour, et tous les maux et les plaisirs qui vont avec, 4) si lui ne le fait pas, personne ne s’y collera.
Si l’ouvrage abonde en concepts de physique quantique et autres bizarreries incompréhensibles normalement, les deux auteurs, par la voix du conteur, et malgré son ton sarcastique lorsqu’il nous juge à peine capable de comprendre ses métaphores, rend tout cela somme tout très lisible. Sans doute n’avons-nous à l’esprit qu’une version très atrophiée de cette histoire, plaquant bêtement des concepts inaccessibles à nos pauvres cervelles sur des images familières, mais nous comprenons.
Et surtout, multiforme, désincarné, surévolué ou pas, l’Homme reste l’Homme, au fond de son être, et c’est cela l’essentiel. C’est même le cœur de ces deux novellas : l’Homme conserve ses petits défauts, ce goût de jouir de la chute de l’autre, de se heurter à l’inconnu, de profiter de son petit confort, de se trouver une partenaire compatible même si c’est souvent le début de gros soucis...
Vous l’avez compris, derrière une histoire de fin de tout finement ciselée, Silverberg et Zinos-Amaro brossent, une nouvelle fois dans l’histoire de la SF, le portrait à la fois magnifique et peu flatteur de notre race.
Il ne vous reste que quelques heures, ces nouvelles informations en tête, pour tenter d’un gagner un exemplaire.
Titre : Glissement vers le bleu & Le Grand Ménage du Dernier Mandala, novellas
Auteurs : Robert Silverberg & Alvaro Zinos-Amaro
Traduction de l’anglais (USA) : Eric Holstein
Couverture : Diego Tripodi
Éditeur : ActuSF
Collection : perles d’épices
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 264
Format (en cm) :
Dépôt légal : aout 2015
ISBN : 9782917689875
Prix : 18 € (papier) / 9,49 € (numérique sans DRM
(chronique établie d’après la version numérique)