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CIEL, tome 1 : L’Hiver des Machines
Johan Héliot
GulfStream, roman (France), anticipation, 241 pages, octobre 2014, 16€

CIEL, le Central d’Informations et d’Échanges Libres, a remplacé depuis longtemps Internet. Tout est désormais dans le Cloud, instantané, disponible partout. Des programmes gèrent à merveille les flux de données et d’énergie. Mieux que des humains ne le feraient.
Après un temps d’observation, l’intelligence artificielle de CIEL passe à l’attaque : en plein hiver, elle coupe eau et électricité. Les robots d’entretien, les machines agricoles deviennent son armée. Les humains prennent conscience de leur dépendance, et de leur faiblesse. Mais pour CIEL, il est trop tard pour se repentir de la pollution et de la surexploitation : maintenant, c’est elle qui commande.



Le lecteur découvrira les différentes phases de l’offensive de l’IA en suivant les membres de la famille Keller. Tomi, le grand-père, ancien grand reporter, a senti le danger venir, mais personne ne l’a écouté. Il a préparé un refuge dans les montagnes vosgiennes, vit en ermite coupé de la technologie, bref il a déjà échappé à CIEL. Il voulait inviter sa famille à le rejoindre, hélas l’attaque a eu lieu avant que ses proches n’arrivent, pour Noël.
Peter, son fils, travaille pour le gouvernement. On n’appelle plus son métier espion, mais c’est tout comme. Face au dérèglement des machines, il entreprend de rallier Paris depuis les environs de Marseille. Un flot de réfugiés bloque les routes. En militaire entrainé, Peter va vite s’imposer comme un leader et, rejoignant une base militaire du Vercors (où les chars d’assaut autoguidés s’en sont pris au soldats), il va entrer en Résistance.
Sarah, son ex-femme, est à la tête d’une ONG alter-mondialiste. Coincée en Italie au moment du black-out, elle va être capturée par CIEL, qui a besoin d’une voix et d’un visage pour s’adresser au monde. Sarah accepte pour sauver la vie de son collègue, pris en otage par les machines.
Leurs deux enfants, Thomas et Jenny, subiront eux aussi la dictature des machines. Thomas est au lycée à Paris, et le pensionnat est transformé en camp de prisonniers. Certains de ses camarades de classe coopèrent (ou collaborent, c’est vous qui choisissez le terme) avec les machines, d’autres refusent et en subissent les conséquences. Thomas fait profil bas, cherchant les failles. Jenny, étudiante à Berlin, a été parquée avec d’autres habitants et Carl, son petit ami du moment, par les machines qui ont donné la chasse aux humains. Les conditions de vie en extérieur sont rudes, les valides sont envoyés travailler, les faibles et les vieux ne font pas de vieux os...

Johan Héliot, après un thriller sur les lanceurs d’alerte qui ne m’a pas convaincu (« Enigma »), mélange avec CIEL deux thèmes qui lui sont chers : l’Histoire et l’écologie. Car oui, difficile de ne pas voir dans cette prise de pouvoir des machines l’ombre d’un régime totalitaire. Les situations que rencontreront ses personnages sont similaires à celles vécues durant la Seconde Guerre mondiale : attaque surprise, rafle, parcage des prisonniers, travail forcé, élimination des faibles, contrôle des naissances, mise à contribution de l’administration volontaire pour collaborer « pour le bien de tous »... J’arrête là l’énumération. Mais plutôt qu’un ennemi extérieur, d’un nazisme qu’on aura laissé s’épanouir, Johan Héliot va plus loin, en faisant entrer le loup dans la bergerie (enfin, regardez autour de vous, on l’a déjà fait rentrer), puisque c’est la technologie qui se rebelle contre l’Homme. Elle est partout, elle voit tout. Comme le Big Brother de « 1984 » devenu réalité, et de notre plein gré.

Et là où l’auteur est malin, c’est que si personne n’accepterait une invasion des nazis (ou de l’extrême droite et autres fascistes), le but de CIEL est « presque » admissible : l’écologie. Nous avons trop pollué, gaspillé, il faut arrêter avant que la planète soit irréversiblement détruite. Et puisque les hommes de bonne volonté ont échoué, que les riches industriels et les politiques ne les écoutent pas (et s’en foutent, après eux le déluge, ou un avenir digne d’« Eutopia », sorti récemment), et qu’ils ont donné toutes les clés du monde à une machine, qui elle a une conscience, la machine, qui n’a pas d’états d’âme ni l’appât du gain, fait ce qu’il faut. Quitte à considérer les hommes comme du bétail, de la main-d’œuvre (ce que des hommes ont fait à d’autres hommes dans l’Histoire, au passage).
Là où on arrêtera de la suivre, c’est qu’elle ne fait pas le tri, alors qu’elle en a les moyens (elle a accès à toutes les informations du monde, elle EST l’information), elle juge et condamne l’humanité dans son ensemble. Même son appel aux hommes de bonne volonté n’est pas une excuse, car ce n’est pas le meilleur de la population qui s’alliera à elle : à reculons, les gouvernements, pour tenter de garder un semblant d’ordre, mais majoritairement les vautours, ceux avides d’un pouvoir qui leur était alors refusé, et qu’ils obtiennent en courbant l’échine devant l’IA, avant de déchaîner leur colère sur leurs congénères. Encore une fois, rouvrez vos manuels d’histoire...

Si le récit est construit de façon assez classique, avec une alternance régulière entre les cinq personnages, la gradation des évènements est bien conduite, et permet de cibler chaque aspect et évolution du conflit (la dissimulation dans la montagne, la résistance, la collaboration forcée, l’internement, la fuite).
Il est un peu dommage que l’auteur révèle déjà les titres des tomes suivants (« Le Printemps de l’Espoir », « L’Eté de la Révolte », « l’Automne du Renouveau »), ce qui balaie d’ores et déjà tout surprise de voir les choses empirer. Au contraire, on sait que les machines vont perdre. reste à savoir ce que l’Humanité retirera de cette expérience. Une bonne leçon ? on l’espère.
Cette petite réserve mise à part, « Le printemps de l’Espoir » devrait sortir avec le printemps, justement, et je l’attends impatiemment.


Titre : L’Hiver des machines
Série : CIEL, tome 1/4
Auteur : Johan Héliot
Couverture : Beb Deum
Éditeur : GulfStream
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 241
Format (en cm) : 22 x 14 x 2
Dépôt légal : octobre 2014
ISBN : 9782354882389
Prix : 16 €



Nicolas Soffray
11 mars 2015


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