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Dérapages
Danièle Thiéry
Versilio, roman (France), polar, 370 pages, avril 2015, 19€

Jennifer, une jeune femme qui vivait dans un loft isolé est soudainement séquestrée chez elle, privée de son enfant en bas âge, et contrainte d’allaiter un rejeton étrange qui n’est pas le sien. Le cadavre d’une enfant atteinte de malformations curieuses est retrouvé sur une plage. Mutique et en état de choc, Nina, la fille adoptive du commissaire Edwige Marion, rentre de Londres où elle était hébergée par sa propre sœur, laquelle a depuis lors a disparu.



« Les deux cramés n’arriveraient au quai de la Râpée qu’au dernier moment. Le convoyage serait effectué avec des précautions exceptionnelles et la morgue aussi bien surveillée que la Banque de France. »

Tels sont les quelques éléments qui introduisent une affaire dont les ramifications complexes s’étendront jusqu’à l’Union Soviétique des années cinquante. Complexe, parce que rien, absolument rien, n’apparaît conventionnel dans cette histoire. À commencer par ces cadavres qui résistent aux médecins légistes : malformations incompréhensibles, discordances impossibles dans les critères permettant d’apprécier leur âge. De même pour les deux imprudents qui filaient Edwige Marion et, filés à leur tour, ont eu la mauvaise idée d’ouvrir le feu sur ses collègues : une fois refroidis, ils continueront à poser problème.

« Au milieu de rien, un ensemble industriel à l’abandon semblait posé là tel un décor de film émergeant d’une brume poisseuse. »

Edwige Marion et ses collègues, il est vrai, ont affaire à forte partie. On les file, on les espionne, on en sait trop sur eux, on s’introduit dans leurs lieux privés, on leur vole même un de leurs cadavres ! Quelle est donc cette entité tentaculaire ? Quels sont donc les agissements de Sasha Azonov, biologiste réputé et de son épouse Angèle, la sœur de la fille adoptive d’Edwige Marion, deux personnages qui, subitement, ont disparu des écrans radar ? Et quels sont donc les mystères abrités par cette friche industrielle à laquelle nos enquêteurs reviennent sans cesse, en une obsession qui n’est pas sans rappeler celle du héros pour des lieux identiques dans le mémorable « Villa Vortex » de Maurice Dantec, une zone rachetée par un mystérieux conglomérat russe ?

« Un dédale de caves qui avaient servi d’entrepôts aux produits fabriqués dans ces locaux. Des rails en sortaient qui se perdaient dans le fouillis de ronces et d’arbustes sauvages, inextricables. »

Beaucoup de mystère, un peu de science (chromosomes et télomères, la limite de Hayflick, l’effet Hamlet) pour corser le tout, mais rien de trop complexe pour le lecteur peu au fait de la biologie, une enquête qui se déroule en parallèle en France et outre-Manche, de nombreux rebondissements, « Dérapages  » tient toutes ses promesses. Le seul reproche, bien bénin, que l’on pourrait faire à « Dérapages » est peut-être, par l’intermédiaire des chapitres consacrés à Jennifer, la jeune femme séquestrée, d’en faire trop deviner au lecteur, qui de la sorte, ayant un temps d’avance sur le commissaire Edwige Marion et ses collègues, les regarde au fil des chapitres se débattre dans une obscurité qui pour lui n’en est déjà plus une.

Temps d’avance pour le lecteur, donc, mais aussi temps de retard pour les policiers qui ont affaire à une entité qui les devance, les précède, les harcèle. Pour une fois, ce sont les enquêteurs eux-mêmes qui sont pris dans le filet, se débattent dans la nasse, et qui à chaque nouvelle étape se trouvent confrontés à de nouveaux mystères, placés devant de nouveaux murs– la mutité des prisonniers, l’opacité des services secrets, le mur infranchissable du passé de l’ex-Union Soviétique, les témoins que l’on enlève sous leur nez.

On reconnaîtra à « Dérapages  », tout comme on l’avait précédemment fait pour « Échanges », bien des traits distinctifs du très bon récit policier. Des personnages qui ne sont pas seulement des stéréotypes et auxquels Danièle Thiéry parvient à insuffler une personnalité propre, une aptitude à captiver le lecteur et à régulièrement raviver son attention, une intrigue sans temps morts qui à une touche d’anticipation scientifique mêle présent et passé, l’utilisation habile, ici et là, de ces petites touches qui font que les personnages sont véritablement des êtres humains, permettent de construire un roman à la fois prenant et crédible.

On aura donc retrouvé avec plaisir ce petit groupe de policiers solidaires – la commissaire Edwige Marion, mais aussi Valentine, Jean-Charles Arnoux et Luc Abadie – qui cohabitent dans la “Mouzaia”, une sorte d’auberge espagnole où chacun vit sa vie mais où tout le monde se serre les coudes et où l’on garde un œil sur les plus fragiles, réunis pour une enquête qui réserve bien des surprises. On émettra une petite réserve concernant la fin, quelque peu précipitée et à l’issue de laquelle subsistent encore plusieurs inconnues. À coup sûr « Dérapages » introduit un second roman sur cette thématique. Affaire à suivre, donc, pour le commissaire Edwige Marion, qui n’est certainement pas au bout de ses découvertes.


Titre : Dérapages
Série : Les enquêtes du commissaire Edwige Marion (11 volumes à ce jour)
Auteur : Danièle Thiéry
Couverture : Félix Macquet / Getty Images / Versilio
Éditeur : Versilio
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 370
Format (en cm) : 15,5 x 22,5 x 3
Dépôt légal : avril 2015
ISBN : 9782361321284
Prix : 19 €



Danièle Thiéry sur la Yozone :
- « Échanges »


Hilaire Alrune
9 juin 2015


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